Fort de Bard – Vallée d’Aosta

Situé à l’entrée de la vallée d’Aoste, le verrou glaciaire formé par la gorge et le rocher de Bard constitue un passage obligé sur la route du Petit et du Grand-Saint-Bernard. On ne peut rêver meilleure position de barrage naturelle car le promontoire barre littéralement la vallée, ne laissant qu’un étroit passage par où s’engouffrent la route et la rivière.

Histoire du fort

Etant donné sa position stratégique pour contrôler le transit transalpin, le rocher de Bard a vraisemblablement été fortifié dès les temps les plus reculés. Il est probable que les Romains y avaient déjà installé un poste militaire sur la voie des Alpes reliant l’Italie du Nord à la Gaule, car le site permet de contrôler deux des principaux cols alpins reliant la Méditerranée à l’Europe occidentale : le Petit et le Grand-Saint-Bernard.

Au 5e siècle apr. J.-C., le roi ostrogoth Théodoric fait fortifier la cluse et y installe une garnison pour contrôler le passage et barrer la route aux Francs. Dès l’époque carolingienne, la cluse acquiert une nouvelle importance pour contrôler le passage des marchandises et des pèlerins qui transitent entre l’Italie et l’Europe nord-occidentale. En témoigne l’érection d’un monastère et d’un hospice sur le col du Grand-Saint-Bernard, à plus de 2573 m d’altitude. Au 11e siècle, la région passe progressivement sous le contrôle de la Maison de Savoie qui cherche à s’étendre et à contrôler les divers passages transalpins des Alpes occidentales.

En 1661, le duc Charles-Emmanuel  concentre à Bard les forces armées du Duché  de Savoie installées en Vallée d’Aoste, pour prévenir toute invasion française en direction du Piémont. Vu l’importance de la position pour le Duché de Savoie, les défenses de la forteresse sont considérablement agrandies et renforcées  aux 17e et 18e siècles.

L’épisode militaire le plus célèbre dont le fort fut le théâtre est le siège de 1800 par le premier consul Napoléon Bonaparte. A l’aube du 14 mai, les 40 000 hommes de l’Armée de réserve de Napoléon franchissent depuis la Suisse le col enneigé du Grand-Saint-Bernard (2573 m d’altitude) pour surprendre l’armée austro-piémontaise installée dans la plaine du Pô. L’affaire fait grand bruit car nul ne l’attend à cet endroit et à cette saison. Elle stupéfie l’Europe entière par son audace et fait comparer l’exploit de Napoléon au franchissement des Alpes par Hannibal. L’opération, fort délicate vu la saison très précoce, est menée de main de maître malgré les énormes quantités de neige qui encombrent la montagne et le froid qui règne en altitude. Les canons sont démontés, les affûts hissés à dos, les tubes de bronze placés dans des troncs d’arbres évidés qui sont traînés à la force du bras sur la neige.

La progression des troupes française est rapide jusqu’au verrou de Bard, mais là elles sont bloquées par la garnison autrichienne qui défend le fort sous les ordres du capitaine Von Bernkopf. Le verrou, solidement défendu, résiste à un siège de 14 jours et ne tombe que parce que Napoléon a finalement l’idée de faire contourner la position par les hauteurs pour la prendre à revers. Von Bernkopf finit par capituler le 1er juin, mais avec les honneurs de la guerre.

Exaspéré par cette résistance inattendue, Napoléon fait raser le « vilain castel de Bard ». Quelques jours plus tard, il surprend et bat les Austro-Piémontais à la bataille de Marengo.

Le fort actuel (1830-1838)

Ce fut Charles-Félix, craignant une nouvelle agression de la part des Français, qui fit remettre le fort en état. Il confia le projet à l’ingénieur militaire Francesco Antonio Olivero. Celui-ci fit raser les vestiges des anciennes fortifications de façon à tout reprendre à zéro. La construction s’échelonna de 1830 à 1838.

La nouvelle forteresse créée à Bard par Olivero forme l’une des fortifications les plus puissantes érigées en Europe durant la première partie du 19e siècle. L’ensemble impressionne par la puissance qu’il dégage et par le nombre de bouches à feu qu’il comporte et qui en font une véritable « muraille de feu » barrant la vallée.

La forteresse comprend en effet quatre ouvrages distincts, superposés sur plusieurs niveaux, qui couvrent tout le flanc occidental de la colline, face à la principale direction d’attaque.

L’ouvrage inférieur (ouvrage Ferdinand) domine directement la Doire Baltée dont le cours forme une coupure supplémentaire ceinturant le pied du rocher.  Il comporte deux étages et présente un plan en tenaille. Il est dominé par l’ouvrage Mortai qui abritait jadis une impressionnante série de batteries de mortiers sous casemate et qui fut ensuite transformé en entrepôt. Une énorme poudrière lui est accolée. Le troisième niveau défensif est constitué par l’ouvrage Vittorio qui présente également un tracé tenaillé. Enfin, le sommet du rocher est couronné par l’ouvrage Charles Albert  qui épouse les contours de la colline et qui forme, à lui seul, une formidable forteresse de hauteur dominant la gorge. Les différents ouvrages sont reliés par une large rampe à canon extérieure, superbement restaurée, qui dessine une succession de virages en épingle à cheveux sur le flanc de la colline.

Pour donner une idée de la puissance des fortifications de Bard, il suffit de mentionner que l’ouvrage sommital Charles Albert comporte à lui seul 176 locaux de service donnant sur une grande cour d’honneur intérieure, de vastes écuries (au sud), plusieurs poudrières, une prison souterraine, ainsi que des magasins et ateliers (à l’est).

En tout, le fort comprend 283 locaux et pouvait abriter une garnison permanente de 416 hommes, ou même le double si on mettait des paillasses à même le sol. Les entrepôts pouvaient contenir des munitions et des vivres pour trois mois. L’armement comptait une cinquantaine de bouches à feu de gros calibre, avec des embrasures tournées dans les quatre directions, mais principalement vers la vallée d’Aoste (débouché des cols du Petit et du Grand-Saint-Bernard).

La fin du 19e siècle marqua le début du déclin du fort de Bard qui devint d’abord un bagne, puis un dépôt de munitions.

Le fort de Bard aujourd’hui, un pôle culturel

Abandonné par le domaine militaire en 1975, le fort a été racheté en 1991 par la région autonome de la vallée d’Aoste qui l’a entièrement restauré de fond en combles, avec l’aide financière de l’Union européenne. Ouvert au public depuis 2006, il abrite désormais le Musée des Alpes et accueille des expositions thématiques temporaires. On y trouve également une cafeteria, un restaurant,  un hôtel, ainsi que des salles de conférences pour des séminaires ou des colloques. A terme, il intégrera également un Musée des frontières, un Musée du Fort, une médiathèque, un espace musical et un théâtre en plein air.

On y accède par trois funiculaires successifs qui permettent de gagner le fort sommital.

Précisons enfin que la visite extérieure des fortifications jusqu’à la porte du fort sommital est en libre accès, seuls les musées étant payant. N’hésitez donc pas à vous y arrêter.

Comment y accéder

Situation : Italie du Nord, entre Verrès et Ivrea, à l’entrée de la vallée d’Aosta.

Ouvert au public toute l’année (sauf le lundi). La montée au fort est gratuite. Seuls l’accès aux musées est payant.

Accès : autoroute du Mont-Blanc. Sortie Verrès, puis suivre la direction « Bard ».

Parking souterrain dans le rocher au pied du fort (départ du funiculaire montant au fort).

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz