L’armement de la Confédération helvétique
par Clément BOSSON
La transformation des fusils lisses au système Prélaz-Burnand n’a été considérée en 1859 que comme une mesure transitoire destinée à préparer le chemin à l’introduction définitive d’un nouveau fusil d’infanterie… Ainsi s’exprime le Conseil fédéral dans son rapport présenté à la Haute assemblée fédérale sur sa gestion pendant l’année 1860.
Dès le 21 janvier 1860. le dossier s’étale sur la table des commissions d’experts. La querelle des calibres continue, les 10,5mm de la carabine et du fusil de chasseur sont jugés vraiment trop faibles. La Confédération helvétique ouvre alors un concours concernant un nouveau fusil doté d’une baïonnette. Sur ce dernier objet, précisons que l’armée fédérale ne connaissait que la baïonnette d’estoc, alors que la France avait introduit, dès 1842, un sabre-baïonnette qui était aussi une arme de main.
Au concours, doté de prix, 44 concurrents s’annoncent dont 30 viennent de Suisse et 14 de l’étranger. En fait. vingt concurrents présentent vingt-huit fusils.
La Commission des experts propose aussi un fusil, construit en huit exemplaires, par l’armurier Burri à Lucerne. Elle a d’abord proposé un calibre 13,5 à 15mm pour revenir ensuite au calibre 12 à 12,6 mm,
II résulte d’essais très poussés “… que le calibre de 4 lignes (12rnm) avec un projectile à expansion est le mieux qualifié et qu’un des fusils construit à Lucerne présente des avantages sur tous les autres…”. Cependant, aucune des propositions, y compris celle concernant la baïonnette, n’est retenue et le rapport conclut; ...la précipitation que l’on mettrait dans cette affaire serait d’autant plus à regretter que notre infanterie possède maintenant déjà une arme d’infanterie qui peut très bien soutenir la comparaison avec celle des autres armes…
Au cours de l’année 1861, la “Commission pour l’introduction des nouvelles armes à feu portatives”, comptant cinq membres, continue les essais ; elle teste la balle expansive de l’armurier Buholzer de Lucerne, dans la carabine. Cette invention dispense de l’utilisation des fourres à balles et laisse assez de jeu à la balle à l’intérieur du canon.
Aucun élément ne permet, en 1861, d’entrevoir un résultat. La commission du conseil des Etats, sur la gestion du conseil fédéral, le constate : … /es premiers principes relatifs à la question de l’arme sont encore tellement contestés que nous pouvons attendre tranquillement l’issue et considérer une prompte solution comme étant un acte prématuré. Le premier État militaire de l’Europe, la France, peut nous servir d’exemple en matière de circonspection dans la tractation de la chose. Cette “attente tranquille” admise par cette Commission ne semble pas convenir à l’assemblée fédérale ; elle “houspille” l’exécutif par son arrêté du 7 février 1862… considérant que les essais dont le Conseil fédéral a été chargé par arrêté du 31 janvier 1860, concernant l’introduction d’armes à feu portatives rayées ne peuvent en aucune façon être considérés comme terminés, arrête: … les essais faits jusqu’ici doivent être continués et on devra spécialement dans ces essais soumettre les nouvelles armes ainsi que tes anciennes à un examen comparatif et approfondi. Il est ouvert à cet effet au Conseil fédéral un crédit de 100000F.
La Commission renforcée (huit membres) se met au travail sous la présidence du chef de département militaire au début de mars 1862. Il est décidé, tout d’abord, de faire confectionner une vingtaine d’armes dont les calibres s’étageraient dé 10,5mm à 13,5mm. Tout est prêt, armes et projectiles correspondant pour les épreuves qui ont lieu à Bâle du 20 juin au 5 juillet 1862, reprises en novembre.
Chaque arme tire à :
– 400 pas……………………… 30 coups
– 600 pas……………………… 100 coups
– 800 pas……………………… 40 coups
– 1 000 pas ……………………..50 coups
sans nettoyer le canon ou changer la hausse, ni marquer l’impact, ceci bien sûr après les coups d’essai.
Grandeur de cible de :
– 400 à 800 pas……………. hauteur 285cm
largeur 375 cm,
– 1 000 pas ………………… hauteur 345 cm,
largeur 570cm.
Les tireurs, choisis parmi les plus habiles, appuyaient l’arme sur un chevalet.
Les études de la Commission se concrétisent en trois rapports – fait plutôt rare – celui de la majorité signé par cinq membres, le 10 décembre 1862, tend à l’adoption d’un fusil au canon d’acier fondu, de 990 mm, avec le calibre de 13 mm et 4 rayures. Un autre rapport de minorité, établi par deux membres, préconise le calibre 11,4mm et enfin la position d’un solitaire, le colonel Wustemberger, en date du 19 décembre 1862, recommande l’unité de calibre pour toute l’infanterie – carabiniers et chasseurs compris – soit celui des armes de ces derniers: 10,5mm.
Ces trois textes se réfèrent aux tableaux des résultats obtenus aux diverses distances et calibres ; l’argumentation de chacun fait état de considérations dans lesquelles la balistique est confinée aux seuls tableaux ; les arguments s’adressent aux membres des deux Conseils, le National et les Etats et sont imprégnés de bon sens puisque la décision définitive sera prise par une instance politique et non technique. Il faut le souligner : les militaires proposent mais les civils choisissent. Leur choix sera difficile car, dans tout le pays, l’opinion publique s’est passionnée pour la question du calibre ; elle harcèle l’Assemblée fédérale de pétitions et de contre-pétitions ! L’une de celles-ci, signée par vingt-cinq colonels, se prononce pour le grand calibre de 13 mm ! Le message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale suisse, concernant l’introduction d’un nouveau fusil d’infanterie et de l’unité du calibre pour toutes les armes à feu portatives pour l’armée fédérale, du 9 janvier 1863, serait à citer en entier, tant il fait ressortir avec pertinence les avantages et les inconvénients des systèmes proposés. Il schématise ainsi les avantages du grand calibre :
– Résistance à la déviation du vent;
– Plus grands effets destructifs ;
– Cartouches plus pratiques.
Les atouts du petit calibre sont :
– Meilleure trajectoire ;
– Recul moindre;
– Légèreté de l’arme et de ses munitions;
– Moins de cherté.
Le message, ensuite, devient massue ! le petit calibre est actuellement acclimaté chez nous pour la carabine depuis 12 ans, pour le fusil de chasseur depuis 6 ans. Nous possédons, en Suisse, plus de 20 000 de ces armes avec les munitions nécessaires. Nous estimons donc que si l’on n’a pas de motifs péremptoires pour quitter ce calibre, ce qui existe actuellement ne doit point être abandonné et nous n’avons pu trouver, ni dans le rapport de la majorité, ni dans les observations ultérieures des motifs plausibles qui nous poussent à une telle mesure.
Le texte officiel met en évidence la facilité d’emploi de la munition du calibre 10,5mm par l’invention de M. Buholzer, intendant de l’arsenal de Lucerne. Celui-ci a conçu un projectile expansif de petit calibre -jusqu’alors on avait cru que l’emploi de balles expansives n’était possible qu’avec de gros calibres -. Or, un quintal de plomb permet de fondre 4 745 balles Buholzer contre 1 872 projectiles de gros calibre, soit largement plus du double.
LA DECISION
… En date du 26 janvier 1863, le Conseil national s’est prononcé pour le petit calibre de 35″ (10,5 mm) par 72 voix contre 17 et le Conseil des Etats, le 28 du même mois, par 33 voix contre 5… Telle est la note, sèche comme un coup de trique, publiée dans la Feuille fédérale de 1863. La plupart des militaires, membres des deux Conseils, faisaient partie de la minorité ! La Suisse, la première en Europe adoptait le calibre de 10,5 mm pour son armée. Pour bien comprendre la signification de cette hardiesse, nous donnons, ci-dessous, les calibres des armes européennes de l’époque en points, cette mesure faisant mieux ressortir les différences que les millimètres :
– Nouveau calibre suisse…………… 35 points
– Fusil Prélaz-Burnand …………….. 59 points
La France et l’Italie ont conservé
le calibre de …………………….. 59 points
L’Angleterre a adopté celui de ….. 48 points
L’Autriche ……………………….. 46 points
L’Espagne ……………………….. 46 points
La Prusse ……………………… 50,5 points
La Russie ……………………….. 46 points
et pour ses carabiniers, une arme de 43 points.
Le nouveau calibre de l’infanterie, semblable à celui des carabiniers et des chasseurs, est adopté par l’arrêté fédéral du 28 janvier 1863 qui précise:
Art. 1. – Un calibre normal et unique de 35 points (10,5 mm) est fixé pour toutes les armes à feu de l’armée fédérale (élite et réserve.
Art. 3. – Du 31 juillet 1863… l’introduction du nouveau fusil et des munitions nécessaires doit se faire en six ans dès le 1er janvier 1864. Le crédit ouvert à la Confédération est de 4 600 000 F pour sa part de frais
.La longueur du canon a été admise d’emblée – et par tous – à 990 mm soit 60 mm de plus que celle du second fusil de chasseur, modèle 1856, ceci pour faciliter le tir sur deux rangs et l’escrime à la baïonnette. La longueur totale de l’arme s’inscrit ainsi à 1 380 mm. Cette longueur n’est pas diminuée – contrairement à l’usage ancien – pour les hommes de génie et de l’artillerie. L’ordonnance, précisant les détails de construction, est datée du 24 décembre 1863.
La munition du fusil d’infanterie, soit la balle expansive de l’armurier Buholzer, s’est révélée supérieure dans la carabine. La cartouche de celle-ci ne contenait que la poudre, la balle étant introduite au moyen d’une fourre alors que la nouvelle cartouche comporte la charge et la balle mises en place sans autre geste. Cette cartouche allège le carabinier du moule à balles, de la poche à fondre, des fourres ainsi que les cylindres de bois pour fixer ces dernières. C’est un allégement non négligeable et une diminution des frais.
L’ARME
Longueur totale…………………… 1 380 mm ;
Longueur du canon d’acier
fondu et bronzé………………….. 990 mm ;
Calibre ……………………………. 10,5 mm ;
Rayures plates concentriques : quatre, profondeur constante – largeur égale à celle des champs, largeur 3,75 mm, profondeur 0,225 mm ;
Un tour sur……………………….. 810 mm ;
Hausse : à embase graduée avec planche mobile à graduation de 400 à 1 000 pas ;
Platine ………………………….. à chaînette ;
Garnitures …………………….. en fer bronzé ;
Baïonnette : quadrangulaire suivant le modèle français, longueur de la lame 480 mm.
Le fusil est entièrement construit en Suisse, sauf les canons bruts provenant d’une usine de Düsseldorf, en Westphalie, que la Confédération achète et livre aux fabricants au prix de 6 F la pièce. Les essais, faits dans les principaux établissements métallurgiques, ayant démontré leur infériorité sous le rapport de la résistance et du prix , le prix payé par la Confédération, pour chaque fusil, est de 78F.
MUNITION
Balle expansive :
– poids de la balle: 18,7g;
– charge de poudre noire : 4 g ;
Cartouche faite de deux feuilles de papier graissé sur la hauteur de la balle ;
Vitesse initiale: 448/451 m/sec;
Dotation par homme : 60 cartouches, 84 capsules.
La Suisse conservera, pour toutes ses armes, son calibre de 10,5 mm jusqu’à la réduction au calibre 7,5 mm Schmidt-Rubin de 1889 qui sera alors définitive puisqu’on la connaît encore à l’heure actuelle.