LE TIGER II « KÖNIGSTIGER » – MUSEE REUENTHAL – ARGOVIE -SUISSE

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Le Tiger II « Königstiger » (Tigre royal), est le plus puissant char de combat que les Allemands aient aligné durant la seconde guerre mondiale. Les spécialistes s’accordent à le considérer comme le meilleur char lourd du conflit. La puissance de son armement, de son blindage et de sa motorisation lui permettaient de surclasser tous ses opposants et d’engager le combat à des distances bien plus grandes, qu’il s’agisse des chars soviétiques JS-2 et JS-3 ou du char américain M26 Pershing. Cette version améliorée et optimisée du Tiger I, conçue avant tout pour les vastes espaces du front de l’Est, fut engagée aussi bien en Europe occidentale qu’à l’Est. Mais il apparut trop tard et fut engagé en trop petit nombre pour influer sur le cours de la guerre, surtout à l’ouest où le terrain étriqué et compartimenté ne lui permettait pas de tirer parti des extraordinaires qualités balistiques de son canon.

Histoire

L’étude du Königstiger commençe dès le mois de mai 1941, un an avant l’entrée en production de son frère ainé, le Tiger I. Dès la fin 1942, le projet dérive vers une étude plus précise : un char lourd qui puisse succéder au Tigre. En janvier 1943, Hitler, après lecture du cahier des charges, impose pour le nouveau char un canon de 88 mm plus long à haute vélocité, un blindage frontal de 180 mm et un blindage latéral de 80 mm (40 mm pour l’arrière du châssis et le toit de caisse). À la lumière de l’expérience au combat du tout nouveau char moyen Panther (Panzer V), il est décidé que le blindage serait incliné et coulé en une seule pièce de façon à être plus résistant et à favoriser le rebond des projectiles tout en opposant une plus grande épaisseur de cuirassement aux coups adverses.

Comme pour le Tiger I, les firmes Henschel et Porsche se lancent sur le projet. Porsche étudie deux versions, l’une avec une tourelle centrale et l’autre, très moderne, avec une tourelle décalée très en arrière sur le châssis (comme le char Merkava développé par Israël à la fin des années 1970). Mais, comme pour le Tiger I, le concept de transmission et de châssis adopté par Porsche est trop avancé pour les techniques de l’époque. Aussi c’est le design d’Henschel, plus conventionnel mais néanmoins beaucoup plus moderne que le Tiger I, qui emporte le marché, notamment parce qu’il permet de réduire les coûts en intégrant un certain nombre d’éléments déjà utilisés sur le char Panther. Une commande de 1 500 Tiger II « Königstiger » est passée, mais seuls 489 chars pourront être construits avant la fin de la guerre, notamment à cause de la destruction de l’usine Henschel de Kassel par les bombes américaines.

Les cinquante premiers exemplaires sont équipés de la tourelle « Krupp » prévue pour le modèle Porsche, dont la fabrication avait été lancée un peu trop hâtivement. Les exemplaires suivants reçoivent une nouvelle tourelle qui a été spécifiquement redessinée par l’industriel. Cette tourelle, dite de série, permet d’emporter plus de munitions et corrige surtout un grave défaut de la précédente. En effet, la tourelle « Krupp » prévue pour le modèle Porsche comporte un manteau du canon bombé en forme de demi-cylindre horizontal, semblable à celui équipant les premières tourelles du Panther. Au cas où un obus viendrait à toucher de plein fouet la partie inférieure de ce manteau, cette courbure risque de faire ricocher l’obus vers le bas et de le diriger vers le toit du poste de pilotage, faiblement blindé. Ce défaut est corrigé sur la nouvelle tourelle de série qui est dotée d’un mantelet « en groin de cochon » qui permet de faire rebondir les obus vers le haut ou latéralement en cas de ricochet. L’adoption de cette nouvelle tourelle profilée a toutefois un inconvénient : celui d’alourdir considérablement le char, déjà énorme, qui passe ainsi de 68,5 à 69,8 tonnes, soit 15 tonnes de plus que le Tiger I. Au final, le « Königstiger » est donc plus lourd que les chars de bataille actuels Leclerc ou Léopard II.

Pour déplacer une telle masse de métal, le plus puissant moteur de char de l’époque lui-même se montre un peu faible : le Maybach HL 230 P30 12 cylindres de 700 chevaux, parfait pour le Panther de 43 tonnes, supporte mal les 27 tonnes de charge supplémentaire du « Königstiger ». Pour palier ce problème et éviter une usure rapide du moteur, les ingénieurs décident de lui accoupler une boîte de vitesses très complexe, avec 8 rapports avant et 4 rapports arrière, afin de démultiplier les efforts et de permettre au titan de se déplacer convenablement. Ils mettent également au point un différentiel de chenille permettant au char de tourner sur place, caractéristique encore rare à l’époque ; cette capacité à virer sur place est notamment très utile pour compenser la relative lenteur de la tourelle et permet aux équipages d’exposer le blindage frontal (plus épais) en cas de danger repéré à temps. Les ingénieurs mettent aussi au point un système de train de roulement permettant d’éviter que les chenilles ne s’enrayent avec la boue, la glace et les cailloux, problème récurrent rencontré sur le Tiger I. A l’usage, ce système s’avére cependant délicat à entretenir. Comme pour le Tiger I, deux jeux de chenilles sont prévus : une paire de 66 cm de largeur pour le transport et une de 80 cm pour le combat. Ces chenilles extra larges permettent au Königstiger d’avoir une bonne tenue sur sol instable, notamment dans la boue, malgré son poids énorme, la charge étant répartie sur une plus grande surface, d’où une pression au sol finalement assez faible. Ceci ne change en revanche pas grand-chose au fait que le char est trop lourd pour la majorité des ponts et des ouvrages d’art de l’époque, ce qui réduit considérablement ses possibilités de déploiement tactique.

Avec un ratio de seulement 10 chevaux à la tonne, le char souffre également d’un cruel manque de mobilité et sa consommation dantesque est un véritable cauchemar pour les unités de ravitaillement. Sa vitesse plafonne à 38-41 km/h sur route, et descend à 17-20 km/h en tout terrain. La consommation de 500 litres aux 100 kilomètres ne lui permet qu’une faible autonomie de 120 km sur route (80 km dans le terrain), d’autant plus handicapante que le Reich manque drastiquement de carburant. De plus, les efforts sur la transmission dus au poids excessif du mastodonte et la fragilité de la boîte de vitesses, trop complexe, entraînent des pannes fréquentes et nécessitent une maintenance constante pour maintenir l’opérabilité du char.

Le Königstiger est armé d’un canon à haute vélocité 8.8cm KwK 43 L/71, approvisionné à 86 obus. Ce tube, dont le fût mesurait 6,30 m de longueur, constitue un réel progrès par rapport au 8.8 cm KwK L/56 du Tigre I. La portée effective de ce nouveau canon long est en effet de dix kilomètres. Il peut percer le blindage frontal d’un T-34/85, d’un Sherman ou d’un char Cromwell à 3,5 kilomètres, au-delà même de la portée d’engagement des canons des blindés adverses. L’optique de visée du canon est elle aussi à la hauteur de ces extraordinaires caractéristiques balistiques et garant une grande précision. À titre indicatif, le canon du Königstiger perfore entre 132 et 153 mm de blindage incliné à 30° à 2 000 mètres de distance. De quoi détruire tout adversaire potentiel avant même qu’il ne puisse engager le Tiger II, à condition de pouvoir évoluer sur un terrain ouvert! Ce canon, qui fait du Tiger II le roi du champ de bataille, a été pensé pour les vastes étendues dégagées du Front de l’Est et les immenses steppes russes, pas pour le terrain compartimenté de l’Europe occidentale.

L’ensemble du char est protégé par un blindage très épais et fortement incliné, coulé d’une seule masse, que seules quelques armes de l’époque peuvent vaincre, et encore, seulement à très courte portée et sous un angle favorable. Aucun de ces monstres n’a jamais été perforé par l’avant du fait de l’épaisseur du cuirassement (180 mm). Néanmoins les flancs pouvaient être percés dans certaines conditions par les Sherman Firefly, M26 Pershing, les T-34/85 et le JS-2. Un témoignage d’un chef de char de la 2e US Armoured Division, en 1945, indique bien la terreur qui saisissait les équipages alliés à l’apparition de ce mastodonte sur le champ de bataille :

« Un jour un Tigre Royal me repéra à 150 mètres et mit mon char hors de combat. Cinq de nos tanks ont ouvert le feu sur lui, de 200 à 600 yards (180 à 540 mètres). Six obus touchèrent le Tigre de face et ricochèrent sur sa cuirasse. L’engin recula et disparut dans la forêt. Si nous avions des chars comme ceux-là, nous serions tous rentrés chez nous aujourd’hui. »

Le Königstiger n’est pas endivisionné, à l’instar de son prédécesseur, et remplaçe progressivement le Tiger I dans les Schwere Panzer Abteilungen. Ces bataillons de chars lourds, très fortement armés et disposant du meilleur matériel existant, sont destinés à intervenir sur les points chauds pour effectuer des percées décisives ou colmater des brèches dans le front. Ces unités spéciales sont déplacées en fonction des circonstances et jouent en quelque sorte le rôle de « pompiers » du front. Cent cinquante Köngistiger sont attribués à des unités de la Waffen SS, tous les autres étant affectés à la Wehrmacht. Ils arrivent sur le front à partir de février 1944. Les premiers engagements impliquant des Tiger II ont lieu autour de Minsk en mai de la même année. Leur action est cependant restreinte, surtout sur le front Ouest, du fait de la pénurie de carburant affectant la Wehrmacht, des pannes et des problèmes techniques inhérents à leur mécanique, et du harcèlement constant des avions d’attaque au sol qui empêchent les unités de chars d’évoluer de jour. De nombreux Königstiger prennent également part à l’offensive des Ardennes, mais là encore ils ne peuvent démontrer leurs excellentes qualités dans un terrain fortement compartimenté et particulièrement vallonné qui n’offre que des possibilités d’engagement à courte distance. L’un d’eux, placé à la pointe des unités de tête, réussit à atteindre la localité de la Gleize où il est abandonné par son équipage, faute de carburant pour poursuivre la percée.  Le dernier char de la guerre à être détruit est  aussi un Tigre Royal, saboté par son équipage suite à un problème mécanique, le 10 mai 1945, en Autriche.

Aujourd’hui, l’un des derniers Königstiger à être maintenu en état de marche est exposé au Musée des Blindés de Saumur (France). Certaines années, il est possible de le voir en démonstration, lors du Triomphe de l’école des Cadets qui a lieu annuellement au début de l’été. Un autre Königstiger, superbement restauré et remis en état de marche, constitue le clou des collections de blindés du  Schweizerisches militärmuseum Full, près de Reuenthal (Suisse), D’autres exemplaires existent  également au musée Patton (USA), au musée des blindés de Bovington (Grande-Bretagne) et au musée des blindés de Munster (Allemagne, Basse-Saxe).

Le Königstiger présenté ci-dessous était en service à partir du 12 septembre 1944 au sein du Schwere Abteilung 506. Il a participé à la fameuse bataille d’Arnhem et a pris part à l’offensive des Ardennes lancée par Hitler durant l’hiver 1944-45. Il a été offert à l’armée suisse par la France après la guerre et constitue aujourd’hui le « fleuron » des collections du musée militaire suisse de Full/Reuenthal (Argovie), sur les bords du Rhin.

Caractéristiques du Tiger II « Königstiger »

Equipage 5
Poids 69,8 tonnes en ordre de combat
Longueur totale 10,28 m
Longueur de la caisse 7,62 m
Largeur totale 3,75 m (avec chenilles de combat)
Hauteur 3,09 m
Blindage frontal 180 mm
Blindage latéral 80 mm (dièdre fortement incliné)
Blindage arrière et toit 40 mm
Armement principal 8.8cm KwK 43 L/71 à haute vélocité (86 obus).
Longueur du tube : 6,30 m. Portée effective : 10 km
Capacité de perforation 132-153 mm inclinés à 30° à 2000 mètres.
Armement secondaire 2 à 3 mitrailleuses MG 34 de 7,92 mm (5850 coups)
Motorisation V12 Maybach HL 230 P30 Benzin 12 cylindres.
Puissance 700 ch (514,8 kW)
Puissance massique 10 ch. / tonne
Vitesse max. sur route 38 à 41 km/
Vitesse max. hors route 17 à 20 km/h en tous terrains
Consommation 500 litres / 100 km
Autonomie 120 km sur route, 80 km en tous terrains
Boîte de vitesse Maybach Olvar 40 12 16, semi-automatique.

8 vitesses en marche-avant, 4 vitesses en marche arrière

Largeur des chenilles 80 cm (combat), 66 cm (transport)
Suspension Barres de torsion
Quantité 1500 exemplaires commandés, 469 chars construits

 

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz