Le U-Boot XXI – Allemagne

Entré en service en 1945, le fabuleux U-Boot XXI était une merveille technologique et un véritable concentré d’innovations allemandes high-tech. Les spécialistes le considèrent comme le premier véritable sous-marin moderne de l’histoire et estiment qu’il représentait un bon technologique dans les années 1960, avec environ 20 ans d’avance sur son époque.

Le Type XXI est non seulement à l’origine des sous-marins russes et américains de la guerre froide, mais constitue l’ancêtre direct de tous les sous-marins nucléaires d’attaque et lance-missiles actuels. Dans les années 1950 et 1960, Russes, Américains, Anglais et Français le copieront et s’en inspireront très largement pour créer leurs propres flottes de sous-marins modernes. Entré en service dans les dernières semaines du conflit, il n’a pas eu le temps d’influer sur le cours des événements. Mais beaucoup pensent qu’il aurait sans doute changé l’issue du conflit si la guerre s’était prolongée de quelques mois ou si les Allemands l’avaient mis en œuvre plus tôt. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, il était temps que les Alliés remportent la victoire finale…

Long de 76,70 mètre, large de 6,60 mètre, emportant jusqu’à 57 hommes d’équipage et 23 torpilles à autoguidage, le U-Boot XXI était une redoutable machine de guerre. Avec ses 1820 tonnes de déplacement en charge (1620 tonnes à vide) et ses 6 tubes lance-torpille, ce grand U-Boot océanique était le bâtiment  sous-marin le plus performant que l’Allemagne ait construit durant la seconde guerre mondiale.

Sa conception révolutionnaire et les innombrables innovations qui avaient présidé à sa construction en faisaient un adversaire très dangereux et particulièrement difficile à traquer. Dès 1943, Dönitz avait prévu d’en construire en grand nombre et de les déployer massivement dans l’Atlantique pour changer le cours de la guerre. La mise au point du Type XXI, dans les derniers mois du conflit, arriva toutefois trop tard… On ose à peine imaginer ce qui serait advenu si ces sous-marins avaient été déployés en nombre dès 1943 ou même dès le printemps 1944. Leur mise en service dans l’Atlantique aurait sans doute sonné le glas des convois maritimes ravitaillant la Grande-Bretagne, l’URSS et les troupes alliées débarquées en Europe…

En 1945, l’apparition de ce « géant des mers » susceptible de changer la donne a bouleversé toutes les lois de la guerre sous-marine et obligé les responsables à modifier brutalement les doctrines d’engagement. La révélation de son existence  a été un véritable choc traumatique pour les Alliés qui se montrèrent très nerveux et inquiets. A Yalta, en février 1945, Winston Churchill fit même pression sur Staline pour que les Russes lancent au plus vite leur offensive sur la Prusse orientale afin de s’emparer des chantiers navals de Dantzig où 30% des nouveaux U-Boot XXI étaient en cours d’assemblage ; « l’aviation et les marines alliées n’avaient aucun moyen de combattre ces nouveaux sous-marins susceptibles de devenir extrêmement dangereux pour nous dans l’Atlantique Nord » précise Churchill dans ses mémoires. On ne saurait mieux dire …

Ce U-Boot était si innovant qu’à la fin du conflit les Alliés ont pillé sa technologie. La plupart des sous-marins  des années 1950-60, toutes marines confondues, ne sont en réalité que des copies améliorées ou des dérivés plus ou moins directs du Type XXI…

De fait, la conception du nouveau sous-marin océanique Type XXI n’avait plus rien à voir avec celle de ses prédécesseurs qui n’étaient en réalité que des submersibles. Le nouveau bâtiment était beaucoup plus grand et plus performant que les Types IX et X précédents. Sa coque hydrodynamique avait été profilée pour fendre l’eau sans provoquer de remous et de cavitation. Ses batteries étaient trois fois plus puissantes que celles des sous-marins précédents. Elles permettaient d’atteindre des vitesses records de 16,6 nœuds en surface  et d’évoluer à 17,5 nœuds en plongée durant une demi-heure, ce qui lui permettait de parcourir à pleine vitesse 340 miles avant de devoir ralentir pour recharger ses batteries, performances inouïes à l’époque! Certains documents parlent même de pointes réalisées à 22 nœuds ! De plus, le sous-marin pouvait descendre à une profondeur de 330 mètres pour se mettre à l’abri des grenadages.

Contrairement à ses prédécesseurs et aux bâtiments Alliés, le U-Boot XXI avait été conçu comme une arme létale destinée à évoluer en plongée sur de grande distance sous les océans du globe et non comme un engin capable de plonger quelques heures en cas de nécessité.

Sa vitesse d’évolution était à peu près le double de la vitesse maximale des escorteurs de surface utilisés par les Britanniques et l’US Navy! Cela lui permettait de distancer n’importe quel poursuivant ! Il était également beaucoup moins bruyant et donc nettement plus discret et plus dangereux que les U-Boot précédents. Il était prévu d’améliorer encore cette discrétion en appliquant un revêtement en caoutchouc alvéolaire sur la coque, pour absorber les sons des asdics et supprimer tout écho. Ce revêtement anti-acoustique rendait le sous-marin  littéralement « invisible » pour les sonars. Des tests effectués en 1946 par la marine américaine sur un bâtiment de prise montrèrent qu’un vaisseau équipé de ce revêtement spécial était indétectable par les navires de surface de l’US Navy, à moins de s’approcher à moins de 200 mètres de distance. Les Allemands avaient mis au point un tel revêtement dès 1944 et un sous-marin furtif expérimental équipé de cette nouvelle technologie opéra même dans la Manche durant quelques mois pour harceler les convois ravitaillant les troupes débarquées en Normandie.

Les réserves de carburant et l’autonomie du Type XXI lui conféraient également un rayon d’action considérable : 11’150 miles marins à 12 nœuds !  Cela veut dire que le Type XXI était capable de traverser l’Atlantique jusqu’à l’Argentine sans faire surface pour se ravitailler en combustible ou recharger ses batteries, ce qui ouvrait des perspectives incroyables en termes de missions et de tactiques de chasse…

Doté d’une autonomie en plongée très importante, le type XXI avait été conçu comme un véritable « chasseur de haute mer », conçu pour se faufiler sans se faire repérer entre les mailles du filet allié et échapper aux moyens de détection des navires d’escorte. Il pouvait s’infiltrer furtivement dans les convois et opérer de l’intérieur pour lancer ses torpilles au meilleur moment, pratiquement à bout portant. En cas de détection, sa prodigieuse vitesse instantanée lui permettait de distancer rapidement ses poursuivants et de plonger beaucoup plus profondément pour échapper aux contre-mesures, avant de s’évanouir silencieusement dans l’océan pour reprendre sa traque en toute impunité…

Le Type XXI bénéficiait également d’une autre innovation de poids : c’était le premier sous-marin équipé dès l’origine d’un « Schnorchel » permettant d’aspirer en plongée l’air nécessaire aux diesels. Ce dispositif, inventé par un Néerlandais, avait été perfectionné par le Dr. Walter. C’était un avantage considérable car il  permettait au Type XXI de marcher au diesel à immersion périscopique, sans émerger des flots ni offrir une silhouette détectable au radar, ce qui renforçait considérablement la sécurité des missions et les chances de survie de l’équipage. Le sous-marin pouvait ainsi recharger ses batteries en toute tranquillité, sans s’exposer aux attaques aériennes ni apparaître sur les radars ennemis.

En cas de surprise par un avion maritime, le Type XXI ne mettait que 18 secondes pour plonger en catastrophe et disparaître sous les flots. En outre, la puissance de feu antiaérienne du Type XXI avait été considérablement renforcée par rapport aux U-Boot précédents. Les pièces montées à l’air libre, jugées trop vulnérables, avaient été supprimées. Elles étaient remplacées par 2 tourelles blindées directement incorporées dans le carénage du massif, à l’avant et à l’arrière. Chacune de ces tourelles était armée de 2 canons jumelés Flak Zwillinge de 37 mm. Soit un total de 4 pièces à tir rapide, dotées d’une grande puissance de feu, capables de saturer le ciel et de dresser une véritable muraille d’acier au-dessus du sous-marin en cas de mauvaise rencontre !

Enfin, l’équipe de l’ingénieur Oleken avait mis au point un calculateur de tir de bord révolutionnaire qui permettait désormais de lancer les torpilles en plongée et à l’aveugle, sans devoir remonter à l’immersion périscopique, ce qui augmentait considérablement les chances de succès. Les Alliés, qui ne possédaient rien d’équivalent, furent estomaqués lorsqu’ils découvrirent cette merveille de technologie en 1945. Cet « ordinateur de bord » fournissait en trois dimensions les coordonnées exactes de la cible en se basant sur les infimes écarts de « bruitage » perçus par plusieurs capteurs disposés en différents points de la coque, selon un procédé de trigonométrie classique. L’ouverture du feu déclenchait en outre une salve de trois torpilles qui étaient lancées en éventail avec un léger écart de temps, ce qui augmentait les chances de toucher.

Le contexte historique

Dès l’automne 1944, la Kriegsmarine ne pouvait plus utiliser les bases de sous-marins de la côte atlantique ; Brest, Lorient, St-Nazaire, La Palisse et Bordeaux étaient désormais assiégés par les Alliés et coupés des troupes allemandes qui se repliaient vers le Reich. Les U-Boot qui opéraient jusque là dans l’Atlantique étaient désormais contraints de se replier sur les ports allemands et norvégiens. Une partie se sabordera d’ailleurs sur place, faute de pouvoir appareiller. La U-Bootwaffe se retrouvait brutalement dans la même situation stratégique qu’avant 1940 : défendre les côtes septentrionales européennes. Mais Dönitz et Hitler ne l’entendaient pas ainsi. L’Allemagne plaçait ses derniers espoirs dans une nouvelle génération de U-Boot high-tech en cours de développement, dont la conception ultra moderne devait révolutionner la guerre sous-marine et redonner l’avantage aux Allemands. Avec ces nouvelles armes, Dönitz espérait reprendre l’initiative sur mer, interrompre le flux des convois de ravitaillement et couper l’approvisionnement des armées débarquées en Europe.

La première de ces « armes secrètes » était le nouveau Type XXIII, un U-Boot destiné à défendre les côtes allemandes et à opérer le long du littoral britannique, pour déstabiliser la défense côtière anglaise.

La seconde était le Type XXI, un énorme sous-marin océanique qui devait permettre de réinvestir l’océan et de couler systématiquement les convois alliés, grâce à des performances extraordinaires et à une nouvelle technologie lui permettant d’échapper aux Alliés et d’opérer en toute impunité.

Origines et caractéristiques du Type XXI

L’origine du Type XXI remonte à 1943, une année noire pour l’arme sous-marine allemande qui perd en début d’année un grand nombre de U-Boot, coulés par les nouvelles mesures prises par les Alliés pour protéger les convois et traquer les submersibles allemands. Alarmé, Dönitz convoque en mai 1943 à Berlin les ingénieurs et les techniciens les plus influents et exige d’entreprendre immédiatement quelque chose pour mettre fin à l’hécatombe. Il réclame d’urgence des innovations technologiques majeures. Les améliorations apportées dans la précipitation aux anciens U-Boot ne sont qu’un emplâtre provisoire sur une jambe de bois : elles permettent tout au plus de les rendre moins vulnérables et donc de pouvoir continuer à les utiliser à la mer. Mais elles ne peuvent modifier les caractéristiques intrinsèques de ces anciens sous-marins, ni radicalement augmenter la puissance combative des U-Boot classiques dont la conception désuète est désormais dépassée. Seule la haute performance d’un nouveau type de sous-marin révolutionnaire peut encore changer la donne et redonner l’avantage aux Allemands dans la bataille de l’Atlantique. Parmi les projets envisageables, figuraient ceux de l’ingénieur Walter, le concepteur du moteur-fusée à carburants liquides propulsant le Messerschmitt Me-163, dont le programme « U-Boote » avait été mis en route dès l’automne 1942.

Le projet révolutionnaire du Dr. Walter

Depuis 1930, le Dr. Walter travaillait au perfectionnement de l’utilisation du peroxyde d’hydrogène comme source de puissance pour la propulsion des sous-marins. Les expériences effectuées démontraient les immenses améliorations et les performances extraordinaires que ce nouveau type de propulsion offrait pour le déplacement en plongée, avec une turbine utilisant un mélange de peroxyde d’hydrogène et d’hydrocarbure. Et ses idées novatrices ne se cantonnaient pas uniquement au système de propulsion, elles portaient également sur l’étude de nouvelles coques hydrodynamiques, profilées pour optimiser les performances des bâtiments sous l’eau…

Les mystérieux U-Boot Type XVII, XVIII et XXVI

Dès 1937, l’amiral Dönitz s’était efforcé d’obtenir la mise au point d’un sous-marin révolutionnaire de type Walter. Mais à l’époque, le haut commandement et les sphères dirigeantes du parti nazi ne comprirent pas la portée révolutionnaire de ce nouveau système de propulsion, ni les formidables perspectives qu’elles autorisaient pour la U-Bootwaffe. Si bien que Dönitz perdit trois précieuses années à tenter de vaincre l’inertie et les préjugés des responsables de la Kriegsmarine…

En 1940, des tests grandeur nature effectués en rade de Kiel avec le V-80, un petit sous-marin expérimental équipé du système de propulsion Walter, prouvèrent toutefois le formidable potentiel que les idées de Walter contenaient en puissance pour la U-Bootwaffe. Des vitesses incroyables de plus de 28 nœuds furent atteintes pendant de courtes périodes durant ces essais. La  Kriegsmarine en fut suffisamment impressionnée pour faire établir les plans et ordonner la construction d’un bâtiment océanique géant de 1600 tonnes, le Type XVII, qui aurait un triple mode de propulsion : diesel en surface, batteries d’accumulateurs classiques en plongée et turbines Walter permettant d’obtenir 24 nœuds en plongée sur une distance maximale de 200 milles pour les situations d’urgence et les phases de combat!

Parallèlement, des ordres furent donnés pour concevoir deux autres catégories de U-Boot plus petits, également équipés des nouvelles turbines Walter : le Type XVIII pesant seulement 300 tonnes, destiné à opérer dans les eaux européennes et  le long du littoral, et le type océanique XXVI, de 740 tonnes, pour attaquer les convois alliés dans l’Atlantique Nord.

Le déploiement de ces nouveaux U-Boot révolutionnaires constituerait pour les Alliés un sérieux défi, parce que les forces d’escorte seraient incapables de se mesurer avec de telles vitesses, ce qui permettrait aux submersibles allemands d’échapper aux contre-mesures et de semer facilement d’éventuels poursuivants pour réapparaître tout aussi rapidement sur un autre point d’attaque. En 1944, Dönitz n’avait donc qu’un seul objectif : prolonger suffisamment la guerre sous-marine avec ses vieux U-Boot obsolètes pour donner le temps aux nouveaux bâtiments révolutionnaires du Dr. Walter d’entrer en service et d’avoir un impact décisif sur l’issue de la Bataille de l’Atlantique..

Avec ses moteurs à Ingoline, le Type XVIII atteindrait, espérait-on, une vitesse en plongée de 20 nœuds, tandis qu’on attendait du Type XXVI une vitesse de 24 nœuds. Ces performances phénoménales pour l’époque, de même que la possibilité qu’ils avaient de lancer 10 torpilles sur l’objectif, conduisit les services de renseignement alliés à conclure que « le Type XXVI amélioré était certainement le type le plus perfectionné de sous-marins qu’on pût prévoir ».

Heureusement pour les Anglo-Américains, le système de propulsion de la turbine Walter n’était pas encore totalement au point. Le peroxyde à haute performance, connu dans ses diverses combinaisons comme « fluide T » ou « Ingoline », était non seulement extrêmement volatil, mais très instable ; il pouvait exploser dans certaines circonstances, transformant le sous-marin en une bombe en puissance. Ces maladies de jeunesse se révélèrent sévères et les difficultés rencontrées pour les résoudre et manier le très corrosif hydrogène peroxydé retardèrent fortement le projet, avant de provoquer finalement l’abandon pur et simple du programme…

Pour ajouter à ces difficultés, la Kriegsmarine se retrouvait en compétition directe avec la Luftwaffe sur le terrain de la technologie du moteur Walter, également utilisé pour propulser l’intercepteur fusée Messerschmitt Me-163 « Komet ». Or, la Luftwaffe, arme national-socialiste par excellence, avait la priorité et il existait très peu de réserves de peroxyde d’hydrogène dans le IIIe Reich.

Finalement, devant les multiples difficultés rencontrées, la Kriegsmarine se résolut, à  contrecœur, à abandonner définitivement le projet d’une propulsion utilisant le système révolutionnaire des turbines Walter au peroxyde d’hydrogène.  Les types XVII, XVIII et XXVI ne furent donc jamais produits en série ni alignés en opération, bien que des prototypes aient continué à naviguer à titre expérimental. Ce fut une très grosse déception pour Dönitz, car elle le privait d’un outil qui, il en était certain, aurait sans aucun doute changé le cours de la guerre sous-marine et peut-être la guerre tout court. Pour ne pas perdre la totalité des recherches effectuées jusqu’alors, on décida de revenir à des bâtiments à propulsion classique mettant toutefois à profit les performances optimisées des nouvelles coques hydrodynamiques préconisées par Walter. Ainsi naquirent le grand sous-marin océanique Type XXI et le Type XXIII, plus petit et à usage côtier.

Naissance du Type XXI

Vers le milieu de 1943, les constructeurs navals Bröking et Schürer reçurent l’ordre d’utiliser le principe des coques hydrodynamiques Walter pour construire une nouvelle flotte d’U-Boot océaniques destinés à opérer loin dans l’Atlantique. Comme il n’était plus question de doter ces sous-marins des turbines révolutionnaires du Dr. Walter, ils proposèrent de les remplacer par de très puissantes batteries susceptibles de garantir une autonomie de 60 heures en plongée (ce qui était en soi un progrès considérable), avec la possibilité d’atteindre des vitesses de pointe de 19 nœuds pendant de courtes périodes, en phase de combat ou pour plonger en catastrophe. Le nouvel U-Boot serait également doté de puissants moteurs Diesel et équipé du tout nouveau « Schnorchel » qui permettrait de marcher aux Diesel en immersion pour recharger les batteries. Cette combinaison, si elle ne valait pas le système Walter, permettait toutefois de concevoir un U-Boot qui, par ses performances et ses possibilités considérablement accrues, constituerait une menace très sérieuse pour les Alliés. Dönitz donna son aval et la réalisation des plans du nouveau bâtiment fut mise en œuvre dès le mois de mai 1943. Les essais des ballasts furent réalisés à Hambourg et à Vienne, et l’on construisit une maquette en bois des principales sections. Le Type XXI était né !

Pour assister le super U-Boot dans les eaux européennes, un modèle plus petit, le Type XXIII de 230 tonnes, fut également commandé sur la base de la même technologie. Dès lors, Dönitz pouvait envisager la possibilité de reprendre l’initiative sur mer avec de vrais U-Boot modernes, capables, par leur technologie avant-gardiste et leurs coques hydro-profilées, de demeurer  immergés durant de longues période pour dérouter les Alliés. L’aviation adverse serait incapable de les repérer et de les pister, et leur vitesse incroyable leur permettrait non seulement de distancer d’éventuels poursuivants (sous-marins ou destroyers), mais aussi d’échapper aux asdics alliés et à toutes les armes anti-sous-marines.

Le U-Boot de la victoire…

Le Type XXI trahissait un changement significatif dans la stratégie du BdU : ces nouveaux bâtiments océaniques étaient conçus pour opérer isolément plutôt qu’en meutes ou en groupes organisés, ce qui rendrait leur repérage beaucoup plus difficile et  plus aléatoire. En effet, le Type XXI avait été élaboré pour pouvoir s’approcher furtivement de l’avant ou du travers d’un convoi et lancer alors une attaque foudroyante en tirant coup sur coup une salve de 3 torpilles « LUT », avant de plonger sous le convoi pour recharger. La combinaison du nouveau sonar « Nibelung » et des nouveaux hydrophones « Balkon » aiderait également les commandants à garder la trace des navires qui se trouvaient au-dessus d’eux, en même temps qu’ils pourraient lancer de nouvelles attaques venues des profondeurs. La formidable vitesse du sous-marin, sa coque hydrodynamique recouverte de caoutchouc et sa capacité à plonger profondément et très rapidement, faisaient du nouveau Type XXI une cible sous-marine fuyante et difficile à atteindre. En résumé, en 1943 c’était l’arme parfaite pour couler impunément les convois et échapper à leur escorte ! Une sorte de cauchemar qui pourrait se révéler catastrophique pour les Alliés au moment où des forces considérables commençaient justement à se regrouper dans les ports d’Angleterre en prévision du débarquement en Europe…

Une merveille technologique… mise au point trop tard

Cependant, Dönitz découvrit bientôt qu’il restait à surmonter de sérieux problèmes logistiques avant que le nouveau Type XXI puisse réellement entrer en service. De fait, les anciennes méthodes utilisées pour la construction des Types VII et IX étaient absolument inadaptées à ce nouveau type de bâtiment, vu ses dimensions. La méthode  traditionnelle consistait à construire d’abord en entier la coque de l’U-Boot sur un slip, avant d’y installer ensuite les machines, les armes et l’équipement. Le rendement variait donc énormément suivant la taille et l’efficacité des chantiers. C’est ainsi que l’importante société Blohm & Voss de Hambourg fabriquait un U-Boot par semaine alors que le petit chantier Vulkan, à Stettin parvenait à peine à en produire deux par année. De plus, la Kriegsmarine était traitée comme la « Cendrillon » des forces armées en ce qui concerne l’allocation en travailleurs qualifiés et en matières premières, ce qui causait d’importants retards dans les chantiers navals.

Dönitz prit conscience de la pleine signification de cette triste situation lorsque les experts de l’Oberkommando der Marine (OKM) déclarèrent que la nouvelle flotte d’U-Boot océaniques ne serait pas prête à opérer avant 1946… C’était inacceptable pour le commandant en chef de la Kriegsmarine qui utilisa sur le champ sont droit d’accès direct au Führer pour défendre le programme du Type XXI. Il parvint ainsi à faire exempter du service militaire ses ouvriers les plus qualifiés et à faire augmenter l’allocation de la marine en acier. En avril 1944, il demanda également à Hitler l’autorisation de lancer un nouveau programme de constructions navales qui exigeait 30 000 tonnes d’acier supplémentaire chaque mois. Pour y parvenir, Dönitz bénéficia de l’appui direct de Speer : le ministre de la production et de l’armement, qui s’entendait bien avec l’amiral,  accepta de prendre les constructions navales au compte du ministère de l’Armement. Néanmoins, le travail de Speer se trouva compliqué du fait que le Führer donnait fréquemment la priorité à plusieurs projets différents en même temps, ce qui créait une pagaille indescriptible…

La coopération de Speer était vitale pour le programme du Type XXI. Dönitz devait écrire à ce propos, par la suite : « Si Speer avait eu le contrôle de la production deux à trois ans plus tôt, la situation en eut été changée du tout au tout parce qu’il avait fait la preuve qu’il était capable d’organiser la production de telle sorte que le rendement de l’industrie en 1943 et 1944 fut plus élevé qu’il ne l’avait jamais été… » Le ministre de l’Armement agit promptement. Il prit un certain nombre de mesures pour rationaliser la construction navale par l’intermédiaire de la Schiffbau Kommission et appointa un brillant ingénieur, Otto Merker, pour prendre la tête du développement du Type XXI.

Merker s’empressa d’appliquer les méthodes de préfabrication utilisées par les Américains pour les Liberty Ship et présenta un plan de production prévoyant la livraison de 33 Type XXI par mois. Au lieu de la méthode traditionnelle de construction sur le slip, il imagina de construire les Type XXI en 8 sections fabriquées dans l’intérieur des terres, au voisinage des aciéries de la Ruhr. Ces sections étaient ensuite transportées par voies navigables jusqu’aux nombreux chantiers intermédiaires, tels que Howaldswerke et DKW à Gotenhafen, où étaient installés les moteurs, les équipements, les gaines électriques et les auxiliaires de toutes sortes. La dernière étape conduisait les 8 sections vers les trois chantiers de montage de Deschimag (Brême), Blohm & Voss (Hambourg) et Schichau (Dantzig) où elles étaient  assemblées entre elles pour former un bâtiment complet. Merker espérait ainsi accélérer les choses et comptait achever le premier bâtiment de la nouvelle flotte océanique dans un délai étonnamment court de quatre mois et demi.

Pour accélérer encore le programme, la direction centrale de la construction des U-Boote fut également dynamisée par du sang neuf. De jeunes ingénieurs provenant de différents chantiers furent affectés à l’état-major de Merker. Conception, établissement de plans et production furent regroupés sous une direction centrale unique et le vieux bureau d’études qui supervisait la construction fut réorganisé et coiffé par le Comité central de la construction navale. Pour se donner toutes les chances de réussite, l’équipe chargées d’élaborer les plans du Type XXI fut éloignée des chantiers de construction et délocalisée à Blankenberg, dans le massif du Harz, au cœur de l’Allemagne, où un centre d’études fut discrètement établi en juillet 1943. Plus de 600 ingénieurs, dessinateurs et experts en construction mécaniques y furent discrètement regroupés.

Néanmoins, les progrès espérés furent plus lents que prévu en raison des innombrables modifications techniques rendues nécessaires par le fait que le Type XXI devait être produit directement à partir du bureau de dessin. Il en résulta une certaine tension et une mauvaise coordination entre le centre d’études de Blankenberg et les principaux chantiers d’assemblage sous la coupe des constructeurs navals traditionnels. L’unique objectif d’Otto Merker était de tenir ferme le délai de quatre mois et demi prévu pour la production de chaque Type XXI, ce qui lui valut de sévères critiques des chantiers d’assemblage qui lui reprochaient que « la construction primait trop la conception ». Les firmes Deschimag et Blöhm & Voss s’efforcèrent de se plier aux cadences infernales imposées, mais se plaignirent amèrement de la piètre qualité de la production des aciéries et du travail bâclé. Ces difficultés provenaient essentiellement  d’un manque de main d’œuvre qualifiée car les rares ouvriers spécialisés furent affectés aux usines où la fabrication du Schnorchel conditionnait le travail sur les nouveaux U-Boote.  La multiplication et l’intensification des raids de bombardements alliés sur l’Allemagne contribuèrent également  à désorganiser la production et les filières de livraison. Face à ces difficultés insurmontables, le nombre total des Types XXI commandés fut ramené à 195 unités et Dönitz dut se résoudre à l’idée que les premiers Type XXI ne seraient finalement lancés que vers la fin de l’année 1944.

Un sous-marin qui eut une longue descendance

Le premier Type XXI à être lancé à la mer sortit en avril 1944 du chantier Deschimag de Brême. Malheureusement, il avait été monté si vite que le travail avait été bâclé, si bien que ses performances se révélèrent sensiblement inférieures aux espérances. La vitesse maximale en plongée n’était que de 16,4 nœuds au lieu de 17,5 et le centre de Blankenberg dut admettre que ses performances en plongée lui causaient également un grand désappointement. Un ingénieur fit remarquer : « On espérait 300 mètres. Après mille difficultés, on obtint 160 mètres, puis finalement 200 mètres. Le panneau des torpilles était trop faible ! » Il fallut le changer. Ce premier bâtiment lancé à la mer fut suivi par une centaine d’autres qui eux répondaient parfaitement au cahier des charges et aux spécifications requises. Mais aucun ne put être engagé en opération avant 1945 car il fallait encore procéder aux essais à la mer et former les équipages.

Finalement, le premier exemplaire opérationnel du Type XXI ne prit la mer qu’en mars 1945. Il s’agissait du U-2511 qui, après avoir effectué un bref stage d’entraînement dans la mer Baltique, rejoignit d’urgence la base navale de Horten, en Norvège. Le 30 avril, son commandant Adalbert Schnee, un vétéran et un as de l’U-Bootwaffe, reçut l’ordre d’appareiller pour les Caraïbes avec son U-2511 équipé de torpilles T-11 de nouvelle génération, qui ne se laissaient pas détourner par les filets NMM ! Le U-2511 prit la mer mais quelques jours plus tard, on informa l’équipage par radio que le IIIe Reich avait capitulé. La mission était annulée et Schnee reçut l’ordre de faire immédiatement demi-tour pour livrer son bâtiment aux Britanniques. Il s’exécuta à contrecœur. Sur le chemin du retour, il réussit toutefois à pister et à approcher de près de grosses unités navales britanniques sans que celles-ci ne détectent la présence du sous-marin. Visiblement, le nouvel U-Boot Type XXI était au point ; il lui aurait été facile de couler les fiers cuirassés britanniques avec ses nouvelles torpilles hig-tech, mais la guerre était finie et Schnee dût se contenter de les admirer dans le réticule de visée du périscope…

En avril-mai 1945, les Soviétiques et les Britanniques découvrirent dans les chantiers navals allemands un très grand nombre de Type XXI en cours de construction, à divers états de montage ou de finition.  Ils firent également main basse sur une série d’unités à la mer qui furent partagées entre les quatre puissances occupantes. Ces bâtiments opérationnels furent incorporés dans les différentes marines nationales où ils servirent durant un certain temps. Certains demeurèrent en service durant encore plusieurs décennies et ne furent mis à la casse que dans les années 1960. D’autres furent démontés et minutieusement étudiés pour percer tous les secrets de fabrication. Ces exemplaires furent à l’origine des sous-marins de la guerre froide mais servirent également de modèle pour le développement des premiers sous-marins lanceurs de missiles balistiques, tant à l’Est qu’à l’Ouest…

Aujourd’hui, il ne reste qu’un seul U-Boot XXI à flot et en état. Il est mouillé dans le port de allemand de Wilhelmshaven où il constitue le clou du « Deutsches Schifffahrtmuseum ». Alors si vous passez dans le nord-ouest de l’Allemagne, n’hésitez pas à vous y arrêter pour visiter ce splendide bâtiment…

 

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz