Ferry à Rjukan-transport eau lourde-Norvège

“SF Hydro” était un ferry à vapeur norvégien conçu pour le transport de wagons de chemin de fer près de Tinnsjø dans le Telemark. Le ferry, exploité entre Maël et Tinnoset entre 1914 et 1944, reliait les deux chemins de fer Rjukanbanen et Tinnosbanen. Cette ligne de chemin de fer a été utilisée pour le transport des matières premières et des engrais de l’usine Norsk Hydro à Rjukan jusqu’au port de Skien, où elles étaient ensuite transbordées sur bateau pour l’exportation.
Le 20 février 1944, ce Ferry a été la cible d’une opération de sabotage exécutée par la résistance norvégienne au profit des Services secrets britanniques, quand des combattants de la résistance ont coulé le bateau dans les profondeurs du fjord de Tinnsjø afin d’empêcher l’armée d’occupation allemande de transférer en Allemagne les réserves d’eau lourde produte à l’usine Norsk Hydro.

Le ferry “SF Hydro”

Les ferries de chemin de fer exploitent, dans la région, une ligne de 30 kilomètres (19 miles) reliant Tinnosbanen à Rjukanbanen. Outre des passages, chaque ferry de la compagnie peut transporter douze wagons, transportant principalement des engrais, du nitrate de potassium et de l’ammoniac, tous produits à l’usine Norsk Hydro de Rjukan.
“SF Hydro” était le deuxième navire livré pour le service de la ligne, le navire initial “SF Rjukanfos” avait été livré en 1909, mais s’est vite révélée trop petit pour le service. Hydro a été commandé à Akers Mek Verksted le 19 Juillet 1913.

Le ferry “SF Hydro” était plus grand que son prédécesseur, avec une longueur de 53 mètres (174 pi) et une capacité de transport de 493,6 tonnes brutes. Comme tous les ferries de chemin de fer, le pont de chargemen était équipé de deux voies ferrées parallèles, qui se rejoignent à l’avant pour permettre l’embarquement et le débarquement des wagons. La longueur totale des voies était de 80 mètres, ce qui permettait de transporter douze wagons pour un poids total de 300 tonnes, ainsi que 120 passagers. Il était équipé de deux moteurs à vapeur, chacun de 190 kW (250 ch), lui assurant une vitesse de croisière de 8 noeuds (15 km/h).

La production d’eau lourde, un enjeu stratégique pour le IIIe Reich

L’occupation allemande de la Norvège (1940-1945) au cours de la Seconde Guerre mondiale a provoqué des opérations massives de la résistance norvégienne et des Alliés contre les forces d’occupation du Troisième Reich dans la région de l’usine stratégique de Vemork, près de Rjukan.
En février 1940, avant l’occupation, de la région de Vestfjorddalen, les quais d’embarquement ont été interdits au public. Les forces d’invasion allemandes atteignent Rjukan un mois après le début l’invasion de la Norvège. Les ferries ont été camouflés et en Janvier 1941 le manque de charbon a obligé les bateaux à vapeur à utiliser du bois en remplacement.

Un des sous-produits à Rjukan était la production d’eau lourde, un élément clef dans la mise au point d’armes nucléaires où il est utilisé comme modérateur. L’usine d’hydrogène Hyro Norsk de Vemork était le plus important producteur d’eau lourde au monde à l’époque. En 1939 la société allemande IG Farben, possédant 25% des parts de Norsk Hydro, a demandé l’autorisation d’importer cinq litres d’eau lourde en Allemagne. Ce fut refusé en raison de l’absence d’une licence d’exportation. En 1939-40 la production de Vemork était de 20 kilogrammes par an, en 1942, la production avait augmenté à 20 kilogrammes par jour.

La première tentative de stopper la production par le mouvement de résistance fut l’opération menée en octobre 1942, qui a échoué quand les Allemands ont capturé les partisans. Pour diminuer les risques de sabotage, dès le le 7 Avril 1942, les Allemands limitèrent le transport de passagers de Ingolfsland Station à Rjukan uniquement aux soldats, aux policiers, aux travailleurs de l’usine et aux écoliers. Tous les wagons remplis d’ammoniac furent dès lors entreposés dans un tunne,l sous bonne garde.

Le 16 Novembre 1943, l’United States Army Air Forces tenta de bombarder l’usine d’hydrogène de Vemork. L’attaque fit 21 victimes civiles, mais ne réussit pas à endommager l’usine d’eau lourde, car les sept étages du bâtiment tétaient construits en béton armé qui résista à l’effet de souffle.

Après ce bombardement, les Allemands décidèrent d’arrêter la production d’eau lourde de Rjukan et de transférer au cœur de l’Allemagne le reste de l’hydroxyde de potassium servant à distiller l’eau lourde. La résistance norvégienne eut vent de ce plan et entreprit d’entreprendre une action pour couler le ferry “SF Hydro” chargé du transport.

20 Février 1944: le sabotage du “SF Hydro”

Le samedi 19 Février 1944, le directeur de l’usine Hydro Norsk informa  la direction du chemin de fer qu’un wagon transportant de l’hydroxyde de potassium serait chargé le lendemain à bord du ferry de Maël à 9h04 pour qu’il soit déchargé à Tinnoset à 11h35, après deux heures et demi de trajet sur le fjord. Le wagon transportait 39 barriques, dont 5 barils de 70 kg (150 lb) qui devaient être déchargés à Notodden. Les wagons furent transférés de Rjukan et chargés à bord du ferry le samedi. Un seul gardien devait monter la garde à bord du wagon durant la nuit précédant le départ.

Le soir même, tandis que deux civils, Jon Berg et Oskar Andersen, gardaient le ferry Hydro, les  saboteurs Alf Larsen, Knut Lier-Hansen, Rolf Sørlie et Knut Haukelid firent irruption sur le quai des ferries après avoir découpé la clôture ceinturant le périmètre de sécurité. Ils montèrent à bord du navire mais furent découverts par l’un des deux gardes. Sans se démonter, Lier-Hansen indiqua au garde qu’il était un travailleur et qu’il désirait dormir à bord afin d’attendre le départ prévu le lendemain. Dans la nuit, les saboteurs pénétrèrent sous le pont et se dirigèrent vers la quille où ils passèrent 2 heures à placer 8,4 kg (19 lb) d’explosif plastique pour éventrer le navire et le faire sombrer au fond du fjord.  L’explosion ferait sauter un à deux mètres carrés de la coque, ce qui provoquerait une énorme voie d’eau. Une fois les explosifs posés, les saboteurs réussirent à quitter le navire sans être inquiétés. Larsen et Haukelid partirent pour la Suède tandis que Sørlie se retira à Hardangervidda.

Haukelid avait déterminé que l’explosion devait être assez puissante pour couler le navire, mais pas assez grave pour causer des pertes parmi les passagers et les membres d’équipage. La minuterie de la bombe avait été réglée pour que le navire sombre dans la partie la plus profonde du lac, mais suffisamment près du rivage pour permettre à tous les survivants d’avoir de bonnes chances d’être sauvés. Le temps était calme, avec une température était de 9°C sous zéro. Le 20 Février 1944, juste avant d’atteindre le phare de Urdalen, la bombe explosa. Le ferry chercha aussitôt à se rapprocher le plus possible du rivage, mais l’équipage ne réussit pas à desserrer tous les canots de sauvetage, et il n’y avait pas d’instructions à bord pour l’utilisation des gilets de sauvetage. Au moment où l’équipage quitta le pont, le navire avait déjà basculé à tel point qu’il était possible de marcher sur le flanc de la coque du ferry.  A 10h30, le “SF Hydro” coula comme une pierre et sa carcasse se posa sur le fond du fjord, à 430 mètres de profondeur. Les agriculteurs de toutes la région voisine du fjord sortirent immédiatement leurs bateaux et se portèrent à la rescousse de l’équipage et des passagers.

En tout, 18 personnes trouvèrent la mort suite à l’explosion et 29 autres survécurent au naufrage. Parmi les victimes, on dénombrait 8 soldats allemands, les 7 membres d’équipage du ferry et 3 civils. Parmi les sauveteurs norvégiens, quelques-uns  étaient d’avis de ne pas secourir les Allemands victimes du naufrage, mais cette attitude n’a pas prévalu et quatre soldats allemands ont été sauvés. Tous les passagers purent être sauvés, sauf un des douze passagers qui se retrouva bloqué sous le pont et mourut noyé. Huit jours après l’incident, le “SF Rjukanfos” se rendit sur le lieu du naufrage pour un service commémoratif.

De l’eau lourde à bord du ferry?

Au cours des années 1990, l’épave du “SF Hydro” a pu être localisée grâce à un mini-sous-marin. 600 kg d’eau lourde a été trouvée à bord, dans des bariques scellées, ne laissant aucun doute quant au fait que le ferry transportait effectivement une cargaison d’eau lourde le jour où il a été coulé. Deux de ces barils ont été récupérés, et l’un d’entre eux peut être vu à Norsk Industriarbeidermuseum de Vemork, Rjukan. L’analyse du contenu d’un baril étanche, récupéré lors de l’opération (baril n ° 26) a confirmé qu’ils contenaient de l’eau lourde.
La polémique entourant ce naufrage aurait du s’arrêter là. Mais depuis la fin des années 1990 et au cours des années 2000, plusieurs chercheurs allemands ont retrouvé, en Allemagne, des témoins et des documents qui semblent indiquer que la cargaison coulée le 20 février 1944 à bord du ferry ne constituait qu’une faible partie des réserves d’eau lourde stockées à Vemork. Selon ces témoignages, les Allemands auraient eu vent de la volonté de la résistance d’empêcher le transfert de l’eau lourde en Allemagne, En conséquence, les Allemands ne mirent pas tous les œufs dans le même panier et qu’ils réussirent tout de même à transférer en Allemagne de grosses quantités d’eau lourde produites à l’usine de Vemork, qui furent acheminées par camions jusqu’à des ports de la côte norvégienne…

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz