LA DCA SUISSE EN ACTION (1939-1940)

Cette rubrique est illustrée par des photos d’époque à la fin du texte.

1939 : la Suisse démunie

Au tout début de la guerre, la Suisse accusait un grave déficit en pièces de DCA, suite au relâchement de l’entre deux guerres. En tout et pour tout, le pays possédait, pour la défense aérienne de ses industries et de ses villes, 4 projecteurs, 3 appareils d’écoute et 31 pièces de DCA. On ne disposait pas de pièces de DCA pour la protection des usines hydro-électriques et des barrages, pas même pour la protection des fortifications contre d’éventuels raids aériens à basse altitude. Cette lacune aurait pu coûter très cher et causer la perte du pays si l’un des belligérants avait alors décidé d’attaquer la Suisse. Par chance, ce ne fut pas le cas. La neutralité helvétique fut respectée, y compris par l’Allemagne nazie.

Conscients de cette grave faiblesse, les autorités militaires et politiques commencèrent dès 1938 à prendre des mesures pour doter le pays d’une DCA digne de ce nom et pour renforcer nos moyens antiaériens. Cet effort déboucha sur la constitution progressive des Troupes de Défense Contre Avions dont les effectifs, le 8 mai 1945, étaient 14 fois supérieurs à ce qu’ils étaient en 1939.

Durant la guerre, la DCA suisse fut équipée de canons de 20, 34 et 75 mm. Une partie dépendait directement du Haut commandement de l’Armée tandis que l’autre fut répartie en corps de troupes attribués aux grandes unités. Suite à son renforcement, la DCA devint une troupe importante et joua un rôle actif primordial dans la défense de notre neutralité. Les troupes de DCA et d’aviations furent en effet les seules à combattre réellement : elles furent engagées activement et n’hésitèrent pas à ouvrir le feu à de très nombreuses reprises pour faire respecter notre territoire par les avions belligérants, qu’ils soient alliés ou de l’Axe.

Mai – juin 1940 : succès suisse contre les chasseurs nazis

 Au mois de mai, un nombre important de batteries DCA nouvellement constituées vint renforcer les premières unités en service depuis le début de la mobilisation, après avoir parachevé leur instruction. Il était temps, car l’attaque allemande contre la France fit rapidement sentir ses effets jusque dans le ciel helvétique. Alors que le 9 mai on n’enregistrait qu’une seule violation de frontière, ce nombre passa soudain à 24 le lendemain où des bombes furent lancées sur Courrendlin (JU). Les survols de notre territoire par des avions étrangers, pour la plupart allemands, devinrent courants. Le 16 mai, les violations de notre espace aérien par les Allemands se multiplièrent de telle façon qu’elles créèrent, de fait, une sorte d’état de guerre pour nos troupes de DCA et d’Aviation qui ne cessèrent dès lors plus d’entrer en action.

A l’issue des sévères escarmouches aériennes qui opposèrent au début juin les chasseurs suisses aux appareils nazis qui violaient délibérément notre frontière (par provocation, sur ordre de Goering qui ne décolérait pas que notre petit pays ait l’impudence de vouloir défendre son espace aérien), les Allemands finirent par se retirer le 8 juin, après avoir perdu trois des leurs, dont deux furent abattus par notre aviation et un par notre DCA. Nos troupes d’Aviation et de DCA avaient fait leurs preuves et démontré qu’elles étaient à la hauteur de la tâche…

Juillet – décembre 1940 : la DCA se déchaîne contre les Britanniques

 Dès juillet 1940, la DCA lourde helvétique fut déplacée pour s’opposer aux violations de frontières réitérées commises délibérément par la RAF britannique, dont les bombardiers coupaient désormais au plus court au-dessus de notre pays pour aller bombarder de nuit les centres industriels de l’Italie du Nord, diminuant ainsi les risques. Nos batteries furent donc redéployées en fonction des axes de survol les plus fréquentés par les lourds quadrimoteurs britanniques et entrèrent en action chaque nuit jusqu’en décembre. Dès le 16 août, les équipages anglais commencèrent également à survoler le nord-est de la Suisse pour aller attaquer des objectifs situés probablement sur les rives du lac de Constance. Ces violations nocturnes réitérées se poursuivirent tout au long de l’automne et de l’hiver, provoquant le feu nourri de notre DCA. Des bombes furent même lâchées à plusieurs reprises, notamment sur Bâle le 17 décembre 1940 et à Zürich le 22 décembre. Pour ne pas favoriser l’un des belligérants, le Général Guisan ordonna alors l’obscurcissement général de la Suisse, qui fut maintenu jusqu’en 1944.

1941-1942 : deux années assez calmes

 L’année 1941 s’écoula sans que nos troupes d’aviation intervinssent dans une mesure importante. La DCA effectua quelques tirs et brûla environ 5 300 obus de différents calibres. Car durant les 8 premiers mois, les violations ne furent pas nombreuses du tout : moins d’une par jour en moyenne ! La Luftwaffe était entièrement occupée sur d’autres fronts, d’abord dans les Balkans, puis en Russie et en Afrique du nord.

1942 fut aussi calme que l’année précédente. La DCA n’entra que rarement en action et tira environ 2 500 obus de 7,5 cm. Ce ne fut qu’en octobre que des bombardiers anglais recommencèrent à violer notre espace aérien pour lancer des raids sur l’Italie du Nord. Bien que renforcée à cette occasion, la DCA n’obtint aucun succès particulier.

A la fin 1942, la DCA  suisse avait tiré au total, depuis 1939 :

  • 3 579 obus de calibre 7,5 cm (principalement contre les lourds quadrimoteurs britanniques).
  • 4 483 obus de 34 mm.
  • 861 projectiles de 20 mm.

Si les avions abattus ne furent pas nombreux en 1941-42, et que des touchés ne furent pas souvent enregistrés, il n’en est pas moins démontré que l’entrée en action occasionnelle de notre armement antiaérien se révéla efficace : les avions étrangers qui traversaient intentionnellement notre pays évitaient toujours notre DCA avec précaution. Il est évident que si cette arme avait fait complètement défaut, ils auraient méprisé notre neutralité avec d’autant plus de morgue et les violations auraient sans aucun doute été encore plus nombreuses.

1943 : la situation se complique avec l’apparition de l’USAAF

L’année commença avec l’atterrissage de quelques avions allemands qui s’étaient égarés. En juillet et août la RAF recommença à traverser la Suisse de nuit avec de grosses formations de bombardiers. La DCA helvétique se redéploya dans les secteurs les plus souvent violés et abattit 2 bombardiers anglais dans la nuit du 12 au 13 juillet.

A la suite des combats livrés au cours des bombardements stratégiques effectués sur l’Europe par l’USAAF, de nombreux bombardiers américains avariés, appartenant à la 8e flotte aérienne stationnée en Angleterre, commencèrent à se poser sur le sol suisse pour ne pas tomber aux mains des Allemands. Ces atterrissages d’urgence posèrent de nouveaux  problèmes à notre aviation et à notre DCA qui reçurent de nouveaux ordres leur prescrivant les cas où il ne fallait pas tirer. Il s’agissait de diriger ces avions endommagés aussi rapidement que possible après leur entrée en Suisse sur l’un de nos aérodromes, avec l’aide de la chasse.

1944 : la DCA acquiert une réputation redoutable

 Le début de l’année fut calme. En revanche la DCA helvétique dut fréquemment entrer en action au printemps et durant l’été. Elle ouvrit le feu soit sur des formations serrées, soit sur des avions isolés dont le comportement suspect laissait supposer des intentions hostiles. Elle acquit d’ailleurs rapidement auprès des équipages américains la réputation d’être beaucoup plus précise que la Flak allemande, si bien que les lourds quadrimoteurs de l’USAAF l’évitaient comme la peste. Les pilotes américains internés, déclarèrent que le plus désagréable pour eux avait été d’être accueillis au-dessus de la Suisse par un feu nourri dont les premiers coups étaient pour la plupart déjà très bien placés. Notre DCA dut également entrer en action de nuit, à nouveau contre les Anglais. Avant la fin de l’année, elle avait abattu un Lancaster, un Mosquito et un B-24 Libérator américain.

Le 12 septembre 1944, jour qui avec ses 72 violations de frontière, détient le record de toute la mobilisation, notre frontière du nord-est fut garnie d’une forte ceinture de DCA. Le résultat ne se fit pas attendre longtemps. Les violations d’avions étrangers diminuèrent extrêmement vite. C’est également ce jour là que le Général Guisan supprima l’obscurcissement de la Suisse étant donné que l’éclairage nocturne n’était plus de nature à favoriser un parti plus que l’autre. La DCA dut encore entrer en action à de nombreuse reprises à la fin de l’année et enregistra plusieurs touchés à cette occasion. Au nouvel an, elle avait tiré 7 700 obus de tous calibres…

1945 : dernières alertes

Durant les premiers mois de 1945, la protection DCA helvétique se déplaça sur la frontière nord et est de la Suisse, pour suivre la progression de la 1ère armée française au-delà de Belfort et de Colmar jusqu’au Rhin. Il s’agissait notamment de protéger les forces motrices du Rhin qui présentaient tant d’intérêt pour nous et d’interdire toute violation de frontières commises par des appareils des deux bords cherchant à échapper à l’adversaire, à ruser ou à couper au plus court.

Après que les Alliés eurent tenté, le 9 novembre 1944, de bombarder l’usine électrique de Zweidlen près d’Héglisau (ZH), il était légitime de compter avec la répétition de telles opérations. Ce fut donc la DCA qui supporta le poids principal de notre défense aérienne pendant les inondations et les grands froids de l’hiver 1944-45.

A notre frontière méridionale également, après les bombardements de la gare de Chiasso (TI) les 11 et 27 janvier 1945, la DCA fut sur ses gardes et abattit un avion de chasse étranger le 4 février. Celui-ci tomba juste en dehors de nos frontières.

Le 27 février fut le dernier jour où nous enregistrâmes de nombreuses actions. Ce jour-là, nos patrouilles de chasse abattirent de nouveau deux avions de bombardement alliés abandonnés par leur équipage. Le 20 avril 1945, le dernier avion américain de la guerre atterrissait sur l’aérodrome de Dübendorf (ZH), à la suite de combats livrés à l’étranger. Après lui ne se posèrent plus en Suisse jusqu’au 8 mai 1945 que 9 avions de réfugiés allemands.

Bilan

 Le 8 mai 1945, les troupes d’aviation et de DCA n’avaient plus qu’un régiment chacune en service. Les troupes ainsi que les états-majors furent licenciés les 12 et 15 du même mois.

Au moment de sa démobilisation, la DCA comprenait un effectif 14 fois supérieur à celui qui était le sien au début de la guerre. Ce chiffre montre l’effort considérable qui avait été fait pour renforcer notre défense aérienne et en faire une arme redoutée. Ce développement ne fut réalisable en un temps si court que grâce à l’industrie suisse qui fournit l’équipement et l’armement nécessaire, aux instructeurs qui firent un grand effort dans les écoles de recrues, et aux troupes de DCA qui ne ménagèrent pas leur peine, sans jamais relâcher leur vigilance, même dans les conditions les plus difficiles. Qu’ils en soient tous remerciés ici, car c’est aussi à eux que notre petit pays, à l’époque très isolé, doit d’avoir conservé sa souveraineté et sa liberté en ces temps difficiles.

Résumée en chiffres, l’activité des troupes d’aviation et des troupes DCA au cours des 6 années de guerre offre le bilan suivant :

  • En tout, 188 avions atterrirent en Suisse, soit contraints, soit volontairement, pour échapper à leur poursuivant ou en raison de dommages subis ou de problèmes techniques.
  • Le territoire suisse fit l’objet de 70 bombardements, essentiellement par des avions alliés. La plupart s’expliquent par des erreurs de jugement des pilotes, quelques-uns furent peut-être délibérés.
  • 30 appareils étrangers s’écrasèrent ou tombèrent sur sol suisse.
  • 16 autres furent descendus par nos avions de chasse.
  • 10 autres furent abattus par notre DCA.
  • 105 appareils furent contraints par notre chasse d’atterrir sur sol helvétique et furent internés pour la durée de la guerre.
  • Nos patrouilles de chasse furent engagées 490 fois au cours de la guerre.
  • La DCA tira un total de 24 303 obus de différents calibres et enregistra, à part les 30 avions abattus, un grand nombre de touchés…

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz