L’ouvrage d’artillerie du Four à Chaux – Lembach – Bas Rhin

L’ouvrage du « Four à Chaux » est situé en Moselle, à 1 km au sud de la localité de Lembach, en bordure de la D65. Il fait partie du secteur fortifié des Vosges, dont il constitue le maillon le plus oriental, à la limite du secteur fortifié de Haguenau. Il s’agit d’un ouvrage d’artillerie à 8 blocs (2 blocs entrées, 3 blocs d’artillerie et 3 blocs d’infanterie) qui présente un plan de masse compact, loin des interminables galeries qui caractérisent la plupart des grands ouvrages de la Ligne Maginot. Il ne possède ni magasin M1, ni traction électrique, mais sa visite est particulièrement intéressante du fait de certaines particularités qui lui sont propres, notamment le fameux plan incliné ascendant qui vaut, à lui seul, le détour…

Le secteur fortifié des Vosges en bref

La partie centrale du secteur fortifié des Vosges s’appuie sur une zone boisée, traitée initialement comme zone de destructions et ne nécessitant pas de fortifications importantes. A l’origine ne sont prévus que trois petits ouvrages équipés de lance-bombes, une casemate (Rothenburg) et 9 blockhaus. Les projets initiaux sont cependant très vite remaniés pour faire place, en 1931, à la construction d’une ligne de 33 casemates légères et de blockhaus adaptés au relief tourmenté et particulièrement vallonné de la région. Le secteur comprend 2 parties distinctes :

  1. Au niveau de l’aile ouest du secteur, qui offre un terrain moins accidenté, l’obstacle principal est constitué par le Schwarzbach, ruisseau aménagé en zone d’inondation défensive par la réalisation de 12 barrages-écluses destinés à faire monter le niveau des eaux. Le cours de la rivière est battu par 13 casemates, plus une casemate d’artillerie MOM à chaque extrémité dont l’action se recoupe et que complète la couverture de la tourelle de 75mm modèle 33 de l’ouvrage du Grand-Hohékirkel, établi à l’extrémité occidental du secteur.
  2. L’aile orientale prend en compte l’aspect beaucoup plus vallonné du relief et s’appuie sur une casemate et une série de 17 blockhaus établis sur les hauteurs. Malgré la nature du terrain, cette partie de la Ligne Maginot est particulièrement faible, même si elle bénéficie en contrepartie de l’appui de feu des tourelles de l’ouvrage d’artillerie du Four-à-Chaux, implanté à l’extrémité orientale du secteur.

Du projet à la réalisation

Le premier projet établi en décembre 1930 prévoyait deux casemates mixtes (infanterie / artillerie) et deux tourelles d’artillerie (81 et 135 mm). Les 2 casemates ont finalement été supprimées et remplacées par une tourelle de 75 (bloc 2). Au 2e cycle, l’ouvrage aurait dû recevoir une deuxième tourelle de 75 modèle 32 R qui n’a  jamais été réalisée.

La construction

 La construction du Four-à-Chaux s’échelonna sur cinq ans (1930 – 1935). Malgré les études géologiques et hydrologiques menées préventivement, il fallut parer à divers imprévus : nappes d’eau souterraines, sources, etc. La découverte d’un puits artésien dans la partie inférieure de l’ouvrage, près de l’usine, permit toutefois d’alimenter directement celui-ci en eau potable, cas exceptionnel dans la Ligne Maginot. Plusieurs percements furent effectués simultanément pour avancer plus rapidement. Un train électrique à batteries d’accus était chargé d’évacuer les déblais.

L’ouvrage est enterré de 20 à 25 m dans le roc. L’épaisseur des murs varie entre 1,20m (blocs d’entrées) et 3,50m ( blocs de combat). L’ouvrage était conçu pour résister aux obus de 160mm (entrées) et de 420mm (blocs de combat). En outre, le béton des parois des entrées et le plafond des blocs de combat est doublé intérieurement par des plaques métalliques destinées à éviter la projection d’éclats de béton en cas de bombardement. Extérieurement, les angles vifs sont réduits au strict minimum pour faire ricocher les obus sur les superstructures et offrir ainsi moins de prise aux projectiles.

 Les entrées

Comme tous les ouvrages importants de la Ligne Maginot, le Four-à-Chaux comporte 2 entrées séparées, aménagées à contre-pente pour les défiler des tirs directs et qui pouvaient se protéger mutuellement.

L’entrée des hommes (EH, bloc 29) est située au même niveau que la caserne souterraine, cas exceptionnel dans la Ligne Maginot. Elle est défendue par deux cloches GFM et par un créneau de façade armé d’un jumelage de mitrailleuse (JM) qui peut être remplacé par un canon antichar 47 (AC47) suspendu à un rail plafonnier. Le sas d’entrée, long de 80 mètres, est délimité par 2 portes blindées de 1 tonnes.

L’entrée munitions est plus vaste, pour permettre le  déchargement des véhicules et le transbordement du matériel et des munitions sur des wagonnets. Elle s’ouvre au fond d’un étroit vallon sinueux qui offre une bonne dissimulation et une excellente protection. Un créneau JM/AC 47 et 2 cloches GFM assurent sa protection. Elle est défendue par 2 portes blindées de 6 tonnes, protégée par un créneau de défense intérieur, qui sont défilées chacune derrière une courbe et séparées par  une galerie de 100m de longueur qui sert de sas.

Cette entrée principale permet de gagner de plain pied l’usine souterraine de l’ouvrage (centrale électrique) et de rejoindre le pied du plan incliné reliant le niveau inférieur au niveau supérieur.

La caserne souterraine

La caserne est située près de l’entrée hommes, nettement en retrait par rapport aux blocs de combat dont les plus proches sont situés à 400 m de distance. Il s’agit d’une volonté délibérée pour permettre au soldat de se reposer dans le calme, à l’écart du bruit de la bataille martelant les blocs de combat. La cuisine est équipée de matériel ultra-moderne pour l’époque, fonctionnant à l’électricité (autocuiseurs, marmites, fours, cafetières automatiques, etc.). En revanche, aucun réfectoire n’est prévu, si bien que la garnison doit manger sur les lieux de travail, dans les couloirs ou dans les chambres de repos.

Les chambres de la troupe comprennent 24 lits disposés sur 3 étages tandis que celles des sous-officiers comptent 16 lits établis sur 2 étages. Les officiers ont droit à plus d’égard (1 à 4 lits sur 1 ou 2 étages). Du point de vue sanitaire, les concepteurs ont calculé 1 robinet pour 12 hommes, 1 douche pour 100 hommes, 1 WC à la turque pour 40 hommes. La caserne comprend également un petit quartier sanitaire qui comporte une salle d’opération, une salle de stérilisation, une pharmacie et un ensemble de salles de soins et de désinfection.

L’usine

 La centrale électrique est installée à l’emplacement du magasin M1. Jusqu’en 1940, elle comportait 4 groupes électrogènes actionnés par des moteurs Sulzer développant chacun 160 ch, qui entraînaient des alternateurs d’une puissance unitaire de 120 Kw. Un dispositif de synchronisation permettait d’utiliser deux groupes simultanément. Ces groupes ont été démonté par les Allemands et expédiés vers une destination inconnue (sous-marins ? Mur de l’Atlantique). Ils ont été remplacés, en 1953, par les groupes actuels actionnés par 2 moteurs Sulzer de 175 ch. Le courant électrique (440 V) est conduit à la sous-station où il est transformé pour l’éclairage. Seuls les moteurs actionnant les tourelles des blocs de combat fonctionnaient au courant continu (110 V) pour garantir une souplesse de rotation et de précision des moteurs. Une réserve de 120’000 litres de gas-oil  et 3’000 litres d’huile assuraient une autonomie de fonctionnement d’environ 3 mois à l’ouvrage.

Le plan incliné ascendant

Le plan incliné relie la partie inférieure de l’ouvrage (entrée munitions et usine électrique) au niveau supérieur regroupant la caserne et les blocs de combat. Toutes les munitions et le matériel devaient obligatoirement  transiter par cette longue rampe, au moyen d’une benne installée sur un chariot tracté sur rails par un système de treuil et de contrepoids. Cette installation, unique dans la Ligne Maginot du Nord-Est, constitue la principale originalité de cet ouvrage.

Le puits artésien

Situé à proximité de l’usine, le puits artésien de 214 m de profondeur découvert lors de la construction permettait de débiter 6000 litres à l’heure, à une température de 16°. Il alimentait 3 réservoirs autorisant une contenance totale de 150’000 litres, qui assurait à l’ouvrage une autonomie complète et illimitée, cas unique dans la Ligne Maginot .

Les magasins à munitions

L’ouvrage n’est pas équipé de magasin principal (M1), celui-ci ayant été supprimé pour des raisons budgétaires lors de la construction, de même que le 7e bloc de combat prévu originellement. Il existe des magasins à munitions (M2) au pied de chaque bloc. Leur capacité varie selon l’importance du bloc. Elles permettaient le stockage des réserves de munitions. Les tourelles disposent d’un troisième magasin (M3), situé près de la pièce et destinées à l’alimentation directe de celle-ci. Leur capacité de stockage est d’environ 600 obus.

Les blocs de combat

L’ouvrage comporte 6 blocs de combat disposés de manière rayonnante de façon à pouvoir se flanquer mutuellement et à former un périmètre défensif ramassé. Ces blocs sont équipés de l’armement suivant :

Bloc 1 : 1 tourelle de 135 et 2 cloches GFM.

Bloc 2 : 1 tourelle de 75 modèle 32 R, 1 cloche M et 1 cloche GFM.

Bloc 3 : 1 tourelle de 81 et 1 cloche GFM.

Bloc 4 (casemate d’infanterie Est) : 2 cloches M, 1 cloche GFM, plus une cloche observatoire VDP.

Bloc 5 : tourelle de mitrailleuses, 1 cloche GFM.

Bloc 6 (casemate d’infanterie et de flanquement Ouest) : 1 créneau JM/AC 47, 1 créneau JM, 1 cloche M, 1 cloche GFM, 1 cloche observatoire VDP.

 

Abréviations :

GFM = guêt/fusil-mitrailleur.

M = mitrailleuse.

JM =  jumelage de mitrailleuses.

AC 47 = canon antichar 47mm.

Description du bloc 2

On y accède par un sas chargé de maintenir le bloc en surpression permanente, pour faciliter l’évacuation des gaz de tir et empêcher la pénétration d’éventuels gaz de combat. Il permet de rejoindre le magasin M2 du bloc qui comprend 3 salles de stockage. Un monte-charge et un escalier relient ce niveau inférieur  aux installations de la tourelle (20m de dénivelé).

Le bloc proprement dit comprend 3 étages superposés.

Le 1er étage comprend 2 chambres de repos pour l’équipage desservant la tourelle, le bureau du commandant de bloc, un W.C., ainsi que le mécanisme de contrepoids permettant l’élévation et l’éclipse de la tourelle.

Le 2ème étage comporte les magasins M3 destiné à l’alimentation directe de la pièce, la citerne à eau, ainsi que les puits d’accès aux cloches, protégés par une dalle en béton armé de 3,5 m d’épaisseur et 1,5m de terre.

Le 3ème étage, que l’on atteint par une échelle,  abrite le canon de 75mm et la chambre de tir où travaillaient 2 à 3 canonniers.

L’ensemble de la tourelle en acier pèse environ 100 tonnes (partie mobile). Elle est équipée de petits ascenseurs à munitions, d’une gaine d’évacuation des douilles et d’un dispositif de rotation sur 360°.

La résistance acharnée du Four-à-Chaux en mai-juin 1940

Fausses alertes

Les troupes de forteresse furent mobilisées à trois reprises avant la déclaration de guerre. Une première fois au printemps 1938, lorsque l’annexion de l’Autriche au IIIe Reich (Anschluss) provoqua un premier regain de tension international; une seconde fois en automne de la même année, lorsque Hitler annexa unilatéralement les Sudètes au détriment de la Tchécoslovaquie, et enfin 6 mois plus tard (mars 1939), lorsque le Führer décida d’envahir la Bohème. Pour l’équipage du Four-à-Chaux, l’organisation de la vie dans l’ouvrage ressemblait à celle qui prévalait à bord des navires de la Marine, sauf qu’ici elle se déroulait sous terre.

La quatrième mobilisation (24 août 1939), engendrée par l’invasion de  la Pologne par les troupes allemandes, fut suivie par les longs mois d’attente de la « drôle de guerre ». Début septembre, la population des villages situés en avant de la Ligne Maginot est évacuée en Haute Vienne. Au début janvier 1940, l’équipage du  Four-à-Chaux reçoit la visite du premier ministre anglais Winston Churchill. L’attente  continue, pénible et démoralisante car l’ennemi que l’on attendait ne vient pas.

Première escarmouches

 Le 18 janvier, l’ouvrage ouvre le feu pour la première fois : la tourelle du bloc 2 tire 80 obus de 75. L’objectif est le village allemand de Nothweiler où est stationnée une unité du génie allemand. Le 17  mars, l’équipage est surpris par une alerte au gaz « moutarde », des grenades au gaz ayant explosé près du bloc 6. Le Four-à-Chaux reste en alerte toute la nuit. Le 10 mai, Hitler déclenche son offensive à l’ouest et lance ses troupes à l’assaut de la Hollande, de la Belgique et du Luxembourg. Dans un premier temps, les troupes allemandes semblent concentrer leurs efforts sur le Bénélux, dans une tentative pour tourner la Ligne Maginot. Mais c’est un piège mortel tendu par Hitler, dans lequel s’engouffrent les Alliés franco-britanniques. Le Führer lance alors ses blindés à travers les Ardennes, pourtant réputées impraticables par l’Etat-Major français, et perce à Sedan, selon les meilleures principes du Blitzkrieg. Le front français est enfoncé et les Panzer divisions se ruent massivement vers Abbeville et la Manche, en un long mouvement de faucille destiné à refermer le piège sur les forces franco-britanniques aventurées en Belgique. Il en résultera le désastre de Dunkerque…

Dans la région des Vosges, plusieurs accrochages ont lieu. Le 12 mai, les Allemands se ruent à l’assaut du pose d’observation de la Schaufelshalt à Wingen et s’en emparent malgré l’intervention du bloc 2 du Four-à-Chaux, il est  vrai au prix de lourdes pertes…

Le 13 mai, tôt le matin, des combats violents ont lieu au Litschhof, où les troupes d’intervalles sont rapidement encerclées par les Allemands. Suite à une demande d’appui de feu faite par le capitaine Faure au Hochwald Est, le bloc 2 du Four-à-Chaux intervient également, causant par ses tirs des pertes importantes aux Allemands. Le 18 mai, on signale qu’un ouvrage fortifié de la Ligne Maginot est tombé sous les coups de l’ennemi dans le secteur fortifié de Maubeuge, faisant 107 morts parmi les défenseurs. L’offensive allemande se précise sur le front nord et nord-est.

Les Allemands à l’assaut de la Ligne Maginot

Les 14 et 15 juin, la Wehrmacht déclenche une offensive amphibie sur le Rhin, qui est franchi le 15, tandis que la 1ère allemande, venant du nord, lance une attaque frontale contre tout le secteur de la Ligne Maginot qui s’étend de Sedan jusqu’à Longuyon, dans la trouée de la Sarre, la région des Basses Vosges (région de Bitche à Lembach). Craignant l’encerclement,  l’Etat-Major français décide le repli général de l’armée française sur une ligne de défense arrière et le retrait des troupes d’intervalles chargées d’appuyer et de défendre les ouvrages de  la Ligne Maginot (14 juin).  Ce repli des troupes d’intervalles se fait  malheureusement dans des conditions particulièrement difficiles, à pied faute de moyens de transports, si bien qu’une  grande partie de ces unités tombent rapidement aux mains des Allemands dans les Vosges. Affaiblie par ce retrait, la Ligne Maginot subit alors de plein fouet l’assaut allemand ! Forte de 20 divisions, la Wehrmacht lance la 27e Division à l’assaut du secteur fortifié de Longuyon, la 11e Division contre celui de la Sarre, la 246e Infanterie Division contre celui de la Lauter. De son côté, le secteur fortifié des Vosges est attaqué par la 215e Infanterie Division.

Les 15, 16 et 17 juin, les premières patrouilles allemandes signalées au col de Gunsthal sont prises à partie par le bloc 2 du Four-à-Chaux. Le 18, une batterie d’artillerie allemande 75 FK 16 repérée au nord-ouest de Lembach ouvre le feu sur le bloc 5 mais elle est bientôt anéantie par la tourelle de 135 du bloc 1. De son côté, le bloc 5 de l’ouvrage voisin du Hochwald tire des obus de 75 sur un groupe d’infanterie repéré au même endroit. Dans l’après-midi, les blocs 12, 13 et 14 du Hochwald tirent sur le nord-ouest du village de Lembach où les Allemands s’étaient réfugiés. Plusieurs maisons sont détruites.

Echec de l’artillerie lourde allemande

Entre-temps, la 215e Infanterie Division a reçu des renforts qui permettrons de museler les ouvrages fortifiés : il s’agit de 4 pièces 88 FLAK et de l’artillerie lourde comprenant 1 canon de 355mm et 1 canon de 420mm. La mise en batterie de ces pièces lourdes, qui pèsent respectivement 78 tonnes et 155 tonnes, s’avère toutefois plus difficile que prévu. Le terrain détrempé par les pluies provoque des enlisements et des embouteillages. Finalement, tout est prêt le 19 juin et, tôt le matin, un ballon d’observation s’élève dans le ciel pour permettre le pointage des pièces. Les lourdes pièces entament leur tir contre le Four-à-Chaux et le Hochwald mais ne parviennent pas à atteindre leur cible. Malgré tous les efforts déployés, les Allemands ne parviendront pas à régler correctement leurs pièces de 355 et 420mm. De leur côté, les casemates de La Verrerie, Markbach, Nagesthal, Gunsthal, Windstein  sont pilonnées durant 2 heures.

La Luftwaffe déverse un déluge de fer et de feu sur l’ouvrage

A 9h30, c’est la Luftwaffe qui prend la relève. Des nuées de Stukas apparaissent dans le ciel ; plongeant en piqué dans le hurlement sinistre de leurs sirènes, ils déversent leurs lourdes bombes sur les casemates. Craignant un assaut imminent de l’infanterie allemande, les défenseurs de celles-ci sollicitent aussitôt les tirs de protection du Four-à-Chaux et du Hochwald Ouest qui causent des pertes à l’ennemi.  A 10 heures, le Petit-Ouvrage de Lembach qui soutenait les casemates des alentours est pris à parti par 27 Stukas. A 12h15, l’observatoire du Col de Wieb signale 30 Stukas au-dessus du Four-à-Chaux ! Malgré les tirs de protection du Hochwald sur les avions, le bloc 6 du Four-à-Chaux est touché : on déplore des dégâts à l’extérieur comme à l’intérieur et un officier est blessé. A 14 heures, les bombardiers en piqué s’en prennent au bloc 2. Des tirs de D.C.A. sont déclenchés par le Hochwald Ouest. A 15h, 17h, 18h et 20h, des bombes de gros tonnages pleuvent sur les superstructures du Hochwald. Le Four-à-Chaux déclenche à son tour un tir de D.C.A. sur les Stukas. A 16h30, c’est au tour de l’ouvrage du Schoenenbourg d’être bombardé. A 18 heures, le bloc 6 du Four-à-Chaux réussit à détruire une voiture allemande sur la route de Mattstall. Vers 19 heures, le Capitaine Faure, commandant de l’artillerie du Four-à-Chaux, demande l’intervention du bloc 13 du Hochwald. Les obus de 135mm sifflent vers le village de Lembach. De 22 heures à 4 heures du matin, le bloc 12 du Hochwald expédie 400 obus fusant de 75 sur le réseau de rails du Four-à-Chaux où des Allemands ont été repérés. Vers 20  heures, Woerth et Haguenau sont occupés par les Allemands. La 215e Infanterie Division déplore des lourdes pertes.

Le 21 juin, le Four-à-Chaux, le Petit-Ouvrage de Lembach ainsi que 20 casemates et blockhaus, toujours invaincus, passent au secteur fortifié de Haguenau qui poursuit opiniâtrement la lutte. Le 24 juin à 8h20, le Four-à-Chaux tire sur 3 soldats allemands à bicyclette qui sont également pris pour cibles  par le P.O. de Lembach. Dix minutes plus tard, le bloc 6 ouvre le feu sur 3 camions allemands dont la progression a été bloquée par une barrière antichar sur la route de Woerth. Les 3 véhicules sont détruits et seuls deux survivants en réchappent. A17h00, le bloc 2 tire ses ultimes obus sur la route de Pechelbronn. En effet, l’armistice entre en vigueur quelques heures plus tard, le 25 à 0h35 !

Le Four à Chaux ne se rend pas !

Pourtant, la garnison du Four-à-Chaux ne se rend pas et continue à résister dans l’ouvrage jusqu’au 1er juillet. Finalement, il fallut un ordre écrit du commandement français pour que les ouvrages invaincus acceptent de faire leur reddition aux Allemands, après leur avoir causé des pertes sévères…

Désarmés, mais fiers de leur résistance victorieuse, ils prirent le chemin de la captivité en direction de Haguenau, sous les démonstrations de sympathie de la population alsacienne ; partout, les gens offraient à boire au soldat, parfois allant jusqu’à leur distribuer sans compter des seaux entiers remplis de vins ! Lors de la sortie de la troupe de l’ouvrage du Four-à-Chaux, le 1er juillet 1940, un jeune soldat originaire de Lembach fut salué d’un tonitruant « Heil Hitler » par les soldats allemands. Plein d’esprit, et pas intimidé pour un sou, il eut la présence d’esprit de leur rétorquer : « Entschuldigung mein Soldat, ich kann den Führer nicht heilen, ich bin ja nicht Arzt ». Ce qui peut se traduire par : « excusez-moi mon soldat, je ne puis guérir le Führer, je ne suis pas médecin » (Heil peut en effet être interprété comme l’impératif du verbe heilen signifiant « guérir »).

L’ouvrage du Four-à-Chaux durant l’occupation : l’opération « TAIFUN »

Dès le 1er juillet 1940, les Allemands occupent  l’ouvrage. Vu qu’ils na plus aucune utilité stratégique pour l’occupant, les Allemands démontent les 4 groupes électrogènes de l’usine pour les expédier vers une destination inconnue. Peut-être ont-ils été réinstallés dans des sous-marins ou sur le Mur de l’Atlantique. Après avoir également récupéré l’armement, les Allemands utilisent le Four-à-Chaux pour expérimenter la mise au point d’une méthode d’attaque pour la prise de fortification. Cette opération, conduite par la 3e compagnie du Pionier-Lehr-Bataillon de Cologne, est baptisée du nom de code « Taifun » (Typhon). Il s’agit de mettre en oeuvre une méthode particulière visant à prendre un ouvrage par la mise hors combat des occupants à l’aide d’ondes de pression.

La technique expérimentée au Four-à-Chaux se déroulait en 2 temps et comportait 2 phases distinctes :

  1. Soutenue par l’artillerie et l’aviation, une unité commando de choc attaque d’abord un bloc à l’aide de lance-flammes et de charges explosives pour mettre hors combat ce poste et y pratiquer à l’aide d’un charge creuse une ouverture de 10 à 20 cm dans le béton. Une fois cet objectif atteint, le commando se retire sans chercher à pénétrer à l’intérieur.
  2. Ce n’est qu’à ce moment qu’entre en action le groupe spécialisé « TAIFUN », qui procède à l’injection dans le poste de combat d’un gaz éthylénique destiné à former, en se combinant à l’oxygène de l’air, un mélange excessivement explosif. On procède alors, depuis l’extérieur, à la mise à feu électrique du mélange qui déclenche une formidable explosion destinée à tuer les rescapés encore vivants et à détruire les portes blindées reliant le poste aux galeries de l’ouvrage. En principe, à la première injection de gaz devait suivre une ou plusieurs autres en vue de la mise hors de combat progressive de l’ensemble de l’ouvrage.

Ces essais se révélèrent particulièrement concluants. Ainsi, la tourelle mobile du bloc 1 fut éjectée de son encuvement lors d’un exercice avec injection très importante d’un mélange éthylène-oxygène. Le reste du bloc ne vaut guère mieux et présente un univers sinistre de désolation. Tout est broyé, déchiqueté, pulvérisé ! Les dégâts occasionnés au bloc 1 sont tels que le poste tout entier dut être abandonné et isolé du reste de l’ouvrage lors de la remise en état qui intervint après la guerre. Pour se faire une idée de la violence obtenue par ces explosions en lieu clos, il suffit de rappeler que des pressions supérieures à 40 atmosphères furent enregistrées lors de certains essais !

L’après-guerre

Le reste de l’ouvrage est réparé par l’armée française durant les années 1950, sous la pression et avec l’aide financière des Américains qui estiment que le rétablissement de la Ligne Maginot peut constituer un obstacle et une ligne de résistance efficace en cas de déferlement des troupes du Pacte de Varsovie sur l’Europe occidentale. Entre autres, la tourelle de 81 est remplacée par celle qui était destinée en 1940 à l’ouvrage de Plan-Caval, dans les Alpes Maritimes.

Appartenant à l’Armée de l’Air (base aérienne 901 de radars de Drachenbronn) au moins jusqu’en 1999, l’ouvrage est ouvert aux visiteurs depuis 1983 (plus de 40’000 visiteurs chaque année), grâce aux efforts du Syndicat d’initiative de Lembach. La visite comprend notamment l’entrée hommes, la caserne, le PC, le bloc 2 (tourelle de 75), le fameux plan incliné, l’usine, un petit musée et, finalement, l’entrée des munitions…

 

 

 

 

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz