Le musée de la batterie allemande TODT – Cap Gris Nez – Calais- France

CONTEXTE GENERAL

La batterie TODT compte parmi les plus grandes batteries du célèbre Mur de l’Atlantique et parmi les plus célèbres réalisations militaires du Nazisme en matière de fortification. Située sur la côte française du Pas de Calais, à peu près à mi-distance entre Calais et Boulogne, elle faisait partie du secteur probablement le plus densément et le plus puissamment fortifié de l’Attlantikwall. La raison en est simple : cette partie de la côte française est la plus proche du rivage de l’Angleterre, distant seulement de 34 kilomètres. La faible largeur de la Manche au niveau du Pas de Calais –permettait donc à l’armée allemande de harceler les régions du Kent et de pilonner les villes les plus proches, grâce aux puissantes pièces de marine installées sous casemate par les soins de la  célèbre organisation TODT. Les villes anglaises de Douvres, Folkestone, Ramsgate et Canterbury payèrent d’ailleurs un très lourd tribu aux batteries offensives allemandes installées le long de la Côte d’Opale.

L’OPERATION SEELÖWE

Pour comprendre l’histoire de la batterie TODT, il convient de remonter à la fin du mois de mai 1940. A cette date, l’armée française vient d’être enfoncée et le corps expéditionnaire franco-britannique, lancés par le général Gamelin au secours du Bénélux, s’est brusquement retrouvé coupé du gros des armées françaises par l’offensive éclair menées par les Panzerdivisions à travers les Ardennes, pourtant réputées infranchissables par les stratèges français. En l’espace de quelques jours, après la percée de Sedan et une ruée menée au rythme trépignant de la Blitzkrieg si chère au Führer,  les blindés allemands débouchent sur les côtes de la Manche et remontent rapidement la côte en direction des ports stratégiques de Boulogne et de Calais pour couper la retraite aux Alliés.

Le baroud d’honneur du capitaine de corvette Ducuing et de ses marins s’achève le 25 mai devant le sémaphore du Cap Gris-Nez. Quelques kilomètres plus au nord, la poche de Dunkerque, vers laquelle refluent en désordre les reliquats des armées franco-britanniques, se rétrécit rapidement sous la poussée inexorables du 19ème Corps blindé du général Kleist, comprenant notamment les divisions blindées des généraux Gudérian et Reinhardt, ainsi que la 10ème Panzerdivision et le régiment Grossdeutschland.

Après le désastre de Dunkerque et l’armistice signée avec la France, l’OKW, conformément à la directive de Hitler n°16 datée du 16 juillet 40, met sur l’invasion de l’Angleterre. L’opération, baptisée SEELÖWE (LION DE MER), doit avoir lieu dans le courant de la seconde moitié de l’été. Il faut pour cela réunir des forces et une flotte de transport très importantes, mais surtout assurer la protection des convois et de la flotte lors de la courte mais néanmoins décisive traversée de la Manche.

La Lufftwaffe reçoit l’ordre d’éliminer du ciel les quelques avions de la RAF tandis que la Kriegsmarine et l’armée de terre (Heer) se voient confier  la mission d’assurer l’appui de feu de l’invasion, essentiellement avec de l’artillerie à longue ou très longue portée.

LES BATTERIES OFFENSIVES SUR RAIL

Vu l’urgence, des emplacements de tir pour pièces de gros calibres sur voies ferrées sont rapidement aménages entre Wimereux au sud et Calais au nord, autour de l’axe de liaison stratégique que constitue la ligne de chemin de fer Boulogne-Calais. Des voies ferrées partant de la gare d’Aubengue et de divers points s’engagent dans les dunes, contournent les collines du Boulonnais et du Wissantais, pour atteindre la gare de Warcove, avant de s’ouvrir en éventail derrière le cap Gris-Nez. D’autres emplacements sont aménagés en arrière de Wissant et près de Calais, notamment au niveau de la digue royale.

A l’extrémité de ces différentes déviations, sur un sol stabilisé ou légèrement bétonné, sont assemblés les éléments de table Vögele. Copiées sur le principe des ponts tournants et des plaques de chemin de fer pivotantes, elles permettent un réglage rapide et un tir tous azimuts des énormes canons sur rail de calibre 200, 250 et 280mm.

En dehors des périodes de tir, les pièces ainsi que leurs wagons d’accompagnement trouvent refuge dans les abris naturels des carrières, sous les tunnels de chemin de fer traversant les collines de la région, ou encore sous l’un des trois DOMBUNKER construits à cet effet par les Allemands. Il s’agit d’énormes abris en béton armés de forme ogivale (d’où le nom de DOM), dont certains subsistent toujours actuellement. Le premier était situé près de Wimereux/Baston, le second dans la Vallée Heureuse, près d’Hydrequent, et le troisième dans les faubourgs nord-ouest de Calais. Ce dernier a été  transformé en garage depuis lors et existe toujours. La plupart de ces batteries sont servies par la Kriegsmarine.

LES BATTERIES OFFENSIVES SOUS CASEMATE DU PAS DE CALAIS

Outre ces canons sur rails, la Kriegsmarine entreprend la construction d’une série de batteries offensives côtières sous casemates le long de la côte du Pas de Calais. Ces batteries étaient destinées à protéger la flotte de débarquement, à harceler la Home Fleet britannique au cas où elle s’aventurerait dans le Channel et à pilonner la côte anglaise. Ces célèbres batteries, qui furent souvent illustrées par la propagande allemande de Goebbels pour démontrer la puissance et l’invincibilité du Mur de l’Atlantique. Ces batterie étaient au nombre de cinq. En remontant la côte du sud vers le nord, on trouvait successivement :

La batterie FRIEDRICH AUGUST, armée de 3 pièces de 305mm SK L/50 sous casemate, près de Wimereux.

La batterie SIEGFRIED, armée de 4 pièces de 380 mm SK C/34 sous casemate, près d’Audinghen.

La batterie GROSSER KURFÜST, armée de 3 pièces de 305 mm SK L/50, immédiatement en arrière du Cap Gris-Nez.

La batterie SCHLESWIG HOLSTEIN, rebaptisée plus tard LINDEMANN en mémoire du commandant du cuirassé BISMARCK, armée de 3 pièces de 406 mm sous casemate, près de Sangatte.

La batterie OLDENBURG, armée de 2 pièces de 240 mm SK L/40, à l’est de la ville de Calais.

Ces batteries avaient pour la plupart été prélevées sur les côtes nord de l’Allemagne.

Certaines changèrent de nom en arrivant sur les rivages du Kanal, comme l’appelaient les Allemands. Ainsi la batterie SCHLESWIG HOLSTEIN, après avoir été appelée un temps GROSS DEUTSCHLAND, reçut officiellement le nom de batterie LINDEMANN, en mémoire de l’officier qui était aux commandes du puissant cuirassé BISMARCK lors de son affrontement mortel avec la flotte britannique dans l’Atlantique nord. Quant à  la batterie SIEGFRIED, elle fut rebaptisée batterie TODT, en l’honneur du Dr Fritz Todt, directeur de l’organisation chargée par Hitler de toutes les grandes constructions du régime, parmi lesquelles les ouvrages du Mur de l’Atlantique. Ce changement eut lieu lors de l’imposante prise d’armes qui célébra son inauguration le 11 janvier 1942. A peine un mois plus tard, le 8 février 1942, le Junker 52 qui transportait le Dr. Todt s’écrasa mystérieusement peu après le décollage, tuant tous ses passagers. Des rumeurs persistantes évoquèrent un sabotage de l’appareil commandité par des rivaux du régime, jaloux du succès et de l’aura grandissante du Dr. Todt ! La question est toujours débattue.

 LE DOCTEUR FRITZ TODT ET L’ORGANISATION TODT

En 1933, Hitler le nomme inspecteur général des voies routières allemandes et lui fixe un programme de 7000 km d’autoroutes à réaliser suivant six grands axes sillonnant le Reich.

Ayant mené avec succès ce projet avec un effectif de 250’000 travailleurs, Hitler lui confie alors le 28 mai 1938 la conduite des travaux sur la ligne fortifiée du WESTWALL, plus connu sous le nom de LIGNE SIEGFRIED. C’est à ce moment que prend réellement forme ce qu’on appelé par la suite l’ORGANISATION TODT.

Depuis son QG de Wiesbaden, le Dr. Todt organise et planifie 24 heures sur 24 l’approvisionnement des chantiers de 14’000 ouvrages fortifiés répartis sur 630 kilomètres entre Bâle et la frontière hollandaise. L’organisation compte alors 340’000 ouvriers et collaborateurs.

Alors qu’il s’apprête à réaliser la même chose sur la frontière est, la guerre survient et, en mars 1940, le Dr. Todt se retrouve pratiquement à la tête de toute l’industrie allemande, en tant que Reichsminister pour l’armement.

Il a juste le temps de prendre en mains les travaux amorcés sur le Mur de l’Atlantique avant de trouver la mort dans le mystérieux accident qui mit fin à sa brillante et fulgurante ascension au sein du régime nazi. Il sera remplacé par Albert Speer qui poursuivra la tâche avec l’Organisation Todt.

LA CONSTRUCTION DE LA BATTERIE TODT

Une fois l’emplacement choisi, le premier travail de l’Organisation Todt consistait à remuer et à évacuer les dizaines de milliers de mètres cube de terre provenant des gigantesques travaux de terrassement. Ces opérations se déroulaient à l’abri des regards indiscrets sous la protection des filets de camouflage. Ces travaux de terrassements représentaient au moins l’équivalent, sinon le double du volume du béton utilisé pour la construction.

Puis commençait l’édification de la casemate. Celle-ci débutait par la partie enterrée de l’ouvrage et par la chambre de tir, vaste cuve circulaire avec en son centre un massif bétonné destiné  à recevoir le pivot de la tourelle blindée de protection du canon. La cuve achevée, il était alors possible de procéder à l’installation du canon. La mise en place de ses éléments constitutifs, affûts, tube, blindages de protection de la tourelle, nécessitait  la mise en place de moyens de manutentions extrêmement lourds s, vus le poids de certaines pièces, et l’édification d’un gigantesque portique mobile capable de manipuler des charges atteignant jusqu’à 100 tonnes.

Pendant la mise en place des dernier préparatifs, les canons acheminés depuis l’Allemagne étaient transportés par voie ferrée jusqu’à la gare la plus proche. Puis, ils terminaient le parcours sur des remorques GOTHA équipées de douze essieux 18 tonnes, du type en service dans l’artillerie de la Wehrmacht. Pour gravir les pentes, les deux tracteurs d’artillerie étaient placés à l’avant tandis que pour les descentes l’un des deux se mettait à l’arrière pour freiner le convoi. Ces énormes remorques n’avaient qu’un très petit rayon de braquage et, à certains endroits, il fut nécessaire d’abattre des arbres ou des maisons qui gênaient le passage du convoi.

Une fois le canon placé sur ses tourillons, on procédait au montage de la tourelle, livrée démontée sous forme de plaques de blindage moulées aux formes appropriées. Cette opération marquait la fin de la première phase de construction. A ce stade, le canon était paré pour ouvrir le feu, bien qu’il ne fut encore pas dissimulé sous sa protection de béton.

La seconde phase consistait à édifier l’énorme et épaisse carapace de béton armé qui assurait la protection de la  tourelle et des installations annexes. Le premier travail consistait à édifier le coffrage, qui engloutissait d’énormes quantités de bois. Ce dernier provenait en grande partie des forêts alsaciennes ou lorraines.

Une fois le béton coulé et le coffrage enlevé, le terrain était remblayé au bulldozer. Les parties souterraines étaient recouvertes de terre, assurant ainsi une protection supplémentaire.

Une fois achevée, la casemate était recouverte d’un gigantesque filet de camouflage pour en dissimuler les formes, ainsi que la circulation du personnel et du matériel.

Après l’échec du débarquement de Dieppe par les Canadiens, des emplacements pour canons légers de D.C.A. et des postes de combat pour armes légères furent rajoutés sur la dalle de couverture de certaines casemates, de façon à prévenir une attaque surprise par des commandos ou des parachutistes.

Enfin, dans le courant de l’année 1944, lorsque les attaques aériennes se firent plus nombreuses et plus massives, une protection des embrasures contre les éclats de bombes et les roquettes d’avions fut installées, sous la forme de lourds filets en mailles d’acier.

 DESCRIPTION GENERALE DE LA BATTERIE TODT

La batterie TODT est située à 3 km au sud-est du Cap Gris-Nez. Elle possède 4 casemates abritant chacune une pièce de marine de 380 mm. Ces casemates sont installées à contrepente sur le petit plateau d’Haringzelles, face à Audresselles. Elles sont réparties en croissant dans un rayon de 750m. Outre les canons de gros calibres, cette batterie comprenait également sous son commandement les armes et ouvrages suivants :

  • 14 abris passifs
  • 4 cantonnements légers
  • 1 ceinture de 15 Tobrouks
  • 3 pièces antichars tournées face au sud et dirrigées vers l’intérieur de la côte.
  • 9 pièces de FLAK d’origine française, installées en cuve de briques au centre de la batterie.

Une station de pompage d’eau potable, des abris pour le personnel, un poste de secours et même une ferme intégrée par la force des choses au dispositif pour servir de poste d’observation complétaient l’ensemble.

Ces infrastructures ne fournissaient toutefois pas à ce groupement une totale autonomie en ce qui concerne principalement la direction du tir et l’approvisionnement en munitions

L’APPROVISIONNEMENT EN MUNITION

Bien que disposant d’un stock tampon de gargousses et d’obus, chaque casemate se trouvait reliée par un faisceau de voies ferrées de type Decauville à des soutes à munitions complémentaires, situées près du hameau d’Onglevert. Ces 2 imposantes constructions (30 x 50 x 17 m), encore visibles au carefour de la D191 avec la D191E, étaient constituées de 6 alvéoles disposées de part et d’autres d’un couloir fermé à chaque extrémité par une lourde porte blindée à 2 battants.

Dans ce couloir passaient à la fois une boucle routière et la voie ferrée décrite précédemment. Ains, à l’abri du béton, et à l’aide de monorails fixés au plafond, s’exécutaient tous les transferts.

 LE POSTE DE CONDUITE DE TIR

En ce qui concerne la direction du tir, la batterie était complètement dépendante, et chaque casemate, dépourvue d’éléments de visée propre, se trouvait en quelque sorte aveugle. Toutes les coordonnées de tir étaient fournies à la batterie par le poste de direction de tir situé au Cran aux Oeufs, 1200 m au nord de la batterie et en bordure directe du littoral.

L’ouvrage principal de direction du tir, réparti sur un seul niveau, comportait une salle des cartes, un local pour la radio, un autre pour le téléphone ainsi que les locaux techniques regroupant les groupes électrogènes, le système de ventilation et le chauffage.

En superstructure et sur l’avant de l’ouvrage, se trouvait une cloche d’observation avec périscope sous coiffe blindée, ainsi qu’un télémètre de 10,5 mètres sous coupole d’acier de 10 cm d’épaisseur. Pour augmenter la précision, ce poste centralisait également les relèvements goniométriques fournis par au moins 3 postes d’observation répartis sur une assez grande distance le long de la côte. L’un se trouvait au Cap Gris-Nez, l’autre au Portel, le troisième enfin au Cran Mademoiselle. Ce procédé, dit à grande base, permettait d’améliorer la précision mais supposait une excellente chaîne de transmission.

En effet, les coordonnées successives définissant la vitesse et la direction de l’objectif, étaient enregistrées puis converties en coordonnées de tir auxquelles étaient apportées les corrections journalières d’azimut, celles dues aux éléments extérieurs tels la température de l’air, le sens et la vitesse du vent. Ces éléments correspondant à un point moyen de la batterie, devaient être corrigés pour tenir compte de la position des casemates et être transmis à chacune d’elles.

Encore fallait-il introduire dans ces calculs les caractéristiques balistiques de chaque pièce, le  poids de l’obus et le type de charge. On imagine alors aisément les difficultés qu’il y avait à cadrer un objectif, et la fièvre qui devait alors régner dans le poste de commandement.

 LE SYSTEME DE DETECTION DE LA BATTERIE

A  toutes ces méthodes, la technologie nouvelle apporta une autre, celle du radar. La batterie TODT fut équipée dans un premier temps du radar WÜRZBURG Fu MG 39c mis au point par Telefunken dès 1936, et qui, après de multiples développements, devint l’équipement standard de la Wehrmacht à partir de 1939/40.

C’est cette appareil qui restera dans l’histoire comme ayant fait l’objet du raid britannique sur Bruneval le 27 février 1942. Par ailleurs excellent, ce radar s’avéra d’une portée un peu limitée. Il fallut attendre 1941 et l’ultime développement apporté par Telefunken sous la forme du WÜRZBURG RIESE Fuse 65 pour obtenir une nette amélioration des performances.

Se distinguant par son antenne de 7,5 m de diamètre, il avait comme caractéristiques de base :

  • Longueur d’onde : 53 cm
  • Portée maximum : 80 km
  • Faisceau : 13e dont 7,2 effectifs
  • Impulsions : 1875/seconde
  • Portée pratique : 65 km
  • Précision : en portée +/- 15m et en azimut +/- 0,2 °.

La Kriegsmarine y apporta quelques modifications mineures pour en faire un appareil de conduite de tir sur objectifs marins, sous la dénomination FUMO 215 (pour Funkmessortung 215 für Seeartillerie), plus connu sous le nom de SEE RIESE.

La batterie TODT, comme quelques autres batteries lourdes côtières, fut équipée de cet appareil, monté à proximité immédiate du poste directeur de tir sur un abri comprenant essentiellement 2 pièces de traitement d’informations. Précieux auxiliaire dans l’acquisition d’objectifs et la conduite de tir par temps couvert ou visibilité nulle (brume, obscurité), le radar n’était pas, du moins à cette époque et dans ce cas précis, le remède universel. L’heure n’était pas encore venue de la conduite de tir automatique et il ne faut donc pas en surestimer les capacités réelles.

LES CASEMATES DE TIR

De conception Kriegsmarine, les casemates mesurent 47m de long, 29 de large et 20 de haut, dont 10 hors du sol ! Construites en classe A, elles ont, selon le standard allemand, une toiture et des murs de 3,5 m d’épaisseur, capables de résister à des obus de 380 mm, à des bombes de 4000 livres ordinaires ou encore à des bombes de 2000 livres perforantes. Chaque casemate a nécessité environ 12’000 mètres cube de béton armé, ce qui représente environ 8’000 tonnes de ferraillage par ouvrage, non compris les imposants  blindages.

LA CHAMBRE DE TIR

La chambre de tir abritant la pièce de 380mm est un vaste local circulaire en forme d’amphithéâtre, comportant 2 banquettes bétonnées continues courant sur tout le mur arrière.

La banquette la plus basse est traversée par 2 passages vers la cuve et sert d’appui arrière à la tourelle. Elle protège en outre un couloir semi-circulaire équipé de 2 voies Decauville concentriques. La voie intérieure supporte les galets de roulement du monte charge. La seconde sert au va et vient des wagonets pour l’approvisionnement des obus et des gargousses entre les soutes et la pièce, quelle que soit la position angulaire de cette dernière.

La seconde banquette correspond à l’étage supérieur de la tourelle et sert éventuellement de galerie de service. C’est à ce niveau que pénètre, par une ouverture de 2m de large, la voie ferrée reliant la casemate aux soutes principales d’0nglevert (voir sous n°7) .

La gigantesque embrasure de tir, ouverte à 120°, est orientée face au détroit et à la côte anglaise. Elle était protégée par les dispositifs suivants :

  • sur ses flancs par des plaques de blindage de 4 cm d’épaisseur, épousant au plus près la forme de la tourelle.
  • en partie basse, par un parapet de tir légèrement inférieur au niveau du tourillon.
  • en partie haute, par le célèbre Front Todt qui possédait ici la particularité d’être entièrement cuirassé. La plaque d’acier qui le renforçait était boulonnée sur la casemate directement au-dessus du Front Todt. Ce cuirassement pesait à lui seul 100 tonnes.

A l’origine, les parois comprenaient 2 rangées superposées de 9 ouvertures rectangulaires, qui s’ouvraient dans la partie arrière de la casemate et qui étaient tournées vers l’intérieur des terres. Ces ouvertures avaient vraisemblablement été conçues pour compenser la dépression créée dans la casemate au moment du tir. L’une d’elle abritait d’ailleurs une prise d’air sous cloche blindée. Aveuglés par leur foi inébranlable en la victoire et par leur illusion de Reich millénaire, les bâtisseurs allemands n’avaient en effet jamais imaginés que les casemates puissent être attaquées à revers. Or, ces ouvertures constituaient de prodigieux points faibles. Suite au débarquement des Alliés en Normandie le 6 juin 1944, elles furent en partie obstruées par les Allemands et leur ouverture fut ramenée à un espace de 40 x 20 cm pour les transformer en meurtrières, permettant le tir d’une mitrailleuse ou d’une arme légère. Du côté intérieur, la banquette de ces nouvelles meurtrières était inclinée vers l’extérieur, pour permettre un tir plongeant en direction de la route. En même temps, quelques postes de défense rapprochée furent installés aux alentours et sur les casemates pour faire face à l’éventualité d’une attaque ponctuelle, par exemple par des parachutistes ou des commandos.

LE REZ DE CHAUSSEE : L’ENTREE ET LES SOUTES À MUNITIONS

Au rez-de-chaussée, un large couloir qui s’ouvre à l’arrière de la casemate, sert  d’accès pour le personnel comme pour le matériel. Sur la portion de son trajet menant aux soutes, il est équipé au plafond d’un monorail avec palan, destiné à faciliter l’acheminement et la manutention des munitions. Le sol du couloir est d’ailleurs percé d’une trémie qui permettait, le cas échéant, la descente au sous-sol de pièces de rechange destinées au groupe électrogène ou au système de ventilation.

La casemate comporte 2 soutes à munitions distinctes. La plus grandes était réservée aux douilles  et aux gargousses, qui y étaient stockés sur 4 rangées, comme en témoignent les monorails fixés au plafond. La seconde abritait uniquement les obus, alignés seulement sur 2 rangs, en raison de leur poids et de l’encombrement. Chaque soute s’ouvre sur la chambre de tir par une large ouverture de 2 m x 1 m qui permet le transfert des munitions sur les wagonets destinés à approvisionner la pièce.

LE SOUS-SOL : CHAMBRE DES MACHINES, VENTILATIONS ET LOGEMENTS

On accède au sous-sol  par un escalier étroit qui s’amorce dans le couloir réservé au personnel, entre l’entrée principale et la chambre de tir.

Le sous-sol est en grande partie occupé par les locaux techniques : système de ventilation, installations de chauffage, filtres, salle des machines abritant le groupe électrogène.

Construit par DEUTZ, le groupe électrogène développait une puissance de 36 KVA. Il assurait l’éclairage de la casemate,  l’alimentation des moteurs du système de ventilation ainsi que ceux de mise en mouvement de la pièce. L’air nécessaire au moteur et au refroidisseur était directement prélevé par une cheminée remontant en superstructure sous cloche blindée. Contre le mur du fond étaient placées les 2 cuves à gasoil totalisant une contenance de 67’750 litres.

Derrière ce mur se trouvait un atelier d’où partait une gaine technique remontant par une cheminée à l’aplomb du pivot soutenant la pièce, qui permettait un accès aisé pour effectuer d’éventuelles réparations.

Le reste du sous-sol était occupé par 5 locaux, comprenant la cambuse, une salle abritant le système de ventilation et la réserve d’eau, deux cantonnements pouvait abriter chacun 18 hommes de veille et enfin une chambre donnant directement sur la salle du groupe, qui était réservée à l’officier commandant la casemate.

LA TOURELLE

Construite sur le principe des tourelles de marine équipant les cuirassés de la Kriegsmarine, la tourelle de chacune des 4 casemates avait une forme légèrement trapézoïdale. Elle mesurait 9 m de long, 6 m de haut, 8 m à sa partie la plus large et 4,5 m à sa partie la plus étroite. Elle comportait 2 étages auxquels on accédait par des échelles (à l’avant depuis le socle, à l’arrière par le couloir des soutes) ou du haut, à partir d’une galerie de service.

L’étage inférieur de la tourelle abritait les moteurs de réglage et ménageait le volume nécessaire pour permettre le passage du recul de la culasse lors des tirs à longue portée, lorsque le tube était relevé avec un grand angle d’incidence.

L’étage supérieur comprenait les dispositifs de pointage, de chargement, ainsi que la liaison téléphonique et le commandement. La montée des obus et des gargousses était assurée par 2 monte-charges qui descendaient dans les couloirs des soutes de la tourelle. On retrouvait là les 2 wagonnets venus avec leur chargement. Obus et gargousses étaient placés dans les monte-charges et hissés séparément vers l’étage de la tourelle. Une fois parvenus à ce niveau, ils étaient pivotés de 90 degrés pour être placés dans l’axe du canon, puis amenés jusqu’à la culasse et enfin engagés par un refouloir hydraulique dans le tube. Toutes ces manœuvres s’exécutaient impérativement avec le canon disposé horizontalement, avec une incidence de 0 degrés.

Le  blindage de la tourelle était entièrement réalisé en plaques d’acier de 40 mm d’épaisseur. Après chaque tir, les gaz brûlés étaient aspirés par 2 ventilateurs fixés au plafond de la tourelle, puis rejetés à l’extérieur par la cheminée de tôle, si caractéristique de la Batterie TODT.

LA PIECE

Les pièces qui équipaient les tourelles des casemates étaient identiques à celles installées à bord des cuirassés BISMARK et TIRPITZ. Ce type de pièce,  revu et amélioré par Krupp en 1934 pour armer les nouveaux navires de ligne de la Kriegsmarine, descendait directement des canons de 380 utilisés en défense côtière par les Allemands lors de la première guerre  mondiale.

La pièce pesait 105,3 tonnes pour une longueur totale de 19,63 mètres, dont 15,75 m de tube. Celui-ci possédait 90 rayures à droite au pas progressif de 5/6°.

Pour améliorer les performances lors des tirs à longue portée, la longueur de la chambre avait été augmentée à  2,48 m.

Le réglage en site était compris entre -4° et + 52°, le chargement se faisant obligatoirement avec  le tube rétabli à O°, c’est-à-dire horizontal. Quant à l’azimut, il était limité par les 120° de l’embrasure. Contrairement aux systèmes utilisés notamment par les Anglais, il convient de noter que le réglage en site était réalisé par une noix se déplaçant sur une vis sans fin, avec renvoi de bielle sur le berceau du canon. Le réglage en azimut était obtenu par des galets porteurs  à l’arrière de la tourelle. Tous les mouvements du tube étaient assistés par des moteurs électriques mais pouvaient, le cas échéant, être réalisés à la main.

LES OBUS

Il existait 3 types d’obus auxquels vint s’ajouter le SIEGFRIED GRANATE, spécialement conçu pour le tir à longue portée. Tous ces obus étaient du type SK C/34.

  1. OBUS STANDARD :

 38 cm Sprengranate L/4,6 mit Kopfzünder mit Haube

Obus de 800 kg et de 1,75 m de haut (calibre 4,6) à haut pouvoir explosif, utilisé avec fusée de tête KZ C/27 sous fausse ogive.

2.  OBUS SEMI-PERFORANT :  

 38 cm Sprengranate L/4,4 mit Bodenzünder mit Haube

prévu pour l’attaque des navires faiblement cuirassés
 Obus semi-perforant de 800 kg  et 1,68 m de haut (calibre 4,4) utilisé avec fusée de culot à retard modèle marine Bdz C/38 et une coiffe de perforation.

  1. c) OBUS PERFORANT :

 38 cm Panzer Sprenggranate L/4,4 mit Bodenzünder mit Haube.

prévu pour le combat contre des navires lourdement cuirassés ou des ouvrages bétonnés

Obus fortement aciéré de 800 kg  et 1,68 m de haut (calibre 4,4) utilisé avec fusée de culot à retard modèle marine BdZ C/38, conçu pour perforer les blindages des plus gros navires de ligne.

  1. d) OBUS «  SIEGFRIED » pour le tir à longue portée

38 cm SIEGFRIED GRANATE L/4,5 mit Bodenzünder mit Haube.

Obus de conception HEER, spécialement conçu pour le tir à longue portée.

Poids de 495 kg pour une hauteur de 1,67m (calibre 4,5). Il pouvait être utilisé en tir percutant avec effet de souffle ou en tir pénétrant avec retard réglable. Il fonctionnait avec plusieurs  type de fusées

LA CHARGE PROPULSIVE

Les 3 obus d’origine marine étaient tirés avec une charge standard unique, divisée en 2 gargousses pour faciliter le maniement.

La SIEGFRIED GRANATE était tirée avec 2 gargousses utilisables séparément comme charge réduite ou charge pleine, appelée SIEGFRIED LADUNG.

Dans les 2 cas, la charge principale (Hauptkart) se présente sous la forme d’une douille en cuivre jaune  tandis que la charge d’appoint est contenue dans un sac en cellulose renforcé de fibres.

Le chargement s’effectuait dans l’ordre suivant : obus, Vorkart, puis Hauptkart.  La mise à feu était déclenchée par une capsule à percussion C/12 nA St (neuer Art aus Stahl). Les 3 obus de conception Kriegsmarine avaient une portée de 42 km avec une vitesse initiale de 820 m / seconde. La SIEGFRIED GRANATE de conception Heer atteignait 41 km en charge réduite avec une vitesse initiale de 923 m / seconde, et 55,7 km en charge pleine avec une vitesse initiale de 1050 m / seconde.

En 1943, un nouveau type de poudre fut essayé pour allonger la durée de vie de 200 à 240 coups, mais les performances furent décevantes et l’expérience ne fut pas prolongée.

LA BATTERIE TODT VITRINE DU REGIME NAZI

Mise en chantier dès août 40, les casemates étaient construites jusqu’au niveau de la première rangée d’ouverture en décembre suivant, comme en témoignent les photographies réalisées à l’époque par le service de propagande de l’armée allemande.

Une étude détaillée permet de constater que les 4 casemates étaient pratiquement semblables, à  quelques détails près, tels la position et le sens des portes ou encore la disposition des ouvertures, en particulier celle permettant l’accès de la voie étroite.

En 1942 ou 1943, les casemates 2 et 4 furent munies d’une sorte de balcon extérieur plaqué  contre la façade, permettant d’accéder en deux temps à la pièce de FLAK installée sur la dalle de la toiture. A la même époque, deux petits postes de défense rapprochée furent construits, l’un au-dessus de l’accès de la casemate 1, l’autre à l’aplomb de l’embrasure de la casemate 4.

Comme ses voisines, la Batterie Todt reçut la visite de hauts dignitaires nazis, à commencer par le Reichsmarschall Hermann Göring venu encourager ses pilotes durant la bataille d’Angleterre, puis celle de Rudolf Hess, et enfin celle d’Adolf Hitler lui même le 23 décembre 1940, en début d’après-midi.

Y passeront également les plus hauts responsables militaires allemands mais aussi de nombreuses délégations étrangères provenant des pays de l’Axe, ainsi que des généraux vétérans de la première guerre mondiale, des Gauleiters du Reich  et, bien entendu, le Feldmarschall Erwin Rommel, nommé en 1944 à la tête des défenses du Mur de l’Atlantique.

Avec la batterie Lindemman, la Batterie Todt fut sans doute l’ouvrage du Mur de l’Atlantique le plus populaire et le plus médiatisé par les services de propagande du Dr. Goebbels, qui en firent un véritable symbole de la puissance de l’Armée allemande et du caractère immuable du Reich  qui se voulait millénaire. On ne compte plus les photographies, les films et les articles publiés à son sujet. Ces images contribuèrent d’ailleurs fortement à forger le mythe du caractère infranchissable du Mur de l’Atlantique, dont les défenses, sur les autres points de la côte, étaient bien inférieures à l’impressionnante concentration de grosses batteries que l’on trouvait dans le Pas de Calais.

LA BATTERIE TODT DANS LA GUERRE

C’est en automne 1941 que la batterie devint réellement opérationnelle, avant d’être officiellement inaugurée en grande pompe le 11 janvier 1942. Elle est alors servie par le 242ème Marine Küstenartillerie Bataillon, sous les ordres du lieutenant de vaisseau Klaus Momber. Cette unité fait partie du 242ème Marine Artillerie Regiment, commandé par le capitaine de vaisseau Jullius Steinbach, avec PC installé au château de Biauville, à Wimille.

Jusqu’en septembre 1944, la Batterie TODT va prendre sous son feu les côtes anglaises et menacer le trafic maritime de la Manche. Les 4 pièces de 380 mm tirèrent en moyenne 200 obus chacune entre l’automne 1941 et l’automne 1944, comme en témoigne le tableau de tir de la casemate 2. Sous l’aigle de la Kriegsmarine et l’inscription « Turm II hat geschossen (la tourelle 2 a  tiré :), sont classées, par ordre chronologique et par année, les dates de tir. On peut ainsi constater que si les pièces restaient parfois jusqu’à deux mois inactives, il leur arrivait parfois de tirer 12 obus dans la même journée. Les types d’obus tirés sont figurés sous trois couleurs distinctes : bleu pour les Sprenggranate L/4,6 et L/4,4 ; rouge pour les Panzergranate L/4,4  et jaune pour le Siegfried Granate L/4,5.

Cependant, la bataille d’Angleterre n’ayant pas entraîné les résultats vraiment décisifs en faveur de la Luftwaffe, le projet d’invasion de la Grande-Bretagne (opération SEELÖWE) fut plusieurs fois ajourné et reporté. Il finit même par être peu à peu abandonné et définitivement enterré avec le déclenchement de l’attaque contre la Russie le 22 juin 1941 (opération BARBAROSSA). Les nombreuses batteries côtières sur rail déployées sur le rivage du Pas-de-Calais furent alors retirées vers d’autres front et les batteries sous casemate du Griz-Nez perdirent définitivement leur caractère offensifs pour être englobées dans les défenses du Mur de l’Atlantique.

ATTAQUE ET DESTRUCTION DE LA BATTERIE TODT

Les Alliés, débarqués le 6 juin 1944 sur les plages de Normandie, ne parvinrent qu’en début septembre dans le Pas de Calais. Les trois mois qui séparent ces deux dates furent évidemment mises à profit par les Allemands pour renforcer les défenses annexes de la Batterie et, en particulier, boucher les ouvertures situées dans les murs arrières des casemates.

Début septembre, les Alliés remontant la côte de Picardie parviennent enfin au contact des défenses éloignées des poches de Boulogne et de Calais. La ligne de front se rapproche dangereusement des batteries côtières, mais celles-ci continuent inexorablement à pilonner la côte anglaise selon un rythme régulier établi par une longue routine. Puis, à partir du 10 septembre, l’intensité des tirs s’accroît, les garnisons allemandes essayant vainement de vider leurs soutes à munitions. Les 1er, 4 et 5 septembre, les casemates de la Batterie TODT engagent même des duels d’artillerie avec les batteries de la côte anglaise installées entre Douvres et Folkstone. Dans la seule journée du 5, la région de Douvres reçoit une centaine d’obus de gros calibre, tandis que le 11 septembre c’est le tour de Folkestone d’essuyer une pluie de projectiles. Cette débauche d’obus a  toutefois des conséquences :  le 13, une des 4 pièces de 380 mm de la batterie TODT se fend littéralement de la culasse à la gueule, suite à l’explosion prématurée d’un obus dans le tube.

Le 15 septembre, alors que les Anglais bombardent le Gris-Nez, TODT exécute un tir de contre-batterie. Mais à partir de cette date, la fin est proche. Dès le 17 septembre, l’artillerie de campagne anglaise, bien qu’en limite de portée, concentre ses tirs sur le secteur du Gris Nez et de Sangatte, prenant à partie directement les batteries TODT et LINDEMANN.

Entre le 17 et le 19 septembre, TODT est intensément pilonnée par son homologue anglaise, la batterie Wanston (2  pièces de 15 inches = 380 mm) et par l’ensemble des batteries à longue portée des environs de Douvres.

Le 18, les batterie TODT et GROSSER KURFÜRST sont soumises simultanément à un intense bombardement aérien et à un pilonnage en règle par la flotte anglaise, cuirassés et croiseurs lourds en tête, venue appuyer de ses canons de marine le déluge de fer et de feu qui s’abat sur les batteries du Gris-Nez. Pour soulager celles-ci, la batterie LINDEMANN du Blanc Nez entre à son tour en action. Ses énormes tourelles de 406 mm prennent pour cibles les navires de ligne de la Home Fleet. Le tir allemand est précis et, après avoir rapidement encadré les vaisseaux, la batterie LINDEMANN enregistre quelques coups au but sur les plus grosses unités de la flotte britannique, contraignant celles-ci à s’éloigner.

Les attaques aériennes contre la batterie TODT avaient commencé dès le printemps 1944. La FLAK de protection, puissante et efficace, obligeait les bombardiers alliés à opérer à trop haute altitude pour obtenir une certaine précision. Le commandement de la R.A.F. ne se faisait d’ailleurs aucune illusion sur l’efficacité de ces opérations. Mais les bombardements, exécutés avant le jour J, faisaient partie du plan des Etats-Majors alliés consistant à entretenir l’O.K.W. dans l’illusion d’un débarquement dans le secteur du Pas-de-Calais. Le raid aérien du 9 mai fut le plus important réalisé avant la date du débarquement.

Avant l’attaque définitive, la batterie connaît même un répit relatif. Toutefois, le 20 septembre a lieu la plus forte attaque aérienne contre le secteur du Gris-Nez. Ce jour là, 600 bombardiers américains déversent sur le périmètre de la batterie près de 6’000 bombes de 250 et 500 kgs. Ce bombardement met hors service le canon de la tourelle 1 par un coup direct. L’effet du bombardement sur les casemates est négligeable mais par contre toutes les installations non bétonnées sont détruites. Le terrain aux alentours est retournés, transformant tout le secteur en un vaste désert lunaire criblé de cratères.

Pendant ce temps, au sol les Canadiens terminent les derniers préparatifs pour lancer l’assaut final. Dès le 23, le secteur du Gris-Nez est bouclé par les troupes canadiennes. Encerclées dans la poche, les batteries TODT et GROSSER KURFÜRST sont isolées et voient leurs communications coupées. Désormais, elles doivent assurer seules leur autodéfense.

Il n’y en a plus maintenant que pour quelques jours, mais TODT continue inexorablement à pilonner l’Angleterre.

Le commandant canadien du North Highlander Regiment souhaiterait entrer en contact téléphonique avec  le commandant de la batterie pour exiger sa reddition et épargner des morts inutiles, mais le projet est rendu impossible par la rupture des communications due aux bombardements aériens. C’est ainsi que la garnison de la batterie n’a pas vent de l’attaque que les Canadiens du North Shore Regiment lancent le 25 sur la crête des Noires Mottes pour s’emparer par l’arrière de la batterie LINDEMANN. Soutenus par des chars spéciaux de la 79e Division Blindée, ils parviennent à s’installer sur la crête mais s’y retrouvent cloués au sol par le feu nourri et puissant des mitrailleuses allemandes  provenant des casemates. La tourelle C, la seule encore en état de la batterie LINDEMANN, ouvre encore le feu ce jour là sur l’Angleterre, avant d’être définitivement réduite au silence. Dans la soirée, tout est fini : LINDEMANN est tombée et les Canadiens investissent la poche du Blanc Nez. Reste la poche du Gris-Nez, avec les batteries TODT et GROSSER KURFÜRST.

Au cours des 26 et 28 septembre, TODT essuie deux nouveaux raids aériens massifs, menés respectivement  par 530 et 300 appareils de la  R.A.F., qui déversent environ 2000 tonnes de bombes sur la tête des défenseurs allemands. Le terrain alentour est labouré et retourné une nouvelle fois en tous sens, sans pour autant que les bombes parviennent  à ébrécher le béton des casemates où se terre la garnison. Malgré des  tirs d’artillerie non moins puissant le 26 septembre, TODT continue à harceler les villes de la côte anglaise, où de grands incendies ravagent Douvres et Folkestone..

Le 27 septembre, les bombardements reprennent et la pièce de la casemate 1 est mise hors de combat.

L’assaut final contre la batterie TODT est lancé dans la matinée du 29, après un dernier et violent bombardement, aérien et terrestre, sur toute la position, juste avant que l’infanterie et les chars canadiens franchissent le périmètre de défense. La prise échoit au North Scotland Highlanders Regiment (Canada), qui reçoit l’ordre de s’emparer des casemates de la batterie, à Haringzelle, et du poste de commandement situé au Cran-aux-Oeufs. La compagnie D est chargée de prendre d’assaut la casemate 1 située au nord, la compagnie B se chargeant des trois autres positions. A leur suite, et une fois les casemates prises, la compagnie C doit passer à l’attaque des installations du Cran-aux-Oeufs. L’infanterie est appuyée par un escadron de chars démineurs, deux pelotons de chars lance-flammes et un peloton de chars armés de mortiers de démolition.

L’opération débute par l’attaque de la casemate 1. Arrivés aux  tranchées devant la casemate, les chars lance-flammes entrent en action. L’équipage de la casemate ne se rend compte de l’attaque que lorsque des grenades, lancées par les fantassins, commencent à tomber par l’embrasure. Les 175 artilleurs servant la pièce n’opposent pas de résistance et rendent immédiatement. La compagnie D s’organise alors sur la position.

Pendant ce temps, la compagnie B s’était occupée des trois autres casemates. Au petit matin, juste avant le déclenchement de l’assaut, l’un des canons de la batterie tire encore sur l’Angleterre. Le ciel est si pur que les Canadiens peuvent voir l’explosion de l’obus.

Débouchant des petits bois de  Combles et des Louvières, où elles s’étaient regroupées pendant la nuit, les troupes avancent en droite ligne sur les casemates, derrière les chars démineurs.

Un des chars Avre’s s’avancent à toucher la casemate 3 et ouvre le feu à bout portant avec ses énormes tubes de 290 mm.

Les casemates 2 et 4 sont prises lorsqu’un soldat monte sur le toit et laisse tomber des grenades par une goulotte d’aération. Lors de l’attaque, le filet de camouflage d’une des casemates prend feu et brûle en quelques secondes (l’été 1944 fut très chaud et très sec), provoquant la reddition de l’équipage. Un planton accompagné d’un allemand est aussitôt envoyé chercher à la compagnie D l’officier le plus ancien  qui vient pour recevoir la capitulation des trois casemates. Il trouve le commandant allemand en train d’achever son repas. Ceci montre bien que tout ce qui se passait à l’extérieur ne troublait guère les occupants des casemates.

Restait encore le poste de commandement au Cran-aux-Oeufs. La compagnie C commence à se déployer vers midi, après la reddition des casemates. De la position de départ, on aperçoit au loin le poste de commandement et le radar, placé sur une petite hauteur, en bordure de la côte, mais il reste un long espace à découvert à traverser pour y arriver. L’infanterie canadienne  suit les chars démineurs. A peu de distance de la base de départ, l’un des chars explose sur une mine, les chenilles démantelées. N’osant plus avancer, les autres chars apportent, de leur place, un soutien à l’infanterie qui finit par aborder la position. Elles trouve les tranchées abandonnées et, bientôt, quelques allemands sortent des abris souterrains. Quelques rafales d’armes automatiques sont tirées du PC, mais ce dernier capitule rapidement après l’éclatement d’une explosion : ce sont les allemands qui viennent de faire voler en éclats les instruments de contrôle de tir des canons de la batterie.

La prise de cette formidable batterie, qui le matin même de sa capture tirait encore sur l’Angleterre, fut effectuée en un temps record et avec le minimum de pertes : 6 tués et 19 blessés, à tel point que les soldats qui y prirent part eurent l’impression d’avoir participé à l’un des exercices d’entraînement comme ils en avaient tant subi en Angleterre…

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz