Un bombardier britannique s’écrase au-dessus de Sion – Valais – Suisse

Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1943, un bombardier « Lancaster » britannique se crashe sur l’alpage de Thyon, au-dessus de Sion.

Pendant plus d’une demi-heure, entre minuit et deux heures du matin, de nombreuses escadrilles de bombardiers britanniques franchissent les Alpes bernoises et survolent les Alpes valaisannes, à la verticale de Sion. Le défilé des centaines de lourds et puissants quadrimoteurs ne passe pas inaperçu. Les avions volent relativement bas si l’on en juge par l’intensité du sourd grondement qui remplit la vallée du Rhône, causé par leurs hélices.  Le temps qu’ils mettent à franchir le ciel au dessus de Sion dépasse celui de tous les survols précédents. Manifestement, il s’agit d’un raid d’une ampleur extraordinaire. Une atmosphère lourde et orageuse pèse sur la ville de Sion. Les habitants, réveillés par le sinistre grondement qui se répercute contre les versants, scrutent vainement le ciel. Entre les nuages assez bas, quelques étoiles scintillent de temps à autre, mais aucun appareil n’est visible.

Par contre, pour repérer leur route, plusieurs escadrilles lancent des fusées jaunes et rouges. Elles éclatent dans le ciel nocturne à la façon de brefs coups de foudre, au-dessus des massifs. Au moment où l’interminable passage des avions prend fin et que le bruit commence à s’évanouir au loin, les habitants de Sion entendent soudain un nouvel appareil isolé, volant plus bas que les autres et dont le moteur a manifestement des ratés. Au moment où le bruit atteint les crêtes de Thyon, une énorme lueur rouge embrase soudain l’obscurité, suivi quelques instants plus tard par un bruit d’explosion qui roule dans la vallée. Quelques secondes plus tard, une autre énorme lueur rougeâtre accompagne le bruit encore plus violent d’une seconde explosion. L’avion s’est visiblement écrasé du côté des crêtes de Thyon. Quelques minutes après la catastrophe, un très violent orage éclate sur les Alpes valaisannes. Il va retarder la colonne militaire dépêchée de Sion au milieu de la nuit, qui ne repérera les lieux du crash qu’à l’aube.

Les habitants de Sion l’ignorent encore, mais à l’autre extrémité du canton, vers la même heure, un autre drame se joue : un second quadrimoteur vient percuter de plein fouet les pentes du Grammont, au-dessus de Saint-Gingolph,. La R.A.F. britannique vient de perdre coup sur coup deux bombardiers lourds dans le ciel du Valais…

Les témoins les plus directs du crash de Thyon sont des jeunes filles de la JOC qui occupent la cabane des Collons. A minuit et demi, selon le récit de l’une d’entre elles, elles sont brutalement réveillées en sursaut par le vrombissement assourdissant provoqué par le passage des escadrilles. Sorties en hâte devant la cabane pour les apercevoir, elles ne voient que des éclairs, précurseurs d’un orage, qui zèbrent le ciel au-dessus des Alpes bernoises. Ne distinguant rien et frigorifiées, elles décident de réintègrer leurs lits, à l’écoute et sur le qui-vive. Environ une demi-heure après la fin du passage des lourds quadrimoteurs, le bruit proche et suspect d’un moteur d’avion leur fait à nouveau dresser l’oreille. Il est si proche que les filles sont persuadées qu’elles vont être bombardées. C’est alors qu’un craquement sinistre, puissant et prolongé, déchire l’obscurité. L’appareil vient de percuter la montagne. Les filles bondissent de leurs lits. Etrangement il n’y a pas de détonation. En ouvrant la porte, le spectacle est dantesque : des lueurs d’incendie éclairent tous les environs, lueurs tempérées cependant, côté est, par une grande colonne de fumée noire qui masque partiellement les flammes. La cabane se trouve à 5 minutes à peine du lieu du crash, mais les jeunes filles reçoivent un appel téléphonique des autorités militaires leur enjoignant de rester dans la cabane et de ne pas approcher du sinistre, par crainte que des bombes explosent à retardement. Impuissantes, elles regagnent leur gîte, comptant sur la pluie qui se met à tomber pour préserver le chalet du danger d’incendie créé par le jaillissement des étincelles.

Vingt-minutes après le crash, un premier véhicule conduit par des curieux parvient dans les parages du petit vallon qui avoisine la cabane des Collons, près du lieu de l’accident. Ils découvrent une vingtaine de bergers, la plupart vêtus seulement d’une chemise, qui courent affolés autour des restes de la machine qui brûle après que les énormes réservoirs d’essence aient explosés. A part le mitrailleur de la tourelle arrière, que le choc a projeté loin  de son siège, les sept autres membres d’équipage sont recroquevillés à leur poste, serrés dans la cabine en flammes du quadrimoteur. On n’en distingue que les restes noircis dans la lueur du brasier. Le cadavre du mitrailleur gît plus loin sur le pâturage, crispé dans la mort, encore vêtu de sa grande combinaison d’aviateur. Il porte encore son casque d’écoute sur les oreilles.

Visiblement, l’avion s’est retourné sur une aile, l’autre a été arrachée par la violence du choc et repose plus loin, tordue et informe. Dans la nuit, à la lueur du brasier, c’est une vision lugubre. Les flammes, attisées par le carburant, montent haut dans le ciel d’encre où l’orage gronde encore sur le Val de Nendaz. Elles éclairent les vaches qui broutent à quelques mètres des débris calcinés. Les bêtes regardent ce spectacle avec placidité tandis que les spectres blancs des êtres humains terrifiés crient et gesticulent, impuissants, autour des ferrailles qui grésillent et rougeoient.

Mardi matin, à 6h30, les débris du quadrimoteurs qui s’est crashé à Thyon sont enfin localisés par les militaires, à 20 mètres en contrebas de la cabane des Collons. Ils brûlent encore. Quand les premiers soldats arrivent sur les lieux du crash, un affreux spectacle s’offre à eux. Huit cadavres dont sept entièrement calcinés et méconnaissables sont découverts dans les débris. Le lourd quadrimoteur s’est littéralement volatilisé sous le choc, projetant des débris sur une grande surface du pâturage. Un moteur s’est détaché et gît cent mètres plus bas, ce qui permet de supposer que l’appareil était déjà en flammes quand il a percuté le sol. Autour des décombres tordus et calcinés, le terrain est jonché de bombes non éclatées. On aperçoit des appareils de bord, un canoë pneumatique avec sa bouteille de gonflage. Un seul des corps est identifiable, celui du sergent anglais Bolger. Deux mitrailleuses et de grandes quantités de munitions gisent épars au milieu de la carcasse. Tout permet de croire que l’appareil a été touché par un obus antiaérien au moment où il traversait les Alpes bernoises et qu’il a été abattu par la D.C.A. suisse.

Les débris de l’avion, qui couvrent une large portion du pâturage, sont  adossés au mont du château-d’eau de la conduite forcée de l’usine électrique de la Dixence. En poursuivant leurs recherches, les experts militaires parviennent à établir la cause de la première explosion entendue la nuit précédente. Elle a été provoquée par une puissante bombe de 2000 kg qui est tombée près d’Hérémence, à proximité du petit hameau de Riod, entre l’ancienne fenêtre n°5 de la conduite forcée et l’alpage de Thyon. Son explosion a creusé dans le rocher un cratère profond de 5 mètres et large de 15 mètres. Au village, toutes les vitres ont été brisées et les volets arrachés. Sur le pourtour du cratère, on constate avec surprise qu’un large champ de rhododendrons a été sectionné au ras du sol, comme à la faux. Ces découvertes permettent de reconstituer peu à peu les événements du drame qui a précipité la catastrophe. Le bombardier, touché à un moteur par la D.C.A. suisse au passage des Alpes bernoises, a poursuivi en direction de la vallée du Rhône. Mais ralenti par l’incendie qui s’est déclaré, il a perdu une partie de sa puissance. Le moteur cafouille. L’appareil perd peu à peu de l’altitude. L’équipage, qui voit se rapprocher dangereusement les crêtes de Thyon, est désespéré. Dans une ultime manœuvre, le mécanicien-bombardier tente vainement d’alléger l’appareil en ouvrant les soutes pour le soulager de sa dangereuse charge de bombes. Il lâche la plus lourde au-dessus de Riod, puis cherche vainement un terrain d’atterrissage. Malheureusement, la perte rapide de vitesse et l’obscurité, encore aggravée par l’orage qui se prépare du côté de Nendaz, ne laissent pas à l’équipage le temps de scruter plus longuement le sol, ni celui de sauter en parachutes. Lorsque la masse sombre de la montagne de Thyon surgit soudain des nuées devant leurs yeux, elle remplit tout le cockpit. Il est trop tard. La catastrophe n’a duré que quelques minutes…

Il est également possible que l’appareil ait dû se poser en catastrophes à cause des effets magnétiques du violent orage sur les moteurs qui auraient alors subi une brutale baisse de régime fatale aux aviateurs.

Le lendemain, il faut plusieurs camions pour redescendre à Sion les restes de la carcasse calcinée du Lancaster.

Les deux quadrimoteurs qui ont trouvé une fin tragique sur sol valaisan durant cette sinistre nuit du 12 au 13 juillet 1943 avaient décollés quelques heures plus tôt d’Angleterre pour franchir les Alpes et participer à un gigantesque raid aérien sur la ville italienne de Turin. Comme souvent, les équipages du Bomber Command avaient préféré ignorer la neutralité suisse et choisi délibérément de survoler le territoire helvétique pour économiser le précieux carburant et raccourcir leur route, en totale violation des accords internationaux. Ce faisant, ils s’exposaient évidemment à d’éventuels tirs de représailles de la part des Suisses qui appréciaient peu que les Alliés méprisent ainsi les lois internationales. L’enquête conduite par les autorités militaires confirma par la suite que les deux appareils britanniques crashés en Valais avaient bien été abattus par la DCA suisse.

Les restes de l’équipage tombé à Thyon sont inhumés dans le petit cimetière privé de la chapelle anglicane de Vevey. Ils reposent par équipages dans la partie du cimetière réservé aux internés britanniques, à côté de leurs frères morts la même nuit sur les pentes du Grammont, au-dessus du Bouveret…

Sur le lieu du crash, la végétation a repoussé depuis longtemps. Seule une rustique croix de bois discrète, plantée en mémoire de l’équipage par les hôtes de la cabane lors d’une petite cérémonie intime, rappelle encore le souvenir cette catastrophe depuis longtemps oubliée…

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz