LA BASE DE RADIOGUIDAGE V2 DE PRÉDEFIN (Pas-de-Calais)

Initialement, les savants de Peenemünde, sous la direction de Werner von Braun, avaient prévu de guider par radio les fusées V2 jusqu’à leur objectif, grâce à un système de faisceaux formés par des ondes (« Leitstrahl »). Cette solution garantissait une très grande précision et l’assurance de frapper à tous les coups ou presque la cible visée, sans dispersion. Mais elle présentait aussi le risque que les Britanniques découvrent une parade et un moyen de brouiller le système de guidage, pour leurrer et détourner les V2.

Dans la perspective du futur déclenchement de l’offensive des armes miracles V1 et V2 (Wunderwaffen), prévue initialement à la fin de 1943, l’Organisation Todt  (O.T.) reçut donc l’ordre de bâtir, dans le plus grand secret, un bunker radar et une base de radioguidage dans le département du Pas-de-Calais. Cette base était prévue initialement pour assurer le suivi et le radioguidage des fusées V2  lancées  depuis les bunkers de tir « KNW » d’Eperlecques (nom de code Mannschaftsbunker) et « SNW » de Helfaut-Wizernes (nom de code Bauvorhaben 21, correspondant à l’actuel site muséographique de La Coupole), distants respectivement de 38 et 24 km du site pressenti.

Le lieu choisi par les Allemands pour implanter cette base de radioguidage est situé à 16km au N-O de la ville de Saint-Pol,  à la sortie ouest du village de Prédefin (Pas-de-Calais), près de la route reliant cette localité à Heuchin.  La base comportait 2 groupes d’installations distinctes mais disposées sur le même axe, ce qui laissait bien deviner leur interdépendance : la station radar et le centre de radioguidage.

Le chantier commença au début de l’année 1943 et la construction de ce gigantesque complexe nécessita  50 000 sacs de ciment (2 500 tonnes) acheminés à pied d’œuvre par un petit chemin de fer auxiliaire relié à la voie ferroviaire Saint-Pol – Hesdin. Plus de 1200 ouvriers et techniciens travaillèrent à la réalisation des différentes installations, dont de nombreux travailleurs belges et polonais affectés aux travaux de maçonnerie, ainsi que quelques français du S.T.O. (Service du Travail obligatoire, instauré par Vichy à la requête de l’occupant). Les ouvriers étaient abrités dans les baraquements d’un camp installé dans le village de Prédefin et dirigé par le commandant Kramer, alors que les cadres de l’Organisation Todt logeaient dans un baraquement édifié à 200 m de la base en construction.

Entre-temps, les techniciens du centre de recherche de Peenemünde réussirent à mettre au point une plate-forme inertielle embarquée à bord de la fusée V2, constituée par un ensemble de gyroscopes accéléromètres intégrateurs. Cela permit, dans les premiers mois de 1944, de renoncer complètement au radioguidage envisagé initialement, il est vrai au prix d’une plus grande dispersion des impacts et d’une moindre précision. Le site de Prédefin, dont la construction était achevée, fut donc cédé par la Heer (armée de terre) à la Luftwaffe qui le transforma en une base de radiorepérage incluse dans le système défensif de l’espace aérien du Nord-Pas-de-Calais (défense aérienne de la Festung Europa).

Le bunker radar Mammut Friedrich

Situé à 500 m de la base de radioguidage/radiorepérage, le bunker était surmonté par un gigantesque radar Mammut FuMo 51 Friedrich.

Ce bunker en béton armé, construit pratiquement au ras du sol, mesurait 23 mètres de longueur par 12,50 m de largeur et 5,40 m de hauteur. Il comportait une dalle de couverture de 2,00 m d’épaisseur supportant 4 bases de béton de deux mètres par cinq, dans lesquelles étaient scellés les énormes pylônes métalliques de 30 m de haut supportant le gigantesque cadre rectangulaire du radar Mammut Friedrich, d’une envergure de 29 mètres. Entre les pylônes s’élevaient deux socles de béton de 1,20 x 1,20 m, mesurant chacun 3 m de hauteur, comportant intérieurement un faisceau de 12 tubes dépassant légèrement de la maçonnerie, pour les descentes d’antennes.

Au milieu de sa façade sud-ouest, le bunker comportait une entrée principale avec, à gauche,  deux escaliers secondaires conduisant vers l’intérieur. A droite s’ouvrait l’escalier menant au poste d’observation situé au-dessus de l’angle sud. L’accès au bunker était flanqué par un créneau de tir qui s’ouvrait sur une petite casemate intérieure, à l’angle ouest du bâtiment.

A l’intérieur, on trouvait un poste de commandement équipé de tableaux électroniques, deux salles de contrôle radar, une salle d’opération équipée de 2 tables « SEEBURG » et une salle des machines abritant un groupe électrogène de 500 kVA, une chaufferie et un système de ventilation aboutissant à un orifice ménagé dans la dalle de couverture.

A deux mètres cinquante du bunker se trouvaient 2 bâtiments annexes de 30 x 6 m, qui furent complètement détruits par les nombreux bombardements alliés. Ils comportaient des salles de transmission, des chambrées et un poste de garde. A 50 m se trouvait une cuve d’eau bétonnée et semi-enterrée, contenant l’eau de refroidissement du groupe électrogène, ainsi qu’un transformateur de 500 kVA relié au bunker et aux bâtiments annexes par des tranchées bétonnées à ciel ouvert.

La base de radiorepérage

A 400 mètres du bunker de la station radar, à gauche de la route Prédfin – Heuchin et en bordure de la voie ferrée reliant Saint-Paul à Hesdin, fut édifié un immense camp couvrant 25 000 m2,  au lieu dit « Bois Lewingle ». Son entrée était défendue par une barrière et un poste de police en béton, à côté duquel s’élevait un bâtiment de 3 étages abritant les locaux de la garde, une armurerie, et les cantonnements du détachement assurant la sécurité du périmètre.

Ce camp, initialement destiné à abriter les installations de suivi et de radio-guidage des V2, fut transformé en centre de radiorepérage aérien par la Luftwaffe. Il comprenait 2 radars WÜRZBURG et un radar FREYA en encuvements, des antennes de radio-transmissions, un centre d’écoute et de transmissions, deux émetteurs et une chaufferie. Les infrastructures étaient complétées par des abris, un poste de guet, une dizaine de bâtiments servant de casernements, un hôpital et une chambre à gaz pour la formation des sous-officiers. Le plus grand bâtiment mesurait 100 m de longueur et 20 m de largeur et comportait un large couloir central autour duquel s’organisaient  d’innombrables pièces, dont une cuisine, une salle de cinéma et une salle des fêtes. Devaient y loger le personnel de la station du bunker radar, celui du bunker de lancement V1 de Siracourt (Wasserwerk n°1 « Desvres ») et les détachements des bases légères V1 de la région.

Les toits en béton des bâtiments, enterrés au ras du sol pour qu’ils n’affleurent pas ou peu du terrain, étaient doté d’une légère pente bitumée et recouverts d’une couche de 30 centimètres de terre ensemencée d’herbe, pour mieux les confondre avec les prairies environnantes et éviter leur repérage aérien.  La base abrita, dès la fin 1943, une partie de l’Etat Major chargé du déploiement des V1, divers spécialistes et techniciens, 80 soldats téléphonistes et 600 femmes militaires allemandes (« souris grises ») employées aux transmissions.  Le site fut évacué par l’armée allemande en septembre 1944, devant la poussée rapide des armées alliées remontant de la Seine, en même temps que les autres installations V1 et V2 du Nord de la France.

Une reproduction factice de cet ensemble fut construite à 2 km à vol d’oiseau, sur le territoire de Fontaine-les-Boulans, pour leurrer les Alliés. Comme il y avait dans le camp des espions, cette reproduction fut bombardée par les Anglais avec des bombes en bois, ce qui dénote un humour tout britannique…

La base de radioguidage/radiorepérage et le bunker radar subirent au total une quinzaine de bombardements aériens visant à les détruire. Les premiers bombardements furent déclenchés les 6 et 9 janvier 1944 et le dernier raid eut lieu le 6 juillet de la même année, à 10h30.

Tout ce complexe est en partie intact et encore visible de nos jours, à l’exception de la base factice. Les installations sont toutefois difficiles à repérer dans la paysage, vu la croissance de la végétation qui a envahi la zone. Vous trouverez, ci-dessous, quelques clichés montrant leur état en 1944, à la libération, et celui actuel.

Actuellement (état 2008), les vestiges de la base, pourtant importants, sont très difficiles à localiser car ils sont enfouis et dissimulés sous la végétation qui a repris ses droits.

Les dessins figurants dans cet article sont la propriété de M. Jean Puelinck. En aucun cas ils ne pourront être reproduits d’une façon ou d’une autre sans son autorisation.

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz