LE CHARGEMENT PAR LA CULASSE SUIVANT LE SYSTÈME AMSLER-MILBANK 1867

 

Avec la balle à expansion et le fusil rayé de petit calibre, l’armurier était parvenu au terme de la longue marche qu’il suivait de­puis la mention, par Graziani, du trait à pou­dre portatif utilisé par les gens de guerre de Perugia en 1364.

SI les soldats de 1865 envoyaient leurs balles plus loin, avec plus de précision que les mousquetaires de Louis XIV ou les grognards de Napoléon, ils ne tiraient pas plus vite : deux coups par minute. Or, en trente secondes, un fantassin courait sur 100 mè­tres, disposant ainsi d’une liberté de manœuvre, entre deux salves, bien gênante pour l’adversaire. Pour inquié­ter l’assaillant, il aurait fallu ne pas espacer les rafales de plus de cinq secondes ! Possible, mais en engageant, à la fois, le sixième des tireurs seulement…

Un expert militaire admet que lorsqu’un ennemi, à 500 pas, s’avance au pas de course pour charger à la ba­ïonnette, la troupe assaillie ne peut tirer que quatre fois avant le choc ; la possibilité de mise hors de combat des attaquants est donc réduite avec les conséquences qui en résultent pour les attaqués s’ils sont inférieurs en nombre.

On a cherché très vite à restreindre le temps de charge en préparant à l’avance une « chambre » contenant la poudre et la balle introduite à l’arrière du canon. Il existe à Londres deux arquebuses d’un tel type qui ont ap­partenu à Henry VIII (1491-1547). L’une est datée 1537; sur la culasse, un couvercle à charnière s’ouvre de côté. Il existe encore neuf exemplaires de ces cham­bres d’acier prévues pour recevoir la charge. Charles-Quint appréciait aussi ce système ; son armurier, Peter Pech, avait construit pour lui, en 1553, une arquebuse à mèche à chargement par la culasse. Elle est conservée au musée bavarois de Munich.

L’histoire de l’armement est jalonnée de ces tentatives : celle de l’ingénieur français. Isaac de la Chaumette, est décrite dans la publication de l’Académie royale des sciences de 1704. Elle consiste en un bouchon à vis traversant toute la culasse de bas en haut. Ce bouchon est solidaire du pontet de sous-garde utilisé comme poi­gnée d’action. En se dévissant, le bouchon s’abaisse et dégage une entrée dans le canon par laquelle on in­troduit la balle et la poudre ; une platine à silex assure la mise à feu.

Patrick Ferguson (1744-1780) perfectionne l’invention de la Chaumette. Après des démonstrations éblouissan­tes – quatre coups par minute – il obtient la fourniture de son armement pour un détachement qui allait se joindre aux troupes anglaises chargées de mater la ré­bellion des Etats d’Amérique (1776).

En 1814, le chargement par la culasse frôle la solution définitive avec l’invention du bernois Samuel-Johannes Pauly (1766-1828). Il réalise l’unité de cartouche en réunissant, en un étui unique, l’amorce, la poudre et la balle. La longue culasse de son fusil, prolongée par un levier, se soulève en dégageant l’entrée du canon. Le percuteur à aiguille est solidaire d’un chien servant de levier d’armement. L’invention soumise à Napoléon alors qu’il arrivait à Paris après la désastreuse campagne de Russie, est repoussée, son intérêt très réel étant mineur par rapport à l’écrasante tâche consistant à briser la coalition des pays étrangers luttant contre la France.

L’invention de Pauly sera reprise par un de ses anciens ouvriers Jean-Nicolas Dreyse (1787-1867) qui fournit alors à la Prusse, en 1841, un fusil à chargement par la culasse, prototype de l’armement conventionnel que nous connaissons maintenant.

Les autorités militaires des grandes puissances admet­tent, vers les années 1850, la nécessité d’améliorer la puissance de feu de l’infanterie ; mais comment aug­menter la rapidité du tir ? On ne peut gagner aucune seconde sur la mise en joue, la visée, le départ du coup ; c’est donc du côté de la charge, sur la mise en place du projectile dans le canon, qu’il faut chercher. Seul, le chargement par la culasse – et avec une cartouche complète – permettrait d’intensifier la densité du feu.

Au cours de son histoire, la Suisse a toujours mis l’ac­cent sur l’action individuelle de ses soldats ; il faut donc leur fournir le fusil le meilleur. Or, les armes à char­gement par la culasse viennent de subir la dure épreuve des champs de bataille: guerre de Sécession (1861-1865), guerre du Danemark (1864), campagne de Bo­hême (juin-juillet 1866) opposant la Prusse à l’Autriche. Les experts militaires associent d’ailleurs le succès fou­droyant de l’armée prussienne à son fusil à chargement par la culasse, surclassant nettement celui de l’infanterie autrichienne qui se charge encore par la bouche.

Les autorités suisses sont placées devant trois obliga­tions :

– Il faut, pour toute l’armée, la nouvelle forme de char­gement ;

– Celle-ci doit être introduite très vite, car les armées étrangères s’affrontent aux frontières ;

– La Suisse doit faire respecter l’intégrité de son ter­ritoire.

On vante fort, maintenant, les armes à répétition qui ont été appréciées pendant la guerre de Sécession : ca­rabines Spencer et Henry, cette dernière décrite comme : … une des meilleures armes à répétition qui aient passé entre les mains des experts… Comme on le verra, c’est le facteur « rapidité de transformation » qui déterminera la décision.

Le département militaire comprend la nécessité d’as­socier les inventeurs d’Europe et d’Amérique à ses étu­des. Aussi, le 29 mai 1865, il publie le texte qui met au concours … un fusil modèle se chargeant par la cu­lasse  avec une prime de 20000 F pour le réalisateur du système qui sera adopté pour l’armement fédéral.

Les concurrents présentèrent cinquante et un fusils dont quatre seulement furent sélectionnés pour des essais ultérieurs, ceux de : Joslyn, Peabody, Milbank et Hugel. Un certain nombre de nos fusils devaient être trans­formés d’après ces quatre systèmes, par un … habile mécanicien, M. Amsler à Schaffhouse.

L’approbation du nouveau système dépend de « l’arrêté fédéral concernant les fusils se chargeant par la cu­lasse » du 20 juillet 1866. La commission d’experts, composée de cinq colonels et d’un lieutenant-colonel prend très vite une décision, puisque le 26 juillet 1866

– six jours après l’arrêté acceptant le principe du char­gement par la culasse – elle se réunit à Berne pour fixer le programme des essais.

Il y a eu, en 1866, trois séries d’essais avec des armes diverses. Le fusil d’infanterie et le fusil de chasseur, transformés par M. Amsler, furent comparés à d’autres, par exemple l’Enfield-Snider, le Chassepot, le Henry. Les fusils Prélaz-Burnand ne sont pas encore « sous la loupe » parce que leur transformation est une question non encore éclaircie et demande de nouveaux essais, mais l’éclaircissement viendra lors des essais de l’au­tomne 1866.

MUNITIONS

On a fait venir d’Amérique vingt-deux machines pour la fabrication des douilles, y compris les cartouches de cuivre. …Après que l’Assemblée fédérale aura décrété l’introduction des fusils se chargeant par la culasse et en même temps aussi celle de cartouches uniformes on pro­cédera dans la fabrication de capsules à des essais pour la confection des enveloppes métalliques de ces cartou­ches… … Dans le cours de la seconde moitié de l’année trois machines déjà se trouvaient organisées pour la nou­velle fabrication… …On a déjà commandé en Amérique de nouvelles machines.

Voici les caractéristiques des nouvelles munitions :

GROS CALIBRE:

– Hauteur totale : 40 mm, étui en tombac (93 % cuivre, 7 % zinc), hauteur 25 mm ;

– Calibre: 17,8mm, calibre du bourrelet 21mm;

– Projectile : plomb, conique, pointe aplatie avec une gorge à bord arrondi, sertie dans l’étui, expansion as­surée par une cavité en tronc de cône, profondeur 11,5 mm ;

– Poids de la cartouche: 51,360g;

– Poids de la balle: 40,470g;

– Longueur de la balle : 24,5 mm ;

– Vitesse de tir : 6-8 coups par minute (2 coups avec le chargement par la bouche!);

– Charge : 4,5 g de poudre noire n° 4.

PETIT CALIBRE:

– Longueur totale : 56 mm ;

– Poids total : 30,5 g ;

– Longueur de la balle à expansion : 25,5 mm ;

– Poids de la balle: 20,4g;

– Calibre: 10,5 mm;

– Longueur de l’étui : 38 mm, tombac ;- Charge : 3,6 g, poudre noire ;

– Forme de la balle : plomb, pointe arrondie, 4 rainu­res;

Vitesse initiale: 440 m/sec;

– Percussion : annulaire.

LES ESSAIS

Les experts divisent en trois groupes les fusils essayés. Dans l’un, la pièce de fermeture de la culasse se meut entièrement – ou en partie – à l’intérieur du fusil. C’est à cette catégorie qu’appartiennent les fusils Henry, Peabody. Spencer, Remington.

Le second groupe comprend les systèmes se fermant au moyen d’un clapet qui se meut sur une charnière; ce sont les Milbank, Joslyn et Amsler.

Le troisième groupe se rapporte aux armes dans les­quelles la fermeture est assurée au moyen d’un cylindre qui avance et recule dans l’axe du canon. Le type en est le fusil à aiguille prussien, avec une platine d’un mo­dèle tout à fait spécial.

On voit immédiatement que les armes du second groupe se prêtent particulièrement à une transformation des armes se chargeant par la bouche, parce que la pièce de fermeture peut s’adapter à l’extrémité raccour­cie du canon sans que la platine soit touchée et sans avoir à modifier une autre partie de l’arme. C’est la so­lution simple, rapide et économique et c’est la solution de M. Isaac Milbank de Greenfield-Hill (Connecticut, Etats-Unis) qui fait breveter son clapet le 5 septembre 1867. Ce système sera encore amélioré par Jacob Amsler (1823-1912), armurier à Schaffhouse. Il pré­sente le grand avantage d’admettre un extracteur ef­ficace.

La commission propose donc, dans son rapport du 12 octobre – et sur le résultat des essais de l’automne 1866 – la transformation des armes de petit calibre, suivant le système AmsIer-Milbank.

LE CLAPET AMSLER-MILBANK

II est contenu dans une carcasse prolongeant le canon et qui vient s’y visser. Le couvercle se soulève d’arrière en avant ; sous ce couvercle, une pièce cylindrique, for­mant obturateur, vient buter contre le culot de la car­touche. Un verrou rectangulaire, mobile, prolonge à l’ar­rière le clapet et s’engage, en oblique, dans la boîte de culasse. Les gaz de la poudre, agissant dans l’axe du canon, pressent le verrou qui, à cause de son appui en oblique, ne peut se soulever ; la fermeture est ainsi solidement maintenue.

Si l’on soulève le verrou à l’aide du gros bouton qui le prolonge à droite, il se dégage de l’oblique, s’élève et entraîne le clapet dont il est solidaire. C’est vraiment la solution parfaite, efficace et économique et il faut souligner la perspicacité des inventeurs qui ont imaginé un tel système. Il suffit de raccourcir le canon en sup­primant la masselotte de la cheminée dont l’emplace­ment subsiste, sans gêne, dans la plaque de platine où rien n’a été modifié. Le chien s’abat sur la tête de la broche percutante dont la pointe pénètre de un mil­limètre environ dans le fond métallique de la cartouche (inflammation périphérique).

Dans les armes de gros calibre (Prélaz-Burnand) l’ex­tracteur, solidaire du clapet, est à gauche ; celles de pe­tit calibre (carabines et fusils de chasseurs) l’ont à droite. Dans ces dernières, le gros bouton à droite est rem­placé par une languette qui prolonge le clapet vers l’ar­rière.

LES FUSILS DE GROS CALIBRES

Leur transformation n’est plus alors qu’une affaire de chronologie. Après la mise au point du clapet et de la munition pour le petit calibre, les études continuent et sont caractérisées par le texte de la circulaire que le département militaire de la Confédération suisse adresse aux autorités militaires des cantons le 7 mai 1867 : … Le Conseil fédéral a maintenant fixé les ordon­nances pour la transformation des fusils de grand et de petit calibre en fusils se chargeant par la culasse … Chargé de l’exécution des décisions du Conseil fédéra/, le département a pris /es mesures tes plus complètes pour pousser avec la plus grande énergie les travaux de trans­formation… Suit la liste des ateliers chargés de la mo­dification des fusils de grand calibre:

– MM. Socin et Wick à Bâle;

– Escher, Wyss et C » à Zurich ;

– Suizer à Winterhour ;

– Wahl et Aemmer à Bâle.

LES FUSILS DE PETITS CALIBRES

Ils ont été répartis entre vingt-cinq ateliers dont ceux de la S.I.G. à Neuhausen ; la surveillance du travail de transformation incombait au capitaine Rodolphe Schmidt de Bâle avec le titre de contrôleur-chef ; nous le retrouverons avec l’histoire du fusil de 1889.

Son rapport final sur les opérations de transformation fait ressortir combien celles-ci ont été pénibles : les en­trepreneurs paraissent s’être trompés dans leur juge­ment sur l’exécution d’un travail qui exigeait une exac­titude plus grande que celle prévue. La société indus­trielle suisse à Neuhausen fournissait aux ateliers les pièces brutes de la fermeture, mais la manière de les travailler conduisit à bien des déboires. Enfin, en juillet 1869, l’armée est en possession de 53368 fusils de gros calibres et 76 735 de petits calibres, avec des frais de transformation s’élevant à 18,20 F pour les premiers et 17,90F pour les seconds!

Cet armement restera en mains des soldats suisses jusqu’au Vetterli dont nous parlerons bientôt.

par Clément BOSSON 1975

 

 

 

 

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz