La Suisse bombardée durant la seconde guerre mondiale

La deuxième guerre mondiale n’a pas totalement épargné le territoire de la Confédération helvétique, malgré sa neutralité armée officiellement déclarée et connue de tous les belligérants. Si la Suisse a servi de refuge à de nombreux appareils alliés endommagés et de terre d’asile pour un grand nombre de pilotes internés, elle eut en effet à déplorer plusieurs bombardements. La plupart furent le fait de pilotes alliés désorientés ou mal informés qui prirent de bonne foi certaines localités frontalières suisses pour des localités allemandes. Un fort doute subsiste toutefoistoujours pour un petit nombre d’incidents qui pourraient bien avoir été délibérés de la part des Anglo-saxons, pour « punir » la Suisse ou lui signifier un message. Plusieurs attaques furent, à l’inverse, le fait d’avions des forces de l’Axe.

La plupart de ces bombardements ou de ces mitraillages touchèrent des zones périphériques. Ils affectèrent des localités proches de la frontière ou des zones de combat, comme Schaffhouse, enclave suisse en terre allemande au nord du Rhin, Bâle sur le Rhin, Genève à l’extrémité du lac Léman ou encore Morgins, à la frontière entre le Valais et le chablais savoyard. Mais des bombardements frappèrent également des localités situées à l’intérieur du pays, comme Zürich ou Oerlikon. Certains incidents furent le fait d’appareils isolés, comme le mitraillage de Morgins, d’autres mirent en jeu des formations entières qui larguèrent l’ensemble de leur chargement de bombes, comme ce fut le cas à Schaffhouse, avec de nombreux victimes à la clé. Les gares étaient des objectifs prioritaires pour l’aviation stratégique alliée qui avait reçu mission de détruire les infrastructures et les axes de communications. Ceci explique sans doute les bombardements qui frappèrent la ville de Renens (présence d’une grande gare de triage marchandise) et la gare ferroviaire de Bâle, située dans la vallée du Rhin et toute proche du territoire allemand.

Rappelons qu’en 1940, de violents combats aériens opposèrent la chasse suisse à la chasse allemande dans le ciel helvétique, car des pilotes allemands violaient régulièrement notre espace aérien durant la campagne de France. Cette ingérence était certainement en partie volontaire, les pilotes ayant reçu des ordres pour tester la réaction de la Suisse et de son aviation. Durant plusieurs jours, des duels acharnés opposèrent les Messerschmitt Bf-109 G « Gustav » frappés de la croix fédérale blanche sur fond rouge aux Bf-109 arborant la Balkenkreuz noire sur fond blanc. La chasse et la D.C.A. suisse abattirent à cette occasion plusieurs Messerschmitt Bf-109 et Bf-110 allemands, ainsi que des Ju-88, qui s’écrasèrent sur notre territoire. Au grand dam du Reichsmarschall Goering, commandant en chef de la Lutfwaffe allemande (car il y avait une Luftwaffe suisse, on l’oublie toujours !) et de Goebbels, ministre de la propagande de Hitler, qui fulminèrent à Berlin et menacèrent la Suisse des pires représailles, laissant planer le doute quant à une éventuelle invasion par la Wehrmacht de ce « petit pays insolent et prétentieux» (sic). De son côté, la Suisse perdit trois pilotes de chasse au combat lors de ces affrontements.

Dès le milieu du conflit, avec la multiplication des raids stratégiques sur l’Italie du nord depuis les terrains situés en Angleterre, la Royal Air Force britannique ignora délibérément la neutralité helvétique, à l’encontre et au mépris des lois internationales. Durant l’année 1943, les formations lourdes du Bomber Command violèrent régulièrement la partie ouest de l’espace aérien suisse, au-dessus de la Suisse romande, pour couper au plus court vers les grands centres industriels de l’Italie du nord. Cela leur permettaitd’éviter un détour risqué au-dessus des Alpes françaises et surtout d’économiser le précieux carburant pour le long vol de retour vers l’Angleterre. La D.C.A. lourde suisse intervint à plusieurs reprises, prenant pour cibles les lourdes formations compactes illuminées par le faisceau des projecteurs qui trouaient la nuit. Les personnes aujourd’hui âgées de plus de 70 ans se souviennent encore bien du grondement sourd qui accompagnait dans la vallée du Rhône le passage des vagues de bombardiers quadrimoteurs (Halifax, Stirling, Lancaster) lourdement chargés de bombes explosives et incendiaires. Ces unités allaient bombarder de nuit les grands centres industriels de Turin et de Milan, ou le port commercial de Gênes où se trouvaient une raffinerie et de grands dépôts de carburants. Au retour, le bruit était différent car les appareils étaient allégés et les moteurs tournaient à un régime plus haut. Leur passage au-dessus du Valais durait de longues minutes angoissantes, le vrombissement, répercuté par les montagnes, s’amplifiant lentement pour diminuer ensuite lorsque les formations s’engageaient au-dessus des vallées latérales pour franchir les 4000 mètres des Alpes valaisannes. C’est à l’occasion de l’un de ces raids nocturnes, dans la nuit du 12 au 13 juillet 1943, que deux bombardiers lourds Lancaster s’écrasèrent en Valais  par un orage très violent comme on en connait dans les Alpes en été. L’un percuta de plein fouet le flanc de la montagne du Grammont, au-dessus du Bouveret, l’autre, visiblement en difficulté, s’écrasa sur l’alpage de Thyon, au-dessus de Sion, après avoir largué à l’entrée du Val d’Hérémence une énorme bombe qui explosa dans la forêt au-dessus du village de Riau. Les deux équipages furent tués.

Les divers bombardements et mitraillages effectués en Suisse par les forces de l’Axe et les alliés anglo-saxons au cours du conflit coutèrent la vie à 84 personnes et firent 260 blessés plus ou moins graves. Des villes comme Schaffhouse ou Bâle eurent à déplorer des dégâts importants, notamment du fait des bombes incendiaires qui étaient mélangées aux bombes explosives. A Schaffhouse, ces bombes réduisirent en cendre de nombreuses habitations et immeubles, faisant de nombreuses victimes et un grand nombre de sans-abris qui durent être relogés. Le bombardement sur Bâle causa de graves dégâts à la gare ferroviaire. A Renens et dans la banlieue de Genève, des bombes détruisirent plusieurs habitations, de même qu’à Villars-sur-Ollon, dans les Alpes vaudoises. Le canton de Zürich eut également à déplorer des victimes et des destructions, de même que d’autres localités et régions de Suisse… Les dégâts matériels s’élevèrent en tout à 65 millions de francs suisses de l’époque.

Sur le terrain, les pompiers des diverses localités frappées réagirent avec efficacité et courage, luttant avec tous les moyens disponibles pour éteindre les flammes, sauver les maisons environnantes, circonscrire le sinistre et venir en aide aux victimes. De leur côté, les membres de la D.A.P. (défense aérienne passive), ancêtre de la protection civile actuelle, ne ménagèrent pas leurs efforts pour prêter main forte aux pompiers et dégager les corps des décombres. Dotés de leur propre matériel et affublés d’un uniforme bleu-lavande et d’un casque en aluminium, les membres de la D.A.P. parcouraient inlassablement les rues chaque soir pour faire respecter le black-out dès la nuit tombée. Tâche ingrate qui consistait à faire éteindre ou dissimuler par des volets ou des rideaux toutes les lumières parasites de façon à plonger l’ensemble du pays dans la nuit la plus totale. Lorsque L’Allemagne pratiqua à son tour le black-out, le Conseil fédéral ordonna, à l’inverse, de maintenir l’éclairage public et privé nocturne, de façon que l’emprise du territoire suisse apparaisse clairement vue du ciel. Ces mesures efficaces évitèrent des méprises lourdes de conséquences, mais ne purent éviter des erreurs de jugement et des incidents malheureux…

Pour en savoir plus ou si vous êtes intéressés par les crashs d’avions alliés ou allemands en Suisse, et plus généralement par les bombardements qu’eût à subir la Confédération, une seule adresse, celle de M. Sébastien Brunny qui s’est mis en tête, en 2007, de visiter et d’explorer les 22 sites de crash répertoriés en Suissepour la deuxième guerre mondiale. En l’espace de 6 ans, il a déjà récolté un très grand nombre de fragments divers dans les épaves, depuis des éléments de compresseurs jusqu’à des instruments de vol, et retrouvés de nombreux objets personnels ayant appartenus à des équipages qui ont perdu la vie sur notre territoire. Ces objets émouvants, complétés par des clichés pris sur les lieux même des crashs au moment des événements et aujourd’hui, témoignent de l’histoire particulière de chaque équipage et des tout derniers moments vécus par ces jeunes hommes. Tous ces objets sont aujourd’hui rassemblés dans un extraordinaire petit musée que M. Brunny a monté à Saxon et que l’on peut désormais visiter sur réservation préalable. Un lieu émouvant et assez extraordinaire qui fascinera autant les passionnés d’aviation que les profanes intéressés par notre histoire récente. Un but de promenade original et idéal pour les familles, les écoles ou les sorties d’entreprises.

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz