L’A4b… la version ailée du V2 – Allemagne

La fusée expérimentale A4b était une évolution optimisée de la fusée A4 (mieux connue sous son nom opérationnel de V2). Il s’agissait en fait d’une fusée A4 équipée d’ailes et d’un nouveau système de propulsion beaucoup plus puissant. Sa portée, deux fois supérieure à celle du V2 classique, en faisait une arme idéale pour effectuer des frappes de harcèlement stratégique à longue portée, sur des cibles éloignées de 450 à 650 km. Une fois mise au point, les nazis projetaient de la produire en série et de la substituer aux A4 (V2) pour les tirs opérationnels stratégiques, de façon à élargir la liste des objectifs potentiels et à compenser le recul de la Wehrmacht. Il était prévu d’équiper l’A4b de la même tête militaire que celle du V2 : une ogive d’une tonne renfermant une charge explosive de 750 kg d’Amatol 60/40.

Le projet « A4b », élaboré au Centre expérimental de Peenemünde par l’équipe du Dr. Wernher von Braun, faisait partie d’un programme beaucoup plus vaste visant à optimiser et à accroître les performances de l’A4 / V2. Ce programme ultra secret était si sensible qu’il fut classé « Reichssache », le plus haut degré de confidentialité existant au sein du IIIe Reich. Absolument rien ne devait transpirer et seuls quelques hauts personnages triés sur le volet étaient officiellement au courant de ces recherches. Parmi eux figuraient Hitler, Himmler et Albert Speer. Pour leurrer les services de renseignement alliés, tout ce qui touchait à ce programme fut camouflé sous la désignation commerciale EMW, pour Elektrische Motor Werke.  Plusieurs pistes furent explorées en parallèles et les recherches furent menées dans deux directions différentes : l’une visait à augmenter considérablement la portée du V2 pour pouvoir frapper des cibles de plus en plus éloignées : elle donna successivement naissance aux projets de missiles-fusées A4b, A9 et A10. L’autre cherchait à développer des engins-fusées utilisant des types de carburants plus performants, plus faciles à fabriquer et à utiliser que l’oxygène liquide et l’alcool : elle donna naissance aux projets A6 et A8, des engins-fusées de reconnaissance stratégique à très grande-vitesse et à longue distance.

Le concept de l’A4b répondait avant tout au premier but, mais il servit également à explorer le second. Chronologiquement, il fut le premier à voir le jour (dès 1940 ) et fut mené parallèlement à la conception de l’A4. De tous les projets de développement imaginés sur la base de l’A4, il  fut le seul qui déboucha sur des tirs d’essai avant la chute du Reich.

Historique de l’A4b

Initialement, le concept du V2 ailé fut référencé A9 par l’équipe de Peenemünde. Ce n’est qu’en 1944 qu’il fut rebaptisé tardivement A4b (voir plus bas). Les études pour concevoir une version ailée et boostée de la fusée à carburants liquides débutèrent dès 1941. Elles furent menées parallèlement au développement de la fusée stratégique A4 (rebaptisée plus tard V2) et progressèrent sans incident jusqu’au mois d’octobre 1942. Suite aux nombreux problèmes techniques rencontrés avec l’A4 lors des premiers tirs d’essai à Peenemünde – qui montraient à l’évidence que la fusée n’était pas au point – , le général Dornberger décida en octobre 1942 de geler le programme A9 (jugé non prioritaire) pour concentrer toutes les compétences techniques sur  la mise au point de l’A4.

Le projet du V2 ailé fut donc stoppé durant une année et demie. Il ne reprit, avec une équipe réduite, qu’en juin 1944, lorsque la A4 put enfin être déployée sous la désignation opérationnelle de V2, après élimination des défauts de jeunesse. C’est à ce moment que le projet A9 fut rebaptisé A4b, pour le distinguer du projet de fusée de bombardement à longue distance (A9) qui en était une émanation directe, et du missile à deux étages A10 (d’où une certaine confusion dans l’esprit de certains chercheurs qui mélangent les projets !). Pour la clarté du discours, nous n’utiliseront plus que la désignation A4b pour désigner la version ailée, la version standard non ailée étant appelée A4 (ou V2).

Pour accroître la portée de l’A4, l’équipe de von Braun joua sur deux tableaux complémentaires : d’une part en modifiant la configuration générale de la fusée pour accroître la durée du vol (ajout d’ailes) ; d’autre part en augmentant la puissance du moteur-fusée en utilisant de nouveaux propergols expérimentaux. Dès 1941, von Braun mena ainsi des expériences au banc d’essai n° II de Peenemünde avec l’objectif d’augmenter la poussée du moteur de 25’200 kgp à 30’240 kgp. Pour la première fois le VISOL, un mélange 50/50 de benzol et de pétrole, fut utilisé comme comburant, en combinaison avec un nouvel oxydant, le SALBEI (95% d’acide nitrique et 5 % d’acide sulfurique). Ces nouveaux propergols, remplaçant l’alcool et l’oxygène liquide traditionnels de l’A4, offraient des potentialités nouvelles. Les tirs statiques effectués au banc d’essai n° II montrèrent que la pression dans la chambre de combustion augmentait jusqu’à 40 atmosphères et une vitesse d’éjection des gaz de 2310 mètre / seconde fut atteinte. Avec de telles vitesses au sortir de la tuyère, la A4b pourrait atteindre 7’290 km/h en fin de poussée, à environ 80’000 mètres d’altitude (contre seulement 5’400 km/h pour la A4 (V2) classique brûlant de l’alcool et de l’oxygène liquide. Wernher von Braun espérait même pouvoir atteindre des vitesses d’éjection des gaz de l’ordre de  3’000 mètres / seconde, en utilisant un autre mélange brûlant de l’oxygène et de l’hydrogène liquide. Il avait raison, mais ce concept avancé en propulsion n’a été réalisé avec succès par les Américains qu’au début des années 1960 avec le moteur Atlas-Centaure et les étages supérieurs de la fusée Saturne.

Parallèlement aux travaux menés pour améliorer la propulsion, les ingénieurs de Peenemünde cherchaient également à augmenter la portée du missile en modifiant la configuration même de la fusée. Dès 1940, bien avant le premier vol de l’A4 /V2, les ingénieurs avaient suggéré que la vitesse d’impact du missile (environ 875 mètre / seconde) et l’énorme énergie cinétique qui en résultait pouvaient être mieux utilisées pour augmenter la portée. Ceci devait être réalisé en dotant le missile de surfaces ailées autorisant une trajectoire aérodynamique avec des ondulations. Une fois parvenue à l’apogée de sa trajectoire balistique, après arrêt du moteur-fusée, l’ajout de surfaces portantes permettait à l’A4b de planer dans les couches supérieures de la haute-atmosphère au lieu de replonger directement vers le sol. L’A4b utilisait ainsi l’accélération acquise pour prolonger sa durée de vol et entamer sa descente selon un angle d’incidence beaucoup plus faible. D’où un accroissement notable de la portée qui passa à 450  km en utilisant le moteur classique de l’A4 et même à 650 km en utilisant les nouveaux propergols VISOL et SALBEI. Soit le double de la distance d’une fusée A4 / V2… Pour obtenir ce gain de distance, des ailes en forte flèche profilées pour le vol supersonique furent conçues. Il n’existait alors aucune réalisation équivalente au monde dans ce domaine et une longue série d’essais en soufflerie fut nécessaire en août 1944 pour valider le dessin de la voilure.

Pour accélérer la mise au point du missile, il fut décidé d’effectuer les premiers tests en vol avec une fusée A4 équipée d’ailes, mais dotée d’un moteur classique à oxygène liquide et alcool.

Le 27 décembre 1944, un premier prototype ailé de l’A4b fut tiré du pas de tir n° X de Peenemünde, mais le système de guidage tomba en panne presque aussitôt, déstabilisant la trajectoire de la fusée. Une seconde tentative effectuée du même pas de tir le 8 janvier 1945 se solda par un nouvel échec, dû cette fois à un défaut de la structure. Mais le 24 janvier 1945, un troisième prototype A4b fut lancé avec succès et passa sans difficulté le mur du son. Il atteignit une vitesse finale de 1320 mètres/seconde (4752 km/h) à une altitude de 80’000 mètres… von Braun tenait enfin son missile optimisé ! La chute rapide du IIIe Reich ne permit toutefois pas de procéder à d’autres lancements. Quelques semaines plus tard, von Braun et Dornberger évacuaient Peenemünde pour échapper à l’avance des Soviétiques, emportant avec eux ou détruisant le matériel et les documents sensibles. Le concept de l’A4b ailée, presque abouti, resta donc à jamais inachevé…

La A4b piloté…mythe et réalité

On trouve parfois mention d’un vague projet de fusée A4b pilotée, mais cela demeure généralement flou et les informations éparses sont souvent contradictoires, quand elles ne résultent pas d’une évidente confusion entre les différents projets développés à Peenemünde. Disons le d’emblée : il s’agit d’un mythe sans aucun fondement : à aucun moment, les Allemands n’ont envisagé de produire en série et à grande échelle une fusée A4b intégrant un poste de pilotage. L’A4b était un missile ailé à longue portée, radio-contrôlé à distance et dont le guidage reposait sur un système complexe de gyroscopes et d’accéléromètre intégrateur. C’était une sorte de super-V2 optimisé et équipé d’une voilure, mais rien de plus…

En revanche, il est vrai que von Braun a effectivement envisagé d’équiper un exemplaire A4b d’un poste de pilotage et d’un train d’atterrissage, mais dans un but purement scientifique. Cet engin d’essai unique, à vocation purement expérimental, fut officiellement désigné A7. Il était prévu de le construire à un seul exemplaire, et de l’utiliser à Peenemünde pour récolter en vol et ramener au sol de précieuses données scientifiques (mesures de vitesse, de portée, d’accélération, de trajectoire…). L’intention de von Braun était de créer ainsi une base de données scientifique fiable, susceptible d’être exploitée pour la conception du futur missile continental A9 et pour le missile transcontinental à deux étages A10. La fin de la guerre ne permit pas de concrétiser ce projet. Voilà pour la réalité historique…

 

Caractéristiques de la fusée  EMW  A4b :

 Type                              projet de missile stratégique ailé destiné à remplacer l’A4 (V2).

Concept                        fusée A4 équipée d’ailes en flèche et d’un nouveau système de propulsion

Masse                            16 260 kg en charge

Envergure                     3,50 m avec les ailes

Hauteur                         14,20 m

Propulsion                     moteur-fusée EMW de 32’000 kg de poussée

Ogive tactique              1 tonne (similaire au V2)

Charge explosive          750 kg d’Amatol 60/40 (similaire au V2)

Système de guidage      gyroscopes, accéléromètre intégrateur, équipement radio-contrôlé.

Comburant                    VISOL (mélange d’éther  viniléthylique et d’aniline).

Oxydant                        SALBEI (95 % acide nitrique avec 5 % d’acide sulphurique)

Catalyseurs                   T-Stoff et Z-Stoff actionnant la pompe d’injection du moteur

Vitesse espérée             7 290 km/h avec le VISOL et le SALBEI

5 400 km/h avec l’oxygène liquide et l’alcool standards

Portée                            450 km avec le moteur-fusée à alcool et oxygène liquide

650 km avec les nouveaux propergols VISOL et SALBEI

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz