Mai – juin 1940 : succès suisse contre les chasseurs nazis

 

Au mois de mai 1940, le Blitzkrieg déclenché par les Allemands contre la France fit rapidement sentir ses effets jusque dans le ciel helvétique. Alors que le 9 mai on n’enregistrait encore qu’une seule violation de frontière, ce nombre passa soudain à 24 le lendemain où un appareil allemand lança des bombes sur Courrendlin (JU), sans doute par méprise vu l’absence de repères frontaliers évidents. Les survols de notre territoire par des avions étrangers, pour la plupart allemands, devinrent dès lors de plus en plus fréquents. Le 16 mai, les violations de notre espace aérien par les Allemands prirent une telle ampleur qu’elles créèrent, de fait, une sorte d’état de guerre pour nos troupes de DCA et d’Aviation qui ne cessèrent dès lors plus d’entrer en action jusqu’à la signature de l’armistice et même au-delà…

Au début juin, le Feldmarschall Goering, irrité que la petite Suisse prétende défendre sa neutralité armée, ordonna, par provocation, à la Luftwaffe de violer délibérément l’espace aérien helvétique pour provoquer des incidents. Il s’ensuivit, au début juin, une série de combats acharnés et meurtriers entre pilotes allemands et suisses au-dessus de la partie nord-ouest du territoire helvétique, limitrophe de la France. Cet épisode, souvent ignoré, mérite d’être relaté.

A cette époque, la petite aviation suisse était déjà sortie de sa léthargie de l’entre deux guerres. Elle avait été fortement développée depuis les premiers jours du conflit et entendait bien se défendre, en combattant farouchement tout intrus, quel qu’il soit. En juin 1940, l’aviation suisse disposait de 90 chasseurs aptes au combat. Parmi ceux-ci figuraient 50 Messerschmitt Me 109 flambants neufs qui avaient été commandés et payés avant le début des hostilités et que les Allemands venaient de nous livrer quelques mois auparavant. Ces chasseurs ultra modernes constituèrent le fer de lance des troupes d’aviation helvétiques durant toute la guerre. C’est ainsi qu’au début juin, plusieurs duels aériens violents opposèrent des Messerschmitt suisses, portant la croix fédérale blanche sur fond rouge, à des Messerschmitt allemands, arborant la croix balkanique noire et blanche, emblème de la Lufwaffe.

Premières violations de frontière et premiers duels aériens

 Le 1er juin, 12 bombardiers allemands Heinkel 111 pénétrèrent délibérément dans l’espace aérien helvétique. Quatre chasseurs suisses décolèrent aussitôt et les interceptèrent au-dessus du Jura helvétique. Lorsqu’ils sommèrent les pilotes allemands d’atterrir immédiatement, ils essuyèrent le feu des appareils nazis. Ils ripostèrent aussitôt, décochant des salves bien ajustées. Deux bombardiers furent abattus, tandis que nos pilotes regagnèrent leur base sans aucune perte.

Il y eut de nouveau des combats le jour suivant, également provoqués par une formation de bombardiers allemands violant notre espace aérien. Un appareil Heinkel 111, gravement endommagé par les chasseurs suisses, fut contraint de « se vomir » sur le ventre à Ursins, près d’Yverdon (VD). Son équipage fut fait prisonnier. On n’enregistra aucune perte côté suisse.

Le 4 juin, nouvelle alerte ! Les combats se déroulèrent au-dessus des Franches Montagnes (JU). Les formations de bombardiers nazis volaient cette fois sous la protection offensive d’avions de combat. Les chasseurs suisses abattirent un bombardier dont les débris tombèrent sur sol français, mais enregistrèrent également la première perte d’un pilote. Il s’agissait du lieutenant Rudolf Rickenbacher dont l’avion fut descendu près de Boécourt (JU), à l’ouest de Delémont.

Berlin menace Berne de représailles

 Ces combats eurent des suites diplomatiques qui envenimèrent gravement la situation. Le gouvernement du Reich intervint officiellement à Berne. A peine 48 heures après le dernier combat, il fit remettre une note diplomatique au Conseil fédéral. Il protestait contre ces « actes d’hostilité », contre ces « procédés sans exemple » de la part d’un pays neutre. L’Allemagne soutenait que des bombardiers allemands avaient été attaqués et abattus par les Suisses au-dessus du territoire français, au mépris de toute légalité. Sauf dans deux cas d’erreur de navigation, disait le gouvernement nazi, aucun avion allemand n’a jusqu’à présent pénétré dans l’espace aérien suisse. La note priait fermement le Conseil fédéral de s’excuser formellement de ces « faits inouïs » et de réparer les dommages causés par les aviateurs suisses. Elle ajoutait, menaçante, que le gouvernement allemand saurait, à l’avenir, empêcher de telles attaques inqualifiables. Par le détour d’un journal hongrois informé par les milieux officiels à Berlin, le gouvernement du Reich fit savoir au monde et au Conseil fédéral qu’il était décidé à agir militairement contre la Suisse si le conflit diplomatique n’était pas réglé en quelques heures…

Le Conseil fédéral réfuta l’exposé des faits  allemand: aucun avion n’avait été attaqué au-dessus du sol français. Quant à la manière dont les combats s’étaient déroulés, il se fondait sur des indications  précises concernant le lieu et le temps. Il regrettait qu’il y eût des pertes en vies humaines, proposa de nommer une commission d’enquête, mais affirma fermement que la Suisse avait le droit et le devoir de protéger par tous les moyens sa souveraineté, y compris dans les airs …

La note suisse fut remise au ministre d’Allemagne à Berne le 8 juin. Ce jour-là, les patrouilles d’alarme helvétiques étaient dans un état de préparation renforcé dès 03h30 du matin, ce qui indique clairement la tension extrême qui prévalait à tous les échelons. La situation était critique et pouvait dégénérer à tout moment. Certains craignaient même que la multiplication de ces accrochages aériens serve de prétexte au Reich pour envahir le pays. Par chance, il n’en fut rien, même si l’idée semble avoir effleuré Hitler.

Goering, fou de rage, ordonne une expédition punitive de la « Légion Condor »

 Le 8 juin, pour la première fois, une centrale de direction des vols fonctionnait en Suisse. Sa mise en service augmenta considérablement l’efficacité de notre aviation de combat car elle permit dès lors de renseigner les formations en vol sur l’évolution de la situation dans les airs. C’est par elle que les escadrilles d’alarme helvétiques apprirent, vers la fin de la matinée, que 6 chasseurs allemands venaient à nouveau d’attaquer et d’abattre un avion suisse d’observation, près d’Alle dans le district de Porrentruy (JU). Il s’agissait d’un vieux modèle non armé, qui patrouillait le long de la frontière. Ses deux membres d’équipage, le premier-lieutenant Gürtler et le lieutenant Meuli, furent tués.

Quelques minutes plus tard, un second message radio annonça que des formations importantes d’avions allemands croisaient au-dessus du Jura suisse.

Ce n’est qu’après la fin de la guerre qu’on apprit pourquoi ces formations avaient pénétré en Suisse. Le commandant en chef de la Luftwaffe, le Reichsmarschall Goering, fulminait à tel point à Berlin de l’impudence des Suisses qu’il avait ordonné personnellement une expédition punitive. Des formations de la tristement célèbre « Légion Condor », équipées de bimoteurs modernes du type Me 110, avaient reçu des ordres formels dans ce sens.

Les patrouilles d’alarme suisses qui étaient déjà en vol reçurent par radio l’ordre de se porter aussitôt au devant des formations allemandes, pour les intercepter ; d’autres décolèrent sur le champ pour les rejoindre. Cette fois, ça allait chauffer…

Messerschmitt suisses contre Messerschmitt allemands

 Un spectacle étrange et inhabituel s’offrit aux pilotes suisses durant leur approche. Le lieutenant Thurnheer vit avec ébahissement toute une série d’avions étrangers. Le commandant Walo Hörning, qui s’approchait par un autre côté avec 8 chasseurs de son escadrille, aperçut de loin « une immense masse confuse d’avions brillant au soleil ».

Thurnheer et Hörning comprirent que les chasseurs allemands ne faisaient pas que traverser l’espace aérien suisse. Ils opéraient dans cet espace, ils l’occupaient !

Les escadrilles allemandes ne volaient pas en formation normale : elles évoluaient en rond par groupe de trois, qui tourbillonnaient à différentes altitudes pour se couvrir les uns les autres, chaque escadrille à quelque 1000 mètres au-dessus de la précédente, formant ainsi une sorte de gigantesque tour dans le ciel jurassien.

C’était une provocation ouverte. Les Suisses n’avaient pas le choix et foncèrent sans hésiter droit sur l’étrange tourbillon. Ils devaient attaquer, bien que les Allemands eussent la supériorité. Leurs Me 110 à deux moteurs étaient en effet plus modernes, plus rapides et plus maniables que les Me 109E des Suisses. En outre les Allemands étaient trois fois plus nombreux : 32 appareils allemands contre 10 Me 109 frappés de la croix blanche fédérale. La « tour » était pareille à une fortification imprenable. Le piège allemand était posé…

Selon les déclarations des pilotes, les combats tournoyants se déroulèrent d’une manière inattendue. Dès qu’un Suisse s’approchait de la « tour », un avion allemand se détachait de son escadrille et plongeait à sa rencontre. Attaqué, l’Allemand acceptait le combat, mais pour quelques instants seulement. Il s’esquivait ensuite inopinément, opérait un virage aigu et faisait mine de prendre la fuite. Le Suisse, qui le talonnait pour lui donner la chasse, le poursuivait alors jusque dans la « tour ». A ce moment, une formation allemande de trois appareils se précipitait sur lui en plongeant d’une altitude supérieure, pour le mitrailler. Le piège était soigneusement élaboré.

A ce petit jeu dangereux, la supériorité des Allemands était écrasante. Les Suisses comprirent très rapidement qu’ils devaient chercher à se libérer, à se débarrasser des chasseurs qui les attaquaient de tous les côtés, à sortir intact et indemne de cette « tour infernale ».

Par chance, les pilotes helvétiques avaient appris à se dérober. Savoir s’esquiver rapidement était leur force. Comme le disait Hörning, ils s’étaient exercés longuement et avec application, à la sueur de leur front, à trouver une parade par une manœuvre verticale. Aussi ne furent-ils guère surpris par la tactique sournoise des Allemands. Ils s’esquivèrent rapidement par le haut ou par le bas, exécutèrent à toute vitesse trois ou quatre loopings, le dernier jusque très bas, en finissant par un demi-tonneau. Si les Allemands cherchaient à suivre les évolutions des Suisses pour les pourchasser, ils s’exposaient automatiquement, dans leurs appareils plus rapides, aux effets presque insupportables de la gravitation, ce qui les contraignit à abandonner presque aussitôt la poursuite, sous peine de perdre conscience ou de s’écraser au sol.

Les Suisses purent dès lors attaquer de nouveau, mais en recherchant toujours le combat singulier. Ce n’est que dans ce duel qu’ils avaient une chance égale de se mesurer à leur adversaire, du fait de la  plus grande souplesse de leurs appareils, plus lents mais plus maniables.

Les Suisses se battent comme des lions…

 Le résultat de ces combats et la ténacité farouche des pilotes helvétiques surprirent aussi bien le commandement suisse que l’Oberkommando der Luftwaffe. Certes, plusieurs appareils suisses furent mis hors de combat et subirent des dommages, mais tous regagnèrent leurs bases. La palme du mérite revient au premier-lieutenant suisse Homberger qui, blessé par deux projectiles aux poumons et par un troisième à la cuisse, réussit à ramener son Me 109 à bon port, grâce à sa volonté de fer et à son excellente condition physique. Son chasseur, criblé d’impacts, portait les traces de 30 obus. Aucun avion suisse ne fut perdu. La Luftwaffe perdit en revanche au moins trois appareils. Et plusieurs avions allemands, mitraillés à bout portant ou abattus en flammes, quittèrent l’espace aérien suisse pour s’enfuir vers la France. Au moins l’un d’entre eux fut considéré avec certitude comme perdu, s’étant abattu au sol. On ignore le sort des autres.

Depuis le début des violations de frontière, le 9 mai, les Allemands avaient déjà perdu 10 chasseurs et bombardiers au-dessus du territoire de la Confédération. La plupart furent descendus par nos patrouilles d’alerte et de chasse mais au moins un fut  abattu par la DCA dans le Jura soleurois. Durant le même laps de temps, malgré les nombreuses sorties effectuées et les engagements aériens incessants, l’aviation suisse ne perdit que 2 appareils, un vieil avion d’observation non armé et un chasseur.

C’était un indéniable succès pour les Suisses et un véritable camouflet pour la Luftwaffe dont les pilotes se targuaient d’être les meilleurs au monde.

Hitler intervient personnellement  et envisage l’invasion de la Suisse

 Le résultat désastreux des combats aériens livrés au-dessus de la Suisse prit une ampleur démesurée en Allemagne et fut ressenti comme une véritable humiliation, notamment par le Reichsmarschall Goering, profondément blessé dans son orgueil.

Hitler, pourtant très occupé par le déroulement de la bataille de France, intervint personnellement. Le Führer ne laissa pas passer 24 heures. Le 9 juin, il convoqua le général commandant le 5e Luftkorps, qui avait participé personnellement aux combats. Il lui ordonna de l’informer en détails sur tout ce qui se passerait dorénavant dans l’espace aérien suisse, et fit savoir à ses plus proches collaborateurs qu’il prenait lui-même l’affaire en main. C’est probablement à partir de ce moment là que l’idée d’envahir la Suisse fut sérieusement envisagée par Hitler. On sait que durant les mois de juin et de juillet 1940, l’OKH fit élaborer à Berlin une série d’études opératives en vue d’une agression armée contre la Suisse, au cas où le Führer se déciderait à intervenir. Ces plans étaient l’œuvre d’un jeune officier d’état major, le capitaine Otto von Menges, qui devait par la suite trouver la mort à Stalingrad. Les choses semblent même être allé si loin que le projet d’invasion reçut un nom de code : ce devait être l’opération « Tannenbaum » (sapin).

Par chance, elle ne fut jamais déclenchée. Hitler, tout occupé à la bataille de France, tourna ensuite son attention contre l’Angleterre, dans l’espoir de voir la Wehrmacht débarquer sur les côtes britanniques (opération « Seelöwe »), puis fut accaparé par la Bataille d’Angleterre et par le « Blitz » aérien sur Londres, qui mobilisèrent l’essentiel des moyens aériens de la Luftwaffe. Pourtant, le maintien de la 12e Armée du général List et de forces allemandes importantes aux confins nord-ouest de la Suisse, comprenant notamment d’importantes troupes blindées (Panzergruppe Guderian) et certaines unités combattantes d’élite (divisions S.S. Totenkopf et Das Reich),  continua à faire peser une menace latente sur notre petit pays durant tout le reste de l’été 1940.  On ignore si cette distribution des troupes avait été prévue en vue d’une future action contre la Suisse, mais c’est possible.  Cette menace ne s’éloigna qu’au printemps 1941, lorsque ces unités furent dirigées vers l’est pour procéder à l’invasion des Balkans et de la Grèce, puis à l’invasion de l’Union soviétique, le 22 juin 1941 (opération Barbarossa)…

 

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz