L’armement de la Confédération helvétique
par Clément BOSSON
Le fusil Peabody, destiné à l’armement des carabiniers de la Confédération helvétique, est le seul, depuis 1851, qui n’ait pas été “pensé” en Suisse. Mais le temps pressait, la guerre était aux frontières du pays ; seuls les Etats-Unis disposaient – déjà ! – d’un potentiel industriel armurier capable de livrer très vite une arme de haute qualité. Ainsi ont été commandés 15 000 fusils Peabody mais, bien sûr, au calibre “suisse” de 10,4mm.
LE 22 juillet 1862, l’armurier Henry 0. Peabody, de Boston (Massachusetts, Etats-Unis) obtient, sous numéro 35 947, l’enregistrement de son brevet pour le fusil qui porte son nom. Il s’agit d’une arme très simple, très robuste et d’une remarquable conception. Peabody revient à l’idée du dégagement de la culasse, permettant d’introduire la cartouche dans le canon, réalisée au XVIIIe siècle par La Chaumette et Ferguson et reprise par Christian Sharps (brevet de 1848.
Avec le fusil Peabody, la boîte de culasse, dans laquelle vient se visser le canon, sert de logement au bloc obturateur qui pivote de haut en bas et de bas en haut autour d’un axe, sous l’action du pontet solidaire du bloc ; celui-ci en place constitue une des meilleures fermetures permettant l’utilisation de charges élevées. Sur sa joue droite se loge et glisse le percuteur qui frappe la cartouche – à l’inflammation périphérique – lors du choc du chien. Quatre mouvements sont nécessaires pour la charge :
– Armer le chien;
– Faire basculer le bloc en bas et, par l’action de l’extracteur, enlever la douille vide;
– Introduire la cartouche;
– Fermer le bloc.
Ces manœuvres permettent de tirer normalement sept coups par minute.
Peabody, bien sûr, propose tout d’abord son invention à son pays. Les essais ont lieu en janvier 1865 avec d’excellents résultats ; mais la guerre de Sécession étant virtuellement terminée, le gouvernement préfère transformer les fusils réglementaires Springfield (1853) suivant le système à clapet de E. S. Allin, maître armurier de l’arsenal de Springfield. Il y avait, en effet, près de deux millions de fusils à chargement par la bouche, transformables en chargement par l’arrière et, plus tard, à calibre réduit par tubage du canon de .58 (14,73 mm),
L’inventeur part alors pour l’Europe afin de proposer son fusil, refusé par son pays; cette arme est adoptée par l’Espagne, avec une remarquable cartouche de .433 à percussion centrale, par le Portugal, la Russie, les Etats danubiens, la Turquie qui passe commande pour 650000 fusils qui sont encore en service lors de la guerre des Balkans (1912-1913). Le Canada en avait une certaine quantité (3 000 exemplaires). Toutes ces armes sortent des ateliers de la Providence Tool Company à Rhode Island (Etats-Unis). Pendant la guerre franco-allemande, 39 000 Peabody, au calibre espagnol, sont achetés par le gouvernement de Bordeaux.
Vers 1867, Frederich Martini (1833-1897), associé dans l’atelier de mécanique Martini et Tanner à Frauenfeld (Suisse), modifie le système de percussion de Peabody en remplaçant le percuteur dans le bloc, agissant sous l’action du chien, par un percuteur placé horizontalement, avec ressort à boudin, comme celui des culasses mobiles à cylindre. Ce percuteur s’arme automatiquement par le mouvement de bascule du bloc ; ainsi, les gestes de la charge sont réduits à trois par la suppression de l’armé du chien. … à cause du droit de brevet de Peabody, ce système d’obturation a dû prendre la dénomination de Peabody-Martini.
L’Angleterre choisit ce système en 1871, combiné avec le canon de Alexander Henry, d’Edimbourg, comme nouvelle arme des troupes britanniques ; l’arme s’appelle alors Martini-Henry l’inventeur du mécanisme de base est bien oublié…
LE PEABODY EN SUISSE
En 1866, la guerre sévit dans plusieurs régions d’Europe, l’armée suisse ne possède que des “fusils lents” à chargement par la bouche. Le Conseil fédéral adresse un long rapport, daté du 12 juillet, sur la nécessité d’adopter le chargement par la culasse ; cette affaire a déjà été largement abordée par la … mise au concours, le 29 mai 1865, d’un fusil modèle se chargeant par la culasse (Revue militaire suisse, 1865, page 279). Le message est suivi, le 20 juillet déjà, d’un arrêté demandant au paragraphe 3 : … Pour le cas où il serait possible d’obtenir immédiatement ou dans le plus bref délai, soit par voie d’acquisition ou autrement, un certain nombre de bons fusils se chargeant par la culasse, le Conseil fédéral est en outre autorisé à les acquérir pour le dépôt fédéral (Revue militaire suisse, 1866, page 406).
Nos autorités estiment que cette acquisition n’est possible qu’en Amérique du Nord, seul pays où l’industrie de l’armement est capable d’exécuter rapidement une commande (changement de calibre) et avec les munitions correspondantes. L’achat de 30 000 fusils est donc envisagé pour un montant total de trois millions et demi de francs.
Lors des essais des fusils appelés au concours, en automne 1866, plusieurs Peabody, au calibre 38″, avaient été testés avec leurs projectiles de 25 grammes, propulsés par 3,5 grammes de poudre américaine dans un étui de tombac (cuivre et zinc). En reconnaissant les qualités de l’arme, les experts sont d’avis que cette charge insuffisante demande des angles de mire plus élevés; il aurait fallu arriver à 4 grammes [Revue militaire suisse, 1866, page 652).
Malgré cette différence avec une solution parfaite, le Conseil fédéral délègue aux Etats-Unis, au début de 1867, le capitaine Méchel afin d’y conclure un achat de 15 000 de ces armes au calibre suisse de 10,4 mm (Rapport du Conseil fédéra/, 1867, page 148). Une première livraison quitte l’usine de Rhode Island, le 10 octobre 1867, par bateaux allemands. La fourniture comprend encore deux mitrailleuses Gatling et vingt-deux machines pour la fabrication des douilles et des cartouches (Rapport de la commission du Conseil des Etats sur la gestion du Conseil fédéral, 1867, page 15).
Le prix de revient de chacun des 15 006 fusils achetés, y compris la baïonnette et les pièces de rechange, est de 95,50 F (Rapport du Conseil fédéral, 1869, page 380). Ces fusils ont servi à armer les carabiniers de l’élite et de la réserve.
Dans son “rapport sur la mise de troupes sur pied en juillet et en août 1870”, le général Herzog écrit …il n’y a qu’une voix pour reconnaître l’excellence des fusils Peabody (réf.- Feuille fédérale suisse, 1870, volume III, page 882). Or, dans son texte, le commandant en chef de l’armée suisse s’exprime avec liberté, ne ménageant pas ses critiques ; son approbation de la qualité du Peabody est donc parfaitement valable,
Dimensions ;
– Longueur totale: 1 310mm;
– Longueur du canon rond: 812mm;
– Calibre : 10,4 mm ;
– 3 rayures : en hélice, trois champs de 5,5 mm égaux aux rayures, un tour sur 720 m ;
– Hausse à cadran : graduation sur les joues de 300 à 800 pas;
– Le levier du bloc de culasse sert de pontet de sous-garde.
Cartouche :
– Poids total : 30,4 g ;
– Poids de la balle : à expansion, en plomb, avec 2 rainures, pointe arrondie: 19,1g;
– Poids de la charge : 3,65 g de poudre noire ;
– Douille : en tombac ;
– Vitesse initiale: 435 m/s.
Baïonnette :
– D’estoc à 4 arêtes
– Longueur de la lame : 480 mm.
Les canons :
Changés en Suisse, après usure, sont un peu plus longs.
– Longueur : 820 mm ;
– Tonnerre : à 8 pans sur 80 mm
C’est ainsi que l’on rencontre, dans les collections « complètes », deux types de fusil Peabody à canon différent.
Le fusil Peabody sera remplacé, chez les carabiniers, par la carabine Vetterli, modèle 1871.