LES REVOLVERS 1872 et 1878

L’emploi tactique du pistolet à la guerre a été conçu par les cavaliers allemands qui l’utili­saient lors de leurs caracoles : le premier rang déchargeait ses deux pistolets sur l’adversaire, très proche et dégageait par la gauche et la droite pour recharger à l’arrière du groupe Le second rang, alors, face à l’adversaire faisait feu à son tour et laissait la place au rang suivant. Cette méthode de combat a valu une solide ré­putation d’efficacité aux “Reiter” d’Outre-Rhin :

HENRI II, dans sa lutte contre Charles-Quint, leur fait confiance déjà en 1547, puisque à côté de dix mille lansquenets “… Il lève près de quatre mille reîtres, que l’on appelait alors pistoliers.

A cette époque les gens des compagnies d’ordonnance en France n’accordent guère d’attention à l’arme à feu. L’homme d’armes “… si bon luy semble aura un pistolet à l’arçon de la selle…” Il fait davantage confiance à une “grosse et forte lance”. Par contre, chacun des deux archers “aura un pistolet à l’arçon”.

L’efficacité des pistolets est soulignée avec verve par un homme qui a passé sa vie sur les champs de ba­taille : François de La Noue, dit “Le Bayard huguenot” (1531-1591); il en fait d’ailleurs le sujet d’un de ses paradoxes “… qu’un escadron de reîtres doit battre un escadron de lances… Dans ce texte il confirme l’anté­riorité de l’emploi des pistolets par les reitres: “…II leur faut donner l’honneur d’avoir mis les premiers en usage les pistoles que je pense être très dangereuses quand on s’en saict bien aidés… ” II nous dit aussi que le ca­valier allemand porte deux pistolets dont il peut tirer six ou sept coups, ceux-ci “… s’adressent toujours aux cuisses ou aux visages.” Ces coups portent parce “… qu’ils ne déchargent point leurs pistoles qu’en heur­tant, autrement dit a quelques pas seulement de leurs adversaires.”

L’utilisation tactique des pistolets est importante puis­que Gaspard de Tavannes souligne, dans sa narration des combats autour de Saint-Denis entre huguenots et catholiques, en novembre 1567, que”… la rareté des pistolets rend les charges moins dangereuses…” Moins dangereuses parce qu’alors l’arme offensive est la seule épée, avec ci et là un cavalier armé de la lance. Cette année 1567 marque l’usage intensif des pistolets par les cavaliers ; c’est en effet une des premières dates que l’on rencontre sur ces très nombreux pistolets, dits Saxons, avec leur gros pommeau en boule, objets ap­préciés dans de très nombreuses collections d’armes. Les pistolets datés, de ce type, se rencontrent jusqu’aux dernières années du XVIe siècle. Ils ont été fort répan­dus en Europe puisqu’une petite république comme celle de Genève entretenait, à la fin du XVIe siècle, un corps de pistoliers. Leur armement maintenant fait par­tie des collections du Musée de la ville: environ 160 pistolets saxons, à rouet, les armures trois quarts ita­liennes et même une paire de fontes en cuir qui recevait les pistolets de chaque côté de la selle.

Tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, la cavalerie est dotée d’une paire de pistolets, mais combat surtout à l’épée. Au XIXe siècle, vers 1840, les cavaliers en Europe reçoivent le pistolet à cheminée et cet arme­ment est conservé jusqu’à l’adoption du revolver.

LE REVOLVER EN EUROPE

Depuis le premier “Colt” de 1836, le revolver fait une belle carrière aux Etats-Unis et auprès des “consom­mateurs” privés. Les états-majors des armées de terre, n’y croyant pas, laissent en main des porteurs de l’arme courte les pistolets à un coup. Lorsque l’idée de la ré­pétition pour l’arme longue aura été admise, il en sera bientôt de même pour l’arme de poing.

Voici où en était l’armement en Europe aux alentours de 1872, date de l’adoption du revolver en Suisse:

Au Danemark, le revolver pour la troupe est introduit en 1865; c’est celui de Georg Christensens, dérivé du Lefaucheux. Il est construit par la Kronborg Gewaerfabrik (Helsingor) pour une munition à broche.

En Angleterre, le revolver à double action de John Adam est transformé dès 1868 pour la cartouche à percussion centrale alors que la fabrication de l’arme prévue pour cette cartouche commence en 1872. Le calibre .450 (11,43 mm) assure un honnête pouvoir d’arrêt.

Leopold Gasser fait adopter son modèle à double action et au calibre 11 mm par l’Autriche, en 1870.

Un revolver, largement adopté en Europe à cause ou en raison de ses réelles qualités, est celui mis au point dès 1862 par l’armurier belge J. Chamelot de Liège et l’officier français d’infanterie Henri-Gustave Delvigne. Il fait l’objet, tout au long de sa belle carrière, d’une quinzaine d’améliorations et entre autres, en 1871, de celle qui lui permettra d’utiliser une cartouche à per­cussion centrale. Ce revolver est adopté la même année par la Belgique avec le calibre de 11 mm, en 1873 par la France, toujours au calibre de 11 mm et par la Hollande, avec le calibre de 9,4 mm. L’Italie l’introduit en 1874, en 10,25 mm; il est à double action.

L’autorité militaire en Allemagne ne fait pas confiance au tir avec l’arme courte, aussi le revolver (de 10,6 mm) adopté en 1879 seulement est-il encore à simple action et, ce qui est mieux, sans baguette d’extraction des douilles ; c’est l’axe du barillet qui la remplace !

LE REVOLVER SUISSE

La loi fédérale sur l’habillement, l’armement et l’équi­pement de l’armée fédérale du 27 août 1851, prévoit l’attribution du pistolet comme suit:

Art. 40.-Cavalerie. Les sous-officiers, trompettes et cavaliers portent un sabre long, deux pistolets à per­cussion…

Art. 41 -L’artillerie, a) Les sous-officiers et trompettes montés portent le sabre de cavalerie, un pistolet à per­cussion.

Art. 50- Les officiers de cavalerie et d’artillerie et tes officiers montés d’infanterie portent, en outre (soit en plus du sabre de cavalerie) une paire de pistolets à per­cussion…

Le règlement d’application est moins restrictif quand au choix de l’arme :

Art. 267. – Les pistolets transformés en système à per­cussion peuvent aussi être admis s’ils remplissent les conditions voulues.

Ainsi, même les anciens pistolets à silex transformés. accusant en moyenne vingt ans d’âge, sont encore ac­ceptés comme armes à feu de la cavalerie.

L’arme à cheminée de 1842 restera d’ordonnance jusqu’à l’arrêté fédéral concernant les armes à feu por­tatives des troupes montées du 24 décembre 1870 qui prévoit :

Art. 1.- Les officiers et sous-officiers montés et les trompettes d’artillerie recevront un pistolet à répétition (pistolet à plusieurs coups ou revolver).

Art. 2. – Les officiers maréchaux des logis chefs, four­riers et les trompettes des compagnies de dragons ainsi que les officiers, sous-officiers, trompettes des compa­gnies de guides, seront également armés d’un pistolet à répétition.

Cet arrêté concerne le principe de l’armement; nous sommes encore bien loin du choix définitif. Dans son message à la Haute Assemblée fédérale du 2 décembre, donc précédant de trois semaines cet arrêté, le Conseil fédéral fait état de la si “mauvaise qualité des armes de poing actuelles que l’on sera obligé de songer sans retard à introduire aussi un meilleur armement pour les corps de troupes qui doivent rester armés de pisto­lets…” avec lequel on puisse au moins tirer deux coups successifs, ainsi donc soit un pistolet à plusieurs coups ou un revolver”.

En septembre 1871 est désignée une “Commission du revolver”, comme il y avait eu une commission du fusil. Présidée par le général Hans Herzog, elle compte quatre colonels ; cette commission, en exécution de la décision du département militaire fédéral de janvier 1871, étudie divers types de revolvers ; en mars 1872, il reste en compétition trois armes : le revolver à extraction au­tomatique du français C.F. Galand, établi à Liège, et dont le brevet numéro 3039 date de 1868. Cette arme avait été commandée en dix exemplaires à son créateur, le 29 juin, avec 2500 cartouches. La seconde arme est le revolver de Smith et Wesson, modèle 1869*, l’ex­traction automatique en est obtenue par brisure du ca­non. Le troisième revolver qui est confronté avec les

deux premiers provient de la maison Pirlot à Liège, propriétaire des brevets de J. Chamelot et H.-G. Delvigne. Cette dernière arme, solide, vient d’être adoptée par le gouvernement belge. Elle se présente avec un calibre de 11 mm, percus­sion centrale et une simple tige éjectrice pour l’expulsion des douilles.

Les derniers essais s’effectuent les 20-21 mars et 9-10 avril 1872; on tire aussi sur cible à 150 mètres. Le Chamelot-Delvigne, modifié Schmidt, l’emporte pour la précision et aussi pour sa simplicité et sa solidité ; l’ex­traction automatique peut représenter des risques, mais ceux-ci sont exclus avec la tige éjectrice.

Voici les modifications apportées par Rudolf Schmidt :

– Allongement du canon (pour la précision suisse au stand !)

– Calibre de 10,4 mm et 4 rayures

– Inflammation périphérique pour l’uniformité avec le fusil Vetterli.

– Allégement par fraisures du tambour.

Le 16 avril, le général Herzog transmet son rapport final au département militaire, ce qui amène le Conseil fé­déral à décider, le 24 avril 1872, l’adoption de ce Cha­melot-Delvigne modifié.

A l’époque, il n’existe en Suisse aucune protection per­mettant à la fabrique Pirlot de revendiquer son droit aux brevets et cette entreprise fait une offre pour 3.000 revolvers à Frs. 50- pièce “… sans commission ni es­compte”. Le 10 juillet, le général Herzog donne l’ordre au major Schmidt de se rendre à Liège et de com­mander 800 exemplaires à Frs. 50.-, pris à Liège et décide la construction en Suisse de 2.200 autres exem­plaires. A la demande du général, une gratification de Frs. 300.- est accordée au major R. Schmidt pour sa collaboration à la mise au point du modèle définitif.

Le déplacement à Liège a été étendu, pour le major Schmidt, d’un voyage d’études aux établissements ma­nufacturiers de la République française, du royaume de Belgique et de l’empire d’Allemagne. Le résultat de ce périple a été la création à Berne d’un atelier de montage qui devient, deux ans plus tard, la Fabrique fédérale d’armes, avec comme premier directeur Rudolf Schmidt. La convention entre le Département militaire fédéral et la maison Pirlot frères est datée du 17 août 1872; elle précise:

– Messieurs Pirlot frères s’engagent à fournir le modèle juqu’au 31 août 1872, ensuite:

deux cents revolvers fin décembre 1872 ;

trois cents revu/vers fin janvier 1873 ;

trois cents revolvers fin février 1873

sous déduction de cinq francs par arme et par mois de retard

Les frais de cette fourniture se présentent comme suit (en francs):

Revolver …………………………………………………50.00

Emballage et transport …………………………..   0,65

Tournevis ………………………………………………   0,60

Vérification et poinçon de contrôle ………….  0,50

Montage ………………………………………… ……    0.60

Munition d’essai …………………………………….   0,50

Balai de nettoyage …………………………………   0,35

A la fin de 1877, l’armée dispose de 898 revolvers (Rapport présenté à la Haute Assemblée… sur sa ges­tion de 1877, p. 336). Cette augmentation provient de la fourniture de 100 pièces par la Fabrique d’armes ré­cemment établie à Wylerfeld près de Berne et dont la mention figure dans le rapport du Conseil fédéral.

Pendant cette année 1877, la Fabrique de munitions de Thoune a livré 9.600 cartouches de revolver à in­flammation centrale ; il s’agit là sans doute de munitions d’essai pour le modèle 1878.

LE REVOLVER 1878

En 1877, le Département militaire fédéral procède à des essais, où figurent dix revolvers du fabricant d’ar­mes J. Warnant, de Hognée, commune de Cheratte près de Liège ; ceux-ci avaient été construits par Scholbert et Cadet de Liège et adaptés au calibre suisse de 10,4 mm mais avec la percussion centrale. Nos au­torités militaires, qui voulaient en 1872 la percussion annulaire pour le revolver comme pour le fusil Vetterli, reconnaissaient les avantages des cartouches à percus­sion centrale. L’arme nouvelle est adoptée par l’arrêté du Conseil fédéral, du 27 septembre 1878, concernant l’introduction d’un nouveau revolver d’ordonnance pour l’armée suisse :

Le revolver présenté au Conseil fédéral (système War­nant) portant le n° 8, au calibre actuel d’ordonnance de 10,4 mm et à percussion centrale sera introduit comme revolver d’ordonnance, modèle 1878, après avoir subi les modifications suivantes :

  1. a) Le guidon doit être transformé et rendu exactement pareil à celui du revolver d’ordonnance de 1872.
  2. b) Le cylindre, pourvu d’une roue à rochet vissée dans le cylindre, d’un bord protecteur servant en même temps de logement au bourrelet de la cartouche et d’un bracelet à six entailles sera pareil à celui des 10 revolvers d’essai, système Warnant Krauser. Il doit du reste être conforme au modèle n° 8,
  3. c) La crête du chien percuteur doit être droite et des cendre aussi bas que possible afin que le revolver puisse être armé facilement avec le pouce de la main droite;

la pointe du bec percuteur, vue de face, doit être ronde et plate et à bord légèrement arrondi.

Le Département militaire prendra les mesures néces­saires pour qu’à l’époque de la remise des revolvers d’ordonnance, modèle de 1878, ceux du modèle 1872 soient également transformés pour tirer la nouvelle unité de munition.

Le revolver de Warnant montre une parenté évidente avec le Chamelot-Delvigne et Schmidt. Il se présente avec un mécanisme dans lequel l’action du ressort prin­cipal sur un levier pivotant remplace les pressions exer­cées par le ressort de détente et le ressort du linguet qui fait tourner le barillet : c’est là une ingénieuse sim­plification. Dès que la pression du doigt sur la détente est supprimée, le bec du chien recule d’environ 6 mm, le coup ne pouvant partir sans cette action totale sur la détente. La tige éjectrice est bien conçue : en tour­nant le barillet à la main, chaque chambre se place – aucun réglage n’est nécessaire – devant l’extracteur, de sorte que l’expulsion des étuis s’effectue sans regarder l’arme. Une seule vis maintient la partie gauche de la carcasse qui, s’ouvrant, découvre le mécanisme. L’arme est lourde (1120 g) mais bien en main avec une ligne de visée facile ; en double-action l’effort est important au détriment de la précision.

Le revolver 1878 est souvent cité comme la simple transformation du modèle de 1872 pour une cartouche à percussion centrale. En fait, il s’agit d’une arme dif­férente, présentant plusieurs importantes améliorations mécaniques.

Le revolver 1878 restera en service jusqu’à l’adoption du système de 1889, plus léger et au calibre de 7,5 mm. Dans les collections suisses, le modèle de 1878 est bien représenté. Par contre, celui de 1872 trans­formé à percussion centrale ne se rencontre qu’à quel­ques exemplaires. Quant au modèle 1872 encore à per­cussion annulaire, on ne sait hélas ! avec certitude s’il en existe encore.                                  •

DIMENSIONS PRINCIPALES

Modèle 1872 – système Chamelot  Delvigne modifié Schmidt

Longueur totale : 278 mm

Longueur du canon octogonal: 150 mm

Poids : 1 000 g

Calibre : 10,4 mm

Rayures ‘: quatre concentriques profondeur 0,25 mm

un tour sur 250 mm

Longueur de la ligne de mire: 175 mm

Barillet : 6 cartouches

Munitions :

Douille en tombac – percussion annulaire

Cartouche – longueur totale : 30,5 mm

Poids : 15 g

Balle de plomb – longueur: 16,5 mm

Poids : 11 g

Charge : 1,5 g poudre noire n° l

L’arme a été transformée en 1878 pour utiliser la car­touche à percussion centrale.

Modèle 1878, système Warnant modifié Schmidt

Longueur totale : 280 mm

Canon octogonal: 150 mm

Poids: 1 120 g

Calibre: 10,4 mm

Rayures : quatre concentriques, profondeur 0,25 mm

un tour sur 250 mm

Longueur de la ligne de mire: 175 mm

Barillet : 6 cartouches

Munition : douille en laiton, percussion centrale

Cartouche- longueur totale : 32 mm

Poids: 17,5 g

Balle de plomb dur, longueur: 17,5 mm

Poids: 12,5 g

Charge : 1 g de poudre noire n° 1

Vitesse initiale : 185 m/sec.

 

par Clément BOSSON

 

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz