B 9477 Forte Ospizio – Col du Saint Gothard – Suisse

Pour ceux qui seraient pressés ou qui ne s’intéresseraient qu’aux images, cet article est illustré par une très abondante galerie de photos que vous trouverez à la suite du texte.

Pour ceux qui seraient pressés ou qui ne s’intéresseraient qu’aux images, cet article est illustré par une très abondante galerie de photos que vous trouverez à la suite du texte.

Historique

Parallèlement au fort d’Airolo interdisant l’entrée sud du tunnel ferroviaire du Gothard, apparut rapidement, suite à l’Alliance germano-italienne (Triplice), la nécessité de fortifier le col lui-même, de façon à défendre le camp retranché de la cuvette d’Andermatt face à un agresseur venant du sud.

Premiers projets avorté (1885-1886)

Sur le col même, le projet initial prévoyait la construction d’un ouvrage fortifié sur un éperon rocheux situé à 400 m au S-E de l’Hospice. On entendait l’armer de 2 mitrailleuses et de 2 à 3 canons (calibres 3,7 ;  5,3 ou 8,4 cm) et de lui affecter une garnison d’une cinquantaine d’hommes. Cet ouvrage projeté était complété, au nord de l’Hospice, par une ligne de défense qui devait s’étendre des deux côtés de l’ancienne route, avec deux mitrailleuses et une à deux compagnies, en partie comme réserve en dehors des ouvrages. Le tout devait coûter 180’000 Frs de l’époque. En février 1886, on décida d’ajouter au projet la construction d’une tourelle cuirassée pour un coût évalué à 170’000 Frs. Jugés trop coûteux, ce premier projet ne vit malheureusement jamais le jour et fut remplacé par un ouvrage beaucoup moins ambitieux, l’ouvrage dit de l’Hospice. On l’appela tantôt « redoute », tantôt « fort », dénominations toutes deux  impropres. Finalement, on adopta le vocable vraisemblablement le plus approprié, celui d’ « ouvrage de l’Hospice ». Dans son état actuel, l’ouvrage, réalisée en grande partie en1893, résulte de 5 étapes de construction (1893, 1900, 1908, 1911 et 1918).<

 

La 1ère étape de construction

Pour des raisons d’économie budgétaire, on décida de construire un ouvrage de terre fermé sur la terrasse située entre le lac de l’Hospice et le pied du Monte Prosa. Les travaux débutèrent dès 1893 mais les modestes moyens financiers alloués obligèrent à se limiter au minimum. Pour faire le plus d’économies possibles, on choisit de construire une sorte de « redoute » qui ne répondait pas aux exigences classiques en matière de construction militaire, bien que le périmètre défensif défini permit de faire feu de tous les côtés. La défense rapprochée fut renforcée par 2 canons de 5,3 cm à tir rapide sur affûts cuirassés mobiles modèle 1887 et par l’installation de 2 obusiers cuirassés de 12 cm modèle 1891. Le combat pouvait ainsi être amorcé à plus grande distance. Dans son état définitif, l’ouvrage abritait également un magasin à munitions, un bureau de tir ainsi qu’un nombre restreint de casemates habitables, orientées vers le nord, qui tenaient lieu de casernements souterrains pour la garnison. Le résultat fut un compromis hybride et boiteux, à mi-chemin entre l’ouvrage permanent et l’ouvrage provisoire, qui souffrait de nombreux défauts tactiques et qui ne donna jamais satisfaction.

Les travaux, commencés en 1893, avancèrent rapidement, si bien qu’il put être remis à la garnison dès 1894, en même temps que les autres ouvrages de la 1ère étape de fortification du Gothard. Toutefois, dans son état originel, l’ouvrage ne formait pas un périmètre défensif  cohérent et fermé: il comprenait une partie basse abritant 2 obusiers de 12 cm sous coupole blindée modèle 1891, une autre où se trouvaient 2 canons de 5,3 cm à tir rapide sur affûts cuirassés mobiles modèle 1887, et enfin une troisième, en partie haute, consistant en une galerie pour 2 mitrailleuses Maxim modèle 1894. Le tout était complété par une série d’emplacements défensifs et de galeries formant un ensemble totalement éclaté. En 1900, l’armement fut complété par l’installation d’une coupole blindée d’observation, d’une épaisseur de 10 cm. En 1908, 2 canons de 5,3 cm sur affûts cuirassés mobiles modèle 1887 furent ajoutés dans la partie supérieure de l’ouvrage, pour compléter la défense rapprochée et combler une lacune du côté amont, portant ainsi à 4 le nombre de pièces à tir rapide.

 

Achèvement de l’ouvrage et renforcement de l’armement

C’est à partir de 1911 et durant le service actif dû à la Première guerre mondiale que l’ouvrage fut complété pour tenter de corriger les lacunes d’origine et en faire un ensemble plus ou moins cohérent. En 1911, la partie supérieure de l’ouvrage, toujours indépendante du reste, fut fermée par une galerie de fusillade sur le front nord, pour battre les pentes dominantes du Monte Prosa. Mais ce n’est qu’en 1918 que les parties inférieures et supérieures furent enfin reliées entre elles. La construction d’une caserne souterraine permit d’améliorer les conditions de logement et l’angle sud fut renforcé par une position d’infanterie située à l’extérieur du périmètre de l’ouvrage.

 

Mission et défauts de conception

L’ouvrage de l’Hospice devait, en particulier, assurer la liberté de mouvement nord-sud, protéger l’arrière du front sud et couvrir le col de manière à pouvoir résister seul, du moins brièvement, à des forces ennemies (italiennes) importantes. Dès l’origine, cette mission se révéla quasiment impossible à remplir vu les erreurs de conception et le manque de moyens financiers qui affectèrent le projet.

L’ouvrage était, en effet, dominé sur deux côtés par la montagne  (le Monte Prosa) et la cour intérieure pouvait être battue depuis les hauteurs; il était particulièrement exposé aux avalanches et était enseveli sous la neige durant 7 mois de l’année, rendant la vie à l’intérieure de l’ouvrage pratiquement impossible. Il disposait d’un champ de tir trop restreint et la puissance de feu des 2 obusiers cuirassés ne pouvait être pleinement exploitée, vu son encaissement. D’autre part, la position choisie manquait de visibilité, ce qui faisait que l’ouvrage ne pouvait guère assurer sa propre défense rapprochée en raison du manque d’obstacles à un assaut ennemi. Enfin, il ne pouvait, à lui seul, contrôler les passages secondaires situés de part et d’autre du col du Saint-Gothard, qui permettaient des mouvements de rocade. En 1903, le bureau de la forteresse d’Andermatt arriva à la conclusion que « les discussions concernant la fortification du sommet du col du Gothard ont tellement traîné en longueur qu’en fin de compte on en est arrivé, compte tenu du chantier, du mode de construction et de l’armement, à la construction la moins heureuse et la moins appropriée… » En résumé, l’ouvrage conçu était une aberration, tant du point de vue tactique que de son habitabilité (voir plus bas). C’est pourquoi, à partir de 1936, furent entreprises la modernisation vigoureuse des ouvrages fortifiés existants (mais pas de celui de l’Hospice !) et, surtout,  la construction de nombreux ouvrages neufs dans le massif du Gothard, pour renforcer les défenses établies et en faire le môle central du Réduit Alpin suisse. Ces nouveaux ouvrages furent réalisés sous roc (Sasso da Pigna, San Carlo, etc.).

 

Renforcement de l’armement (1923-1944)

Pourtant, l’ouvrage de l’Hospice resta tel qu’il était en 1918 et ne subit aucune transformation majeure. Si les mitrailleuses Maxim modèle 1894 furent remplacées par des mitrailleuses modèle 1911 entre 1923 et 1925, l’armement principal ne bénéficia guère de modernisation : 2 lance-mines à air comprimé de 10,5 cm modèle 1917 furent installés ; deux canons de 5,3 cm furent remplacés par 2 canons de 4,7 cm (modèle 1935 ou 1941), et une section de pièces DCA de 20 mm Oerlikon modèle 1937 fut installée sur les superstructures de l’ouvrage. L’inventaire s’enrichit temporairement d’une dizaine de mitrailleuses sur affût de DCA. Les moyens de communications de la garnison furent également améliorés : pour les liaisons internes, l’interphone se substitua aux tubes acoustiques d’origine, tandis que la radio et le téléphone remplacèrent l’héliographe et le télégraphe optique (panneaux de signalisation) pour les communications avec l’extérieur. Cette modernisation fut complétée par l’attribution de projecteurs, à partir de 1911, mais leur nombre resta modeste. L’ouvrage, jugé désuet, fut déclassé en 1947 et seule sa partie inférieure continua à être utilisée comme logement de montagne pour la troupe.

 

Vie quotidienne dans l’ouvrage.

Au début du 20e siècle, le confort dans l’ouvrage était spartiate et réduit à sa plus simple expression, même pour les critères de l’époque. L’humidité intérieure était telle qu’elle rendait les locaux à peine utilisables comme cantonnements. Il n’y avait pas de séchoir à vêtements, lacune importante pour un ouvrage de montagne censé être habitable à l’année. Les latrines étaient défectueuses car leurs canalisations débouchaient à l’air libre à proximité de l’ouvrage. On n’aménagea des douches qu’en automne 1918. L’espace disponible suffisait à peine à la moitié de la garnison. Le premier éclairage au moyen de lanternes à bougies était insuffisant. Ensuite, la garnison connut de nombreux problèmes avec les lampes à huile. On ne s’était pas suffisamment préoccupé de rendre l’ouvrage habitable en matière de chauffage, d’aération, de ventilation et d’alimentation en eau. La troupe dormait donc habituellement dans des cantonnements civils. En novembre 1914, on dut même loger la garnison dans l’église du village d’Airolo à la suite d’une intoxication due au monoxyde de carbone dégagé par les poêles de l’ouvrage. Les soldats dormaient chaussures aux pieds et dans leurs uniformes, la neige fondante mouillant les couvertures. C’est fort tardivement qu’on recouvrit le sol de béton de planchers en bois. La garnison vivait dans des conditions peu enviables, surtout l’hiver. En 1897, le chef d’arme de l’artillerie signale qu’il n’avait pu trouver l’ouvrage qu’avec difficulté, tellement il était enfoui sous la neige. Un des gardes était mort, l’équipe ne disposait presque plus de bois et la température, dans le local servant de bureau de tir, n’était que de 2° C au-dessus de zéro. De plus, ni le télégraphe, ni le téléphone ne fonctionnaient. Toutes ces conditions rendaient une occupation prolongée des abris impossible, voire dangereuse, même en période de paix…

Ce n’est qu’en 1906 que fut installé dans les casemates des obusiers cuirassés, un système de ventilation permettant d’expulser les gaz résultant de la combustion de la poudre. En revanche, les stocks de munitions furent toujours abondants. Pour les 2 obusiers cuirassés de 12 cm modèle 1891, on comptait 1500 obus explosifs et 1500 obus shrapnel. En ce qui concerne les canons de 5,3 cm à tir rapide, les stocks se montaient à 450 obus, 1200 shrapnels et 1450 boites à mitraille. L’ouvrage disposait également de 80 000 cartouches par mitrailleuse et de 750 par fusil, et les magasins à munitions contenaient près de 10 000 grenades à main.

Malgré des conditions parfois difficiles, la garnison s’exerça avec acharnement à accomplir la mission qui lui était dévolue et ne ménagea jamais ses efforts. Durant les cinquante et quelques années où il fut actif, l’ouvrage tira exactement 7816 coups avec ses 2 obusiers cuirassés (à titre d’exercice puisque la Suisse ne fut jamais attaquée au cours des deux guerres mondiales). Ces pièces firent feu dans toutes les directions et sur les buts les plus divers, les trajectoires courbes passant parfois par-dessus des maisons et des routes. Il y avait occasionnellement des dégâts aux propriétés civiles mais la population ne demandait que de très modestes dédommagements. En effet, la population accepta toujours avec compréhension les désagréments résultants des tirs d’exercice au canon et fit toujours bon accueil à la troupe. Depuis la Triplice et jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, les Suisses italophones ont en effet toujours redouté une action contre l’axe du Gothard et l’occupation du canton du Tessin par les Italiens, avec lesquels ils n’avaient aucune affinité…

Par chance, les fortifications du Gothard ont joué leur rôle dissuasif. Même Mussolini, qui avaient pourtant des visées sur le Tessin et les Alpes suisses, ne mit jamais à exécution ses projets d’expansion vers le nord . On sait pourtant que l’armée italienne avait fait des plans et étudié très sérieusement l’éventualité d’une invasion de la Suisse, conjointement avec les troupes allemandes. Ces plans ont été retrouvés après la guerre mais n’ont jamais été mis en application…

 

Visites

L’ouvrage est ouvert au public durant la bonne saison, du début juin à la mi octobre, en fonction des dates d’ouverture de la route et du déneigement de la route (variables d’une année à l’autre). L’entrée est payante. Par contre il est possible de visiter les dessus et le tour de l’ouvrage gratuitement

 

Pour le musée de Forte Ospizio vous trouverez un sujet qui complète celui-ci.

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz