La chute du V1 sur l’objectif désigné ne devait rien au hasard : elle était soigneusement calculée et techniquement provoquée.
Le moment du déclenchement de la chute du V1 était déterminé avant le lancement de l’engin, en fonction de la distance exacte séparant l’objectif et la rampe de lancement. Cette distance était introduite sous forme numérique dans le compteur électrique (Zählwerk) situé à l’arrière de la cellule. Cette opération était effectuée dans le bâtiment amagnétique de la base (Richthaus), lors des opérations de réglage précédant directement le lancement. Durant son vol de croisière, le V1 était maintenu sur sa trajectoire par le pilote automatique, sous le contrôle du compas magnétique qui corrigeait les éventuelles déviations de cap (rafales, vent latéral).
La distance parcourue en vol par le V1 était mesurée par la petite hélice du Loch, situé à la pointe du nez, qui était actionnée par l’avance du missile, sous l’effet du frottement de l’air dû à la vitesse. Plus le V1 avançait rapidement, plus l’hélice tournait vite. Tous les 50 m parcourus, le Loch envoyait une impulsion électrique au Zählwerk qui décomptait ainsi le trajet accompli par le missile.
Lorsque le décompte arrivait à zéro, le Zählwerk déclenchait automatiquement la chute du V1 en envoyant une impulsion électrique à deux boulons explosifs logés à la base du stabilisateur de queue.
L’explosion de ces boulons provoquait 2 actions simultanées :
- le basculement d’un verrou qui bloquait les gouvernes de profondeur en position neutre tout en actionnant une vanne « guillotine » fermant l’arrivée d’air des 2 tubes de commande des servomoteurs (au début il s’agissait d’une électro-vanne, mais ce système se révéla trop fragile et peu fiable). Cette opération avait pour conséquence de verrouiller les volets de profondeur en position neutre.
- la libération de 2 petits volets orientés à l’inverse de la trajectoire du V1, qui se déployaient sous l’intrados des plans fixes horizontaux du stabilisateur. Cette opération causait un déséquilibre longitudinal qui soulevait la partie arrière du V1 par rapport au nez de l’engin.
Ces 2 actions simultanées provoquaient la plongée du V1.
Sous la pression de la force centrifuge engendrée par ce piqué, le peu du kérosène qui subsistait était projeté et plaqué contre la partie supérieure du réservoir, ce qui coupait instantanément l’alimentation du pulsoréacteur et provoquait l’arrêt de son fonctionnement. D’où l’interruption du vrombissement signalant l’arrivée du V1 et l’« angoissant silence » décrit par tous les témoins, 5 à 15 secondes avant l’explosion…
N’étant plus propulsé, le V1 accentuait rapidement son piqué et plongeait comme une pierre vers le sol. L’impact déclenchait les fusées d’amorçage des détonateurs qui provoquaient l’explosion du missile.
Une surconsommation du carburant, due par exemple à un fort vent frontal soutenu, pouvait évidemment causer l’arrêt prématuré du pulsoréacteur et le crash de l’engin avant qu’il n’atteigne sa cible. Dans ce cas de figure, le missile ne se mettait pas en piqué car le Zählwerk n’était pas arrivé au bout de son décompte. Le V1 à court de carburant poursuivait simplement sa trajectoire en vol plané, en perdant rapidement de l’altitude, avant de se « vomir » sur le ventre dans le paysage. C’est pourquoi les ingénieurs de Peenemünde avaient prévus une pédale ventrale servant de contacteur, qui provoquait l’explosion de la charge au moment du crash. Pour éviter qu’un V1 tombe intact aux mains des Alliés en cas de défaillance de ce contacteur, ce dispositif était doublé par une fusée à retardement qui provoquait de toute façon l’explosion de la carcasse après un temps déterminé avant le départ, mais au maximum 2 heures après le lancement. Selon son altitude de croisière, la durée du vol plané succédant à la panne n’excédait pas 3 minutes, ce qui correspondait au maximum à un vol d’une dizaine de kilomètres…