A02 Marengo, la sentinelle oubliée du Gd St Bernard

Le fortin d’infanterie de Marengo est situé sur la commune valaisanne de Bourg-Saint-Pierre (Suisse), au pied nord du légendaire col du Grand-Saint-Bernard! Bâti à 2040 m d’altitude sur l’alpage de La Pierre, il domine et contrôle directement le débouché de la route descendant de la crête des Alpes valaisannes, frontière naturelle entre l’Helvétie et l’Italie. Sa position est remarquable car il ne faut guère qu’une dizaine de minutes par parvenir à l’ouvrage depuis l’Hospice…

Sa construction par l’Armée suisse remonte à la seconde guerre mondiale et participe d’un effort considérable initié en 1940 pour fortifier dans l’urgence les Alpes helvétique face l’Italie fasciste.  A l’époque et durant la guerre froide, l’ouvrage constituait à la fois le premier verrou qu’un agresseur venu de la Vallée d’Aoste (Italie) aurait rencontré et  le premier maillon d’une longue chaîne de positions fortifiées établies pour verrouiller la Vallée d’Entremont en amont du carrefour stratégique de Martigny.

Comme partout ailleurs en Suisse, le système comprenait des positions de barrage échelonnées en profondeur dans le territoire, destinées à ralentir et à bloquer pas à pas l’assaillant, en profitant des moindres possibilités offertes par la topographie locale : cluses rocheuses, verrous glaciaires, gorges,  viaducs, tunnels, etc. Cette défense élastique en profondeur, basée sur le compartimentage d’un terrain déjà fortement cloisonné par la nature, obligeait l’assaillant à progresser linéairement, en suivant le fond des vallées encaissées et en étirant ses forces à l’excès. Sans possibilité de déployer ses moyens pour éviter ou contourner les verrous défensifs, il était contraint de les affronter frontalement les uns après les autres pour tenter de forcer le passage. Avec pour effet corolaire d’annihiler sa supériorité en hommes et en matériels, et d’avantager les défenseurs. Bref, un système à l’opposé du choix opéré à l’époque par l’Armée française qui avait tout misé sur une défense fortifiée linéaire. Avec le risque que le pays entier tombe comme un fruit mur si la Ligne Maginot venait à être enfoncée ou contournée, comme l’Histoire l’a malheureusement démontré…

Malgré son abandon durant près de 25 ans, l’ouvrage de Marengo, qui fête ses 70 ans, est étonnamment bien conservé, preuve de la qualité exceptionnelle de sa réalisation et du soin apporté à sa construction à l’époque. Les treillis de camouflage en trompe-l’œil, ajoutés dans les années 1960/70 pour casser les ombres portées devant les ouvertures, sont intacts et arborent toujours leurs peintures de camouflage en trois tons destinées à « fondre » l’ouvrage dans le paysage. A l’intérieur, les locaux et les couloirs sont peints en blanc pour refléter la lumière. Ils paraissent avoir été réalisés hier. Aucun fer à béton visible, aucune coulure d’oxydation, pas la moindre trace d’humidité ou de moisissure ! Pourtant, on se trouve dans un ouvrage semi-enterré, taluté dans la pente du versant…  Lorsqu’on pénètre à l’intérieur, rien ne parait avoir changé depuis 70 ans. Seuls manquent la mitrailleuse du local de combat et les châlits de bois sur 2 niveaux qui se trouvaient dans le logement, démontés et récupérés lors de la désaffectation de l’ouvrage. L’ouvrage est sain et il suffirait de le rééquiper pour qu’il puisse reprendre du service…

Dans la nomenclature des ouvrages fortifiés suisses, il porte la désignation « A2 », le « A1 » étant un ouvrage de haute altitude situé encore plus près de l’arête frontière, bien au-dessus de l’Hospice du Grand-Saint-Bernard. Cela méritait d’être souligné car la Suisse a construit plus de 21’000 fortifications depuis la première guerre mondiale, la plupart durant ou après la seconde guerre mondiale et jusque  vers l’an 2000. Cela représente la plus grande densité au monde (avec l’Albanie), car la superficie de la Suisse n’est, rappelons-le, que de 41’000 km2!  Soit une fortification pour 2 km2 en moyenne. En réalité, la densité est bien plus forte car ces ouvrages ne sont pas dispersés uniformément sur le territoire mais regroupés le long des frontières naturels et échelonnés le long des axes de pénétrations routiers et ferroviaires,  notamment les transversales alpines (Grand-Saint-Bernard et haute vallée du Rhône à l’ouest, Gothard au centre et haute vallée du Rhin à l’est).  On en trouve un grand nombre le long du massif du Jura, de Genève à Schaffhouse, entre le Lac Léman et le Lac de Constance. Mais la plus forte densité se trouve dans l’arc Alpin, du Léman à la frontière autrichienne, qui constituait le cœur du légendaire « Réduit alpin national » (Valais, Tessin, Grisons, Oberland bernois et Suisse centrale).A titre d’exemple, on compte 130 ouvrages fortifiés sur l’axe transalpin du Grand-Saint-Bernard, entre l’Hospice et le château de Chillon sur le lac Léman (Montreux), auxquels il faut ajouter à peu près 200 ouvrages minés et barricades antichars (sur route ou sur rail). Chaque pouce de l’itinéraire est battu par au moins un ouvrage fortifié, parfois par plusieurs et il n’existe pas un kilomètre carré qui ne soit sous pas sous le feu d’un ou plusieurs gros ouvrages d’artilleries (artillerie de forteresse en casemate sous rocher armées de pièces de 75, 105 et 150  mm).

On le voit, la défense du pays était basé sur un maillage serré du territoire qui ne laissait aucune chance à l’agresseur et qui avantageait fortement la défense. Mais cela est aujourd’hui du passé puisque la Suisse a décidé, dans le cadre de sa restruction en cours, d’abandonner l’ensemble de son système fortifié….

 

 

 

 

Ce maillage étroit du territoire destiné à prévenir toute invasion de la Suisse par les forces de l’Axe,  était la pierre angulaire du nouveau système défensif établi à partir de l’été 1940 par le général vaudois Henri Guisan, commandant en chef de l’Armée suisse durant la seconde guerre mondiale. Conscient de l’impossibilité matérielle pour la petite armée suisse (800’000 hommes environ) de défendre toutes ses frontières face à un ennemi qui encercle désormais la Confédération helvétique,  le général préconise dès 1940 d’établir de solides positions défensives échelonnées dans la profondeur du pays et réparties le long des axes de pénétrations (ferroviaires et routiers). L’idée est d’établir une défense tous azimuts destinée à  parer à une menace qui peut désormais venir de toute part, en concentrant la majorité des troupes dans les Alpes et sur les passages alpins pour établir un solide réduit défensif

, quitte à devoir abandonner les villes et les centres industriels du moyen pays (Plateau suisse) si nécessaire

optant pour une stratégie basée sur une défense élastique en profondeur, s’appuyant sur des positions fortifiées établies aux points-clefs et sur les passages obligés que l’ennemi ne peut contourner ou éviter, de façon à user l’assaillant, en mettant à profit tous les points forts de la topographie pour le bloquer.

 

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz