Essais de l’obus RÖCHLING sur le Fort d’Aubin-Neufchateau – Liège – Belgique

Historique

Quelle que fut la route prise par l’armée allemande pour envahir un pays voisin, elle devait se heurter à des fortifications de béton: la position fortifiée de Liège, la Ligne Maginot, les fortifications tchèques en furent des exemples bien connus.

En 1914, les Allemands avaient produit la « Grosse Bertha », obusier Krupp de 420 mm, pour bombarder les forts de Liège et de Verdun.

En 1940, le rythme des opérations allait être beaucoup plus rapide, ce qui signifiait que l’on aurait besoin d’armes ayant une plus grande mobilité. Dans ce cas, pour venir à bout du béton, il fallait quelque chose de plus « scientifique » que la simple force des obus de 420 mm de 1914. La technique appliquée lors de la prise du fort d’Eben-Emael était exceptionnelle: elle ne pouvait convenir en toutes les circonstances. De plus, elle relevait d’une ruse de guerre assez facile à parer dans l’avenir.

Malgré ce spectaculaire fait d’armes et bien que la Ligne Maginot eût été contournée, l’armée allemande poursuivait ses recherches en vue de perfectionner son artillerie, de façon à pouvoir détruire les objectifs les plus résistants.

II est toutefois intéressant de signaler qu’un régiment a été engagé du 12 au 28 mai 1940 contre les forts de Barchon, Battice, Aubin-Neufchâteau, Evegnée et Pontisse. Son artillerie comprenait entre autre la batterie n° 820 (1 mortier de 420). Cette batterie, située en territoire néerlandais, probablement aux alentours d’Eisden, tirait des obus de 1003 Kg, alors qu’en 1914 les obus de 420 mm type M tirés sur les forts de Pontisse et Loncin ne pesaient « que » 800 Kg. Cette batterie de 420 fut envoyée en France pour hâter la reddition de la Ligne Maginot, elle tira dans le secteur fortifié d’Haguenau sur les ouvrages du Four à Chaux, Hochwald et Schoenenbourg.

Les origines

Les aciéries Röchling de Düsseldorf (dans la Ruhr) étudiaient par ailleurs le moyen de vaincre le béton et l’acier par des tirs de canons, ce qui les avait amenés à reconsidérer le problème à partir de ses données fondamentales en tenant compte des connaissances récemment acquises.

L’obus type anti-béton était alors un projectile à tête conique, fabriqué en acier résistant à une pression d’environ 7 T/cm² et contenant assez peu d’explosif à haut rendement, ce dernier étant allumé par une fusée de culot. Afin d’améliorer ses qualités aérodynamiques, la tête conique était coiffée d’une fausse ogive en acier. C’était en fait un dérivé de l’obus anti-blindage dont il différait surtout par la forme de son nez et par sa charge explosive un peu plus puissante.

Le principe de base était simple : concentrer le maximum d’énergie explosive dans la pointe du projectile. Suivant l’expérience acquise, la force de pénétration devait augmenter de ce fait dans la proportion de P/D³, P représentant le poids de l’obus et D son diamètre. Cependant, tant que le projectile était tiré par un canon rayé classique et tournait donc sur lui-même, son poids était limité car son diamètre était déterminé impérativement par le calibre du tube; sa longueur ne pouvait dépasser cinq à six fois son diamètre sans risquer des oscillations dans sa rotation, ce qui se traduirait par une trajectoire instable et imprécise.

Röchling résolut le problème en dessinant un obus très long, stabilisé sur sa trajectoire par des ailettes fixées à son extrémité. Prévu pour l’obusier standard de 210, cet obus n’avait qu’un diamètre de 170 mm, mais sa tête, très dure, était munie d’un manchon de 210 mm correspondant au calibre du tube. Un manchon semblable entourait son extrémité, enserrant les ailettes en acier ressort. Lorsque l’obusier faisait feu, les deux sabots étaient éjectés de l’obus. Au moment où celui-ci sortait de la volée, les ailettes se déployaient et maintenaient le projectile sur sa trajectoire. Cet obus avait une longueur de 2,59 m, -soit 15,25 fois son calibre, et pesait 193 Kg, de sorte qu’arrivé au but avec une trajectoire finale presque verticale (le projectile atteignait la stratosphère), son énergie cinétique était d’environ 32.000 T/m, soit près de 70 T/cm².

Les essais

En 1941, des essais furent entrepris dans le plus grand secret sur le fort de Battice. Les projectiles étaient tirés par un obusier de 210 mm monté pour la circonstance sur chemin de fer, situé à Merkof près d’Aubel. Ceux-ci avaient une force de pénétration si considérable qu’ils traversèrent en moyenne 30 m de terre et de craie, le toit de la galerie, le radier de celle-ci pour s’arrêter finalement à 5 m sous celui-ci. Des essais eurent lieu à trois reprises et à chaque fois une équipe spéciale ramassait et emballait les morceaux et éclats de ces obus tandis qu’était effectuée la réparation des dégâts afin qu’ils ne fussent plus visibles.

Aujourd’hui, en faisant très attention, on peut encore repérer les traces de passage de ces projectiles. Par exemple :

– dans la grande galerie des 120 entre B Nord et B Sud

– au local à munitions de l’A Nord (réparations au toit du local, aux trois étagères, au sol du local)

– au sommet du bâtiment V, deux réparations, l’une suite à l’enlèvement de la cloche d’observation du bloc, l’autre là où est entré l’obus.

Les essais furent alors déplacés sur le fort d’Aubin-Neufchâteau, la zone de Battice ne pouvant être bloquée éternellement, car étant située sur un axe de circulation important.

La caserne souterraine fut prise pour cible. Les résultats furent très impressionnants, les voûtes des locaux furent trouées de part en part, les plafonds effondrés, le sol bouleversé. Une fois les essais terminés, une équipe entreprit la réparation des dégâts mais elle abandonna vu leur ampleur.

Leurs utilisations

Quelque 8.000 de ces obus furent fabriqués et stockés, très peu furent utilisés. On pense que quelques uns d’entre eux furent tirés sur la forteresse de Brest-Litovsk, lors de l’avance allemande en Russie (1941). On ignore cependant quels résultats ils permirent d’obtenir.

Puis Hitler, ayant appris de quelles performances ces obus étaient capables, en interdit l’emploi sans son autorisation personnelle et formelle: il craignait, en effet, qu’un projectile non éclaté tombât entre les mains des Alliés, qui auraient pu en copier les particularités pour en faire usage contre les défenses allemandes. Comme les commandants répugnaient à demander une telle permission, ces obus tomberont petit à petit dans l’oubli et ne furent jamais utilisés.

Remarques

La visite de cet ouvrage d’artillerie est extrêmement intéressant, car les essais allemands de l’obus Röchling sur ce fort sont encore visibles actuellement et à notre connaissance, c’est le seul endroit où l’on peut voir les dégâts occasionnés par cette munition et surtout où l’on peut visualiser des obus Röchling. En effet, les obus qui étaient tirés à partir d’un canon sur rail de 210 mm sont encore en partie visibles, car certains obus ne possédaient (volontairement) aucune charge explosive et ne servaient qu’à mesurer la pénétration de ceux-ci dans le sol et le béton (environ 30 mètres de béton armé et de terre). D’autres obus avaient une charge explosive et ont occasionnés de gros dégâts dans l’infrastructure de l’ouvrage. On peut voir des obus encastrés dans le béton (voir les photos) et il n’est pas recommandé d’essayer de les manipuler, car on ignore si ceux-ci comportait une charge explosive ou pas !!

La partie du fort non touché par ces essais allemands est encore visitable, mais bien abimé et pratiquement vide.

Nous avons eu le privilège de visiter cet ouvrage guidés par notre ami Jean Puelinckx, qui est l’un des meilleurs connaisseurs de la fortification en général et en particulier de l’obus Röchling. …

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz