Le fusil d’assaut 90 (Fass 90) de l’armée suisse

Le culte du fusil reste un facteur déterminant pour le choix des armes légères dans cette Suisse où chaque localité a son stand de tir, et où sont brûlées annuelle­ment, hors service, pas moins de 80 millions de cartouches. Ce culte a tenu la Suisse à la pointe du développement des armes militaires durant un siècle : elle fut la première nation à introduire le fusil à répétition et parmi les premières, après la seconde guerre mondiale, à donner à ses fan­tassins un fusil permettant le tir en rafale. Mais ce même culte du tir allait tenir la Suisse à l’écart de la tendance moderne de développer des fusils d’assaut de petit calibre. Ce n’est pas moins d’un quart de siècle après l’avènement de l’Armalite, et après que le 5.56 soit devenu d’usage courant dans près de 60 pays, que la Suisse décida enfin de suivre le mouvement. La décision suisse témoigne de l’écart qui sépare la nouvelle géné­ration de 5.56 de son ancienne image d’une puis­sance de feu aveugle fondée sur le « spray and pray ». De même que la visée optique Susat de l’Enfield britannique, la hausse à 800 mètres du M16A2 de l’USMC et les exigences balistiques de la munition SS109, la décision suisse marque le rapprochement du concept du calibre 223 avec celui du calibre 222. Et c’est avec le nouveau fusil d’assaut 90, sur le point d’être remis à la troupe, arme militaire qu’apprécierait chaque connaisseur du tir de précision, que la Suisse est entrée dans le domaine du petit calibre.

Le concept d’emploi

Si les Suisses furent lents à suivre la mode du 5.56, ce n’est pas par manque d’expérience dans le domaine des fusils d’assaut. Ils furent en fait les pionniers du concept ! Alors que la légende populaire fait remonter l’origine de la combinai­son cartouche de puissance intermédiaire + fusil d’assaut à grande puissance de feu aux MP45 et Sturmgewehr 44 allemands, puis à la Kalashnikov, les Suisses expérimentaient déjà dans ce même domaine un quart de siècle plus tôt. Ayant analysé la paralysie des fronts de la première guerre mondiale, ils se concentrèrent sur le pouvoir défensif de la mitrailleuse qui, estimait-on, avait dépossédé le fantassin de son rôle traditionnel d’attaquant pour le réduire à celui de suiveur de barrage ; « l’artillerie con­quiert, l’infanterie occupe ». La question fon­damentale fut de savoir comment rendre sa mobilité à l’infanterie ; la réponse formulée par la Suisse fut celle d’une puissance de feu porta­tive capable de forcer l’adversaire à rester dans son couvert. Le mouvement tactique au combat, ainsi que le dit le Conseil Fédéral en 1925, devait être rendu possible en neutralisant pendant le mouvement le feu ennemi, c’est-à-dire en tenant, pendant le mouvement, l’adversaire sous un feu si violent que ses propres moyens de feu soient détruits ou au moins aveuglés. Vers 1921, la Fabrique fédérale d’armes, à Berne, avait déjà mis au point le prototype d’un fusil d’assaut ; le Pistolengewehr, arme semi-automatique tirant une cartouche de 7.65 X 55 mm.

Une longue gestation

Le Pistolengewehr, et son dérivé de 1922, le LMG-Pistole, font suite à un long développement anté­rieur. C’est jusqu’en 1886 en effet qu’il faut faire remonter les origines de la cartouche qu’ils uti­lisent, date des essais du remarquable colonel Rubin avec de la munition à moyenne puissance. Les essais d’un fusil semi-automatique remon­tent au fusil à cinq coups, calibre 10.4 mm, conçu par Georg Raschein en 1889, ainsi qu’à la tentative de la fabrique fédérale d’armes de transformer le fusil long de la même année en une arme semi-automatique. Au tournant du siè­cle, les connaissances suisses en matière d’armes semi-automatiques étaient variées : Ras-chein avait développé le système dit « primer-blowback » que Qarand allait reprendre plus tard ; Hans Stamm travaillait sur une culasse rotative à emprunt de gaz qui sortit victorieuse de tests de solidité lors de très nombreux tirs. Quant à la firme SIG, elle s’était engagée dans le projet du général mexicain Manuel Mondragon d’un fusil qui allait devenir l’un des premiers semi-automatiques du monde utilisé par les mili­taires.

Le développement du Pistolengewehr à la fin de la première guerre mondiale synthétisait les deux courants de recherche fusil automatique + cartouche de moyenne puissance en un fusil d’assaut basé sur une doctrine cohérente de tac­tique du feu de l’infanterie. Mais les bases tacti­ques et techniques, l’essence même du projet, disparurent dans le processus d’acquisition militaire. De même qu’une génération plus tard le développement du fusil d’assaut américain, et par la même celui de ses alliés, verrait son cours modifié par la demande des autorités militaires de conserver la cartouche de calibre 50 de l’épo­que des armes à culasse à action manuelle, le Pistolengewehr fut transformé par son adapta­tion à la munition de 7,5 mm, courante dans l’armée suisse. Tous les arguments logistiques habituels furent utilisés pour soutenir le refus des autorités helvétiques de standardiser une seconde cartouche et on leur donna une colora­tion tactique en exigeant une portée pratique de 600 mètres. Ainsi la Suisse se retrouva avec une arme de la taille d’un Bren Gun plutôt qu’avec un fusil d’assaut : le FM 1925.

SIG tenta de pirater le concept du fusil de moyenne puissance vers le milieu des années 1950 ; les Allemands réalisèrent cette idée avec leur fameux Sturmgewehr. Mais à la Fabrique fédérale, à Berne, où il avait vu le jour, le concept resta en gestation jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Puis, en 1946, 17 000 coups de 7.65 X 35, vieux d’un quart de siècle, furent exhumés d’un coin couvert de toiles d’araignées, et l’on se repencha sur le fusil d’assaut 1922. Inspirée par la vieille arme et les développements en cours à l’étranger, la Fabri­que fédérale de munitions, à Thoune, produisit une nouvelle version de la cartouche – la douille allongée à 38 mm, la balle recalibrée à 7,5 mm – et la Fabrique fédérale d’armes mit au point une nouvelle génération de fusils d’assaut. En 1947, alors qu la Kalashnikov en était encore, à Tula, aux tests des modèles de pré-série, la WF avait donné naissance à un fusil d’assaut bullpup à 30 coups, doté d’un sélecteur de feu, en 7,5 mm court, et mesurant un petit 65 cm de longueur.

A la remorque du 5,56

Pour une seconde fois cependant, le cours du développement du fusil d’assaut suisse fut dévié par l’exigence des autorités militaires d’aligner toute nouvelle arme sur la vieille cartouche 11 de 7,5 mm. De manière similaire à l’Otan, alors nouvellement créée, le conservatisme lié à la car­touche de calibre 50 conduisit à la création d’une génération de fusils automatiques lourds et hybrides. En 1956, pressés par les événements de Hongrie, les Suisses adoptèrent le Fass 57 de SIG. Comme le M14 américain, destiné à tout remplacer, de la carabine de calibre 50 au Bar, le fass 57 fut conçu comme une arme unique ; il devait prendre la place du FM, du vieux Mous­queton 51, du FM, et servir d’arme anti-char avec des grenades à fusil.

Toutes les merveilles de l’arme unique ne vinrent cependant pas sans prix ; trente ans et six cent mille Fass 57 plus tard, les Suisses ont été heu­reux de choisir un fusil d’un poids et d’un volume différent. Durant les deux dernières décades, ils ont développé un fusil plus léger et plus mania­ble et la clé de ces vertus a été, comme toujours, la réduction de la puissance de la cartouche. La bizarre contorsion de l’histoire fut que la Suisse, ayant passé plus d’un demi-siècle à jouer les pionniers du développement d’une cartouche courte qui allait gagner une formidable renom­mée mondiale avec la cartouche soviétique de 7,62 X 59, se voyait, cette fois, dépassée par la nouvelle mode du 5.56 mm lancée par les Amé­ricains.

La simple, pour ne pas dire simpliste, logique de gain de poids qui sous-tend la mode internatio­nale récente de fusils d’assaut de calibre 22 ren­contra cependant des problèmes immédiats lorsque les Suisses commencèrent les essais de leur nouvelle génération d’armes de petit calibre à la fin des années 1960. La cartouche existante en 225 Remington ne pouvait répondre de manière adéquate aux besoins traditionnels du tir dans cette nation de tireurs ; il lui manquait la portée, la puissance et la précision qu’ils demandaient, et fut bientôt réduite au rang de « cartouche 200 mètres ». Deux cents mètres peuvent satisfaire à l’analyse statistique du tir de combat qui a conduit les Américains à con­clure que la plupart des touchés sur le champ de bataille se font dans une marge de 150 mètres ; mais ils ne peuvent satisfaire les tireurs suisses qui ont soigneusement développé un programme de tir sur cible à 500 mètres. Lorsque le Groupe­ment de l’Armement chargea la Fabrique fédé­rale de munitions de développer une nouvelle cartouche de fusil d’assaut, une performance correcte de celle-ci à 500 mètres fut une condi­tion préliminaire ; de même, les fusils que SIG et la WF présentèrent devaient être aussi précis à 500 mètres que le Fass 57. On justifia militai­rement l’utilité d’une bonne performance à cette distance. Mais, se tournant vers le 5,56, les auto­rités suisses pourraient bien s’être faites l’écho de leurs prédécesseurs du Conseil Fédéral de 1953 – à propos de la création du nouveau Mous­queton 51 à la place d’une distribution générale du Mousqueton 11, moins précis ; considérée sous l’angle purement militaire, la précision n’eût pas été déterminante. Mais, pour l’activité volontaire des sociétés de tir, elle joue un rôle tel que l’on ne crut pas pouvoir s’arrêter à cette solution. A la fin du 19è siècle déjà, 300 mètres étaient devenus un dogme suisse dont l’exclusivité fut critiquée par plusieurs des avo­cats les plus conscients du tir pratique au fusil.

Mais dans la seconde moitié du 20è siècle, les 23 000 cibles à 300 mètres de Suisse jouèrent un rôle déterminant lors de l’acquisition des armes individuelles militaires. Le conservatisme international en matière de tir et d’utilisation des stands qui, en Grande-Bretagne, a servi à séparer le tir de compétition du tir militaire, et qui, aux USA, a conduit à l’extravagante adap­tation du M16 pour servir le bizarre dessein de concourir sur la base du vieux programme de tir à 600 yards (soit environ 550 mètres) prévu pour le calibre 30, existe aussi en Suisse. Par chance peut-être, il a mieux servi la Suisse que d’autres.

Les innovations suisses reprennent l’offensive

« Branchés sur la mode du calibre 22 ultra léger, mais insatisfaits par les performances du 223 Remington, les Suisses développèrent le 5.56 Eiger. Avec une douille beaucoup plus lon­gue, bien qu’un peu plus fine que celle du 7.5 mm court, l’Eiger fut un curieux hybride qui con­centrait beaucoup de poudre derrière une balle légère. Cette cartouche offrait peu en matière de gain de poids comparativement au 7.5 mm court et fut décevante tant au niveau de sa puissance que de sa précision. Après quelques six années d’essais infructueux, la Fabrique fédérale de munitions abandonna le projet en 1977 et utilisa la même douille pour un redéveloppement de son ancien concept de cartouche de fusil d’assaut, cette fois-ci en 6.35 mm. Le projet de 6.35 mm – Neue Schweizer Kaliber – transformé en 6.45 après une modification du calibre – fut ensuite développé parallèlement à une variante de 223 standard que les Suisses choisirent d’appeler 5.6 mm. En 1978, le Groupement de l’Armement commanda 105 fusils tests de cha­que calibre à SlG et à la WF.

Sur la base de ses performances balistiques, le Neue Schweizer Kaliber apparut comme le mieux placé pour devenir le nouveau calibre militaire suisse de la fin des années 1970. Mais en 1981, l’on ordonna de concentrer tout développement ultérieur sur le 5.6 mm. La cause de ce soudain revirement fut l’apparition de la cartouche belge SS109, la nouvelle cartouche miracle qui allait faire mieux que le vieux 7.62 Otan lors de tests de pénétration et qui allait changer le caractère du développement des armes en 223. Cette nou­velle munition donna aux Suisses les moyens de poursuivre dans la voie du petit calibre qu’ils avaient favorisé durant les dix dernières années. Le gain de poids comparé au 6.45 fut la justification évidente de ce choix ; moins tangi­ble fut l’utilisation d’un standard international en matière de calibre qui réduisait les risques du pari de développer un calibre unique en même temps qu’une nouvelle arme, et satisfaisait un désir sous-jacent des Suisses pour l’indépen­dance sans l’isolation.

La guerre n’est pas un tir à la cible

La nouvelle GF 90 fut développée dans la ligne de la SS109, avec un projectile sensiblement plus lourdenviron 4,1 grammes contre 4,0 à la SS109 et environ 5,5 grammes pour la vieille M195 américaine – propulsé par une poudre dont la technologie de production est encore en cours d’acquisition. Les exigences en matière de péné­tration pour la GP 90 sont un casque d’acier et 25 mm de bois de sapin à 400 mètres, mais elle devrait dépasser la munition Otan, si vantée, dans cette performance. Lorsqu’on sait que l’on demanda à la SS109 de faire mieux que la SS77, en 7,62, pour ce qui est de la pénétration d’un casque US à 1100 mètres, et qu’on la dit même capable de réussir cet exploit absurde d’abstrac­tion à plus de 1 300 mètres, nous pouvons admettre que la nouvelle munition suisse à enve­loppe d’acier percera un casque à une distance supérieure à celle où il pourra être touché ou même vu. Ce qui est certain, c’est que la GP 90 est une munition extrêmement précise qui se comportera brillamment dans les stands à 300 mètres de Suisse. Avec un prototype d’arme de tireur d’élite dérivé du nouveau fusil d’assaut, la GP 90 a groupé dans un rayon de guère plus de 5 cm à 300 mètres, avec la moitié des coups dans un rayon de 2,5 cm. La Fabrique fédérale de munitions à Thoune a déjà une remarquable réputation Internationale pour la qualité de sa munition : et cela ne surprendra personne si SIG- Hämmerli peut se présenter au concours UIT avec un fusil chambrant le nouveau 5.56.

Mais, ainsi que le grommelait le colonel Wieland des autorités militaires suisses, en 1862 : « La guerre n’est pas un tir à la cible ». Tout en lais­sant de côté la question des qualités de résis­tance aux courants d’un projectile de calibre 22, même plus lourd, tiré en terrain montagneux plutôt qu’en stand, il subsiste l’éternelle ques­tion du «  stopping power » du petit calibre. Ce terme mal défini n’en correspond pas moins à une attente ; à la fin du siècle passé, l’efficacité du nouveau et « petit » calibre 30 fut considérée en fonction de celle de la génération précédente de fusils en calibre 45. Et l’on peut remonter ainsi jusqu’aux observations faites après les guerres napoléoniennes qui laissaient entendre que le mousquet français de calibre 17 mm avait moins de stopping power que le Brown Bess bri­tannique de 19 mm – le toujours digne de con­fiance calibre 12. Ce qui est certain, c’est que les qualités qui permettent à la GP 90 de si bien se comporter balistiquement jusqu’à 400 mètres et même au-delà, vont à l’encontre de l’instabilité de la balle, que l’on dit être la source du stop­ping power du vieux 5.56. La tendance, réputée, de la cartouche américaine M193 à tournoyer et à éclater à l’impact fut une autre raison du désin­térêt des Suisses vis-à-vis de la première géné­ration des cartouches en 5,56. Tenant tout particulièrement compte du rôle de la Suisse comme foyer de l’internationalisme humanitaire, la GP 90 fut conçue en respect des accords de La Haye et des décisions des Nations Unies de 1980.

La nouvelle cartouche suisse est exactement ce que l’on avait prévu qu’elle serait. La seule ques­tion qui subsiste, de même qu’avec la SS109, est de savoir si ces prévisions seront les bonnes. Si l’innovation technologique s’est faite l’écho des tendances de la mode lors de la mise au point de la GP 90, elle a en revanche servi une philo­sophie des plus conservatrices en ce qui con­cerne le nouveau fusil d’assaut suisse. Le Fass 90 devait en effet être tout à la fois d’un manie­ment plus aisé, aussi précis et meilleur marché que son prédécesseur.

Au meilleur prix

En Suisse, comme partout, les coûts de produc­tion ont toujours été un élément clé lors de l’introduction d’une nouvelle arme. Le modèle SIG du Fass 57 était moins cher que son rival de la Fabrique fédérale d’armes. Il se révéla en revanche trop coûteux à produire, passant d’un prix nominal de 570 FS l’unité il y a 30 ans à un coût théorique de 1242 FS. Quant aux armes refaites, elles ne sont qu’un intérim, temporaire­ment et techniquement viable, mais aussi insa­tisfaisant dans la mesure où la tradition veut que le milicien quittant le service garde son fusil. Le coût du Fass 90, conçu selon des méthodes de production moderne et se composant de 174 piè­ces contre 257 pour le Fass 57, fut calculé pour être de 40 % inférieur à l’unité à celui d’un Fass 57 refait.

En termes de précision en stand, le Fass 90 pos­sède un léger avantage sur le 57, plaçant la moitié de ses coups dans un cercle d’environ 6 cm de diamètre à 300 mètres. La précision intrinsè­que de la cartouche à faible recul est combinée avec un canon lourd et une ligne de visée plutôt longue pour un fusil moderne. Les constructeurs ont préféré des instruments de visée métalliques à une visée télescopique, en raison notamment de la neige et de la buée qui se forme sur les len­tilles lors des changements de température. Le dioptre du Fass 90 peut être « zéroté » en dérive et en élévation puis simplement tourné pour obtenir une visée par cent mètres jusqu’à 400 mètres. Pour 200, 500 et 400 mètres, les orga­nes de visée se présentent sous forme d’un oeil­leton ; à 100 mètres, un cran de mire rend l’acquisition du but plus rapide. Les dioptres rotatifs sont par nécessité montés près de l’œil maître, mais il y a habituellement plus de dis­tance s’il s’agit d’une mire. Or, dans la peu ortho­doxe combinaison de SIG, les bords de la mire à 100 mètres apparaissent curieusement éloignés dans la vision périphérique de l’œil. Cette mire permet néanmoins une bonne précision. Le cran de mire facilite également l’utilisation d’un viseur de nuit à trois points, fonctionnant avec des pastilles C 14 sur le dioptre et au tritium sur le guidon de nuit rétractable,

Les résultats du Fass 90 en tir à la cible couché furent supérieurs à ceux du 57 ; mais la diffé­rence fut encore plus marquée lors des tirs de combat. C’est en effet en termes d’une amélio­ration de la maniabilité que le nouveau SIG s’est montré le vrai vainqueur. La réduction de l’encombrement en comparaison du 57, idée qui s’est retrouvée très marquée tant dans les vues populaires qu’officielles sur la question du nou­veau fusil suisse, n’est qu’une part du succès du Fass 90. Le nouveau SIG pèse environ 1,6 kg de moins que son prédécesseur. Mais le Fass 57 était une arme exceptionnellement lourde, et, en fait, le nouveau fusil d’assaut a simplement ramené le poids du fusil militaire suisse à celui du vieux Mousqueton 51 à culasse à action manuelle. Avec ses 4,1 kg à vide, le Fass 90 reste d’ailleurs l’un des fusils d’assaut les plus lourds de la génération des petits calibres. En longueur, il ne mesure qu’un petit 10 cm de moins que le 57. Mais on peut le raccourcir de bien 50 cm en rabattant la crosse ; cette crosse est un exem­ple de la qualité de conception qui fait du Fass 90 une arme si agréable à manier. La crosse se rabat sur la seule pression d’un bouton ; bloquée en position ouverte, elle est suffisamment rigide et solide pour satisfaire aux exigences d’un test consistant à tirer 600 grenades à fusil de 500 gr, depuis un sol en béton. L’on dit même qu’elle aurait résisté à plus de mille coups chez SIG. Bien que le sommet de la crosse soit aligné sur le canon, « à la mode », le fusil s’épaule aussi natu­rellement qu’une arme de sport. Et, toujours comme une arme de sport, et au contraire de fusils dont la forme est issue des seules préoc­cupations de techniciens concentrés sur l’idée abstraite d’un transfert en ligne droite du recul, comme le M16 ou l’Enfield SA80, le nouveau SIG a une ligne de visée proche du canon, près de 2,5 cm plus basse que celle du Fass 57. Ce profil plus bas est combiné avec un magasin plus court de façon à garder le tireur couché encore plus près du sol ; soit une cible 20 % plus petite qu’un sol­dat équipé du Fass 57. Et au contraire de cer­tains bullpups, le nouveau SIG ne présente aucun problème si le tireur doit changer son arme d’épaule pour tirer depuis un couvert, Les douilles sont en effet éjectées bien vers l’avant et ne gênent en rien un tireur gaucher. Quant au sélecteur de sûreté/feu, il est ambidextre et tombe commodément sous le pouce de l’une ou l’autre main,

Des tests draconiens

Les qualités de maniement d’une arme peuvent être pré-conditionnées et, pour une génération future n’ayant connu que le bullpup, il pourrait en effet ne pas sembler bizarre que l’Enfield bri­tannique se manie comme une tronçonneuse. Mais, par rapport aux normes établies en matière de facilité d’emploi, le nouveau SIG est excellent. Son entière conception reflète les priorités d’une arme de tireur et pas uniquement celles d’un technicien. D’un point de vue technique égale­ment, le processus de développement helvétique est tel qu’il permet d’éviter les désagréables sur­prises qui ont accompagné la mise en service du nouveau fusil britannique. La Suisse a fait subir une gamme étendue de tests auprès de la troupe durant les deux dernières années, à 2 000 fusils de série zéro, afin de mettre en évidence tout pro­blème qui ne se serait pas manifesté lors des pre­miers essais, et ce, avant que ne commence la production en série. Et ces premiers essais furent des plus complets : à – 20° C par exemple, à près de 4 000 mètres d’altitude, au Jungfraujoch, un Fass 90 fut rempli de neige et laissé à geler ; un soldat dut, en ouvrant la culasse à coups de pieds, le rendre opérationnel en 50 secondes. L’ingéniosité de la conception appela l’ingénio­sité dans les tests : ayant développé un maga­sin en matière plastique qui résisterait à une chute, les Suisses testèrent son bon fonctionne­ment après l’avoir jeté d’une hauteur de 1,50 mètre, plein et sur ses griffes, 45 fois. Lors des essais initiaux, avec 40 fusils, 800 000 coups furent tirés sans aucun dérangement imputable aux magasins. Les fusils eux-mêmes furent con­çus pour durer un minimum de 15 000 coups dont 7 500 sans rupture de pièce. Certains tirè­rent jusqu’à 40 000 coups.

Le nouveau fusil suisse est le résultat d’une con­ception minutieuse, et constamment raffinée durant plus de 20 ans. SIG possédait le premier des fusils de sa nouvelle génération en 1967 déjà : le modèle 550-1 à culasse à ouverture retardée par des galets de verrouillage. La diffi­culté d’appliquer cet ancien système au petit calibre conduisit rapidement à un mode rotatif à emprunt de gaz avec galets, qui donna à son tour la culasse rotative à emprunt de gaz actuelle qui équipa les armes de la série 540 dès le début des années 1970. Le 540 en calibre 7,62 Otan a été choisi par les Chiliens et, en 5.56, fut lar­gement exporté dans les anciennes colonies françaises sous licence Manurhin. Lorsque les Français eux-mêmes connurent des problèmes avec les premiers Famas, ce sont des SIG, cons­truits par Manurhin, qu’ils envoyèrent à leur contingent Onu du Liban. Le développement du fusil militaire suisse, avec les différentes cartouches indigènes, se fonda, depuis 1973, sur les séries 541, dérivées du 540. Muni d’un canon plus lourd et d’une boite de culasse plus solide que son prédécesseur, c’est le SIG 541 (rebaptisé SG 550) que le Conseil Fédéral approuva, sous la dénomination de Fass 90, le 16 février 1985. Le Fass 90 est un standard d’excellence pour les fusils de sa génération. Mais la question reste ouverte de savoir s’il sera celui des armes futu­res, ou s’il restera dans les mémoires comme le meilleur des derniers descendants des armes d’infanterie conventionnelles. Le spectre du G 11, l’incursion d’Heckler & Koch dans le domaine des cartouches sans douille, hanta toute la durée du processus d’acquisition suisse. Mais, après une décennie pleine de promesses, le G 11 en est toujours au statu quo. Le pro­gramme ouest-allemand de recyclage du G 3 a permis d’éviter la crise de ré-équipement qu’a connue la Suisse avec le Fass 57, et a offert à la RFA le luxe d’attendre le millénaire. Et au cas où, et quand, les Allemands se décideraient finale­ment à abandonner le G 11, ils auront à leur dis­position toute la nouvelle génération des 5,56 pour faire leur choix. Et si le mérite détermine ce choix, SIG-Sauer pourrait bien être le gagnant. Quel que soit l’avenir du fusil à cartouches sans douille, il existe au-delà les projets de ce que les Américains appellent inélégamment l’« Advanced Individual Combat Weapon », un concept dans lequel les munitions à effet de zone ont pro­gressivement usurpé le domaine traditionnel du fusil. Mais, dans une certaine mesure, la techno­logie du futur est déjà là ; les plans suisses d’emploi tactique du Fass 90 en ont tenu compte puisqu’ils envisagent la prise en charge de cer­taines tâches par un lance-grenades de 60 mm.

La supériorité du feu

Face à cette tendance, le Fass 90, et le retour d’une génération d’armes à vocation de tir de précision, peut paraître anormal. Mais ils repré­sentent une approche différente d’un même but : accroître la probabilité de toucher. Le fusil d’assaut a toujours été le curieux hybride d’une philosophie de puissance de feu greffée sur une arme de précision. Et l’utilité concrète du feu automatique ne s’est certainement pas clarifiée au cours des ans. C’est plutôt devenu une sorte de fétiche ; faire le geste magique de tourner le sélecteur sur la série de trois coups est peut-être une excuse pour compenser la puissance d’arrêt insuffisante de la munition de petit calibre en multipliant les impacts, peut-être aussi une invo­cation aux dieux pour toucher sans viser alors que le premier coup, intentionnel, est hors de la cible. La seule certitude est qu’une telle rafale réduit un fusil à 20 coups comme le Fass 90 en un fusil à 7 coups, avec par conséquent moins de puissance de feu que le vieux Vetterli à 12 coups de 1869. Imparfaite comme outil de la théorie de la puissance de feu, et peut-être dépassée par les munitions à effet de zone, la tendance de développement récente des fusils militaires s’est tournée vers le vieux concept du tir individuel, de celui du soldat comme chasseur sur le champ de bataille. C’est un écart intrigant d’avec cette panacée militaire habituelle que représentent les technologies nouvelles, car c’est un concept qui dépend, en fin de compte, des qualités et aptitudes de l’homme qui se trouve derrière l’arme. Mais en Suisse, c’est une grande tradition.

Caractéristiques techniques

 

Type : Fusil d’assaut

Nom militaire suisse : Fusil d’assaut 90/Sturmgewehr 90

Nom des versions commerciales : SG 550 ; SG 551 (version à canon court)

Variantes commerciales : La version semi-automatique destinée à la vente civile est connue

sous le nom de Fass 90 PE en Suisse et SG 550 SP ; SG 551 SP pour l’exportation

Fabricant : Schweizerische Industrie Geselischaft, CH-8212 Neuhausen am Rheinfall. La

production destinée à l’armée suisse sera partagée avec la Fabrique fédérale d’armes

à Berne et d’autres industries

Nombre de fusils prévus pour l’armée suisse : 600 000

Concepteurs :  Brodbeck, Baumann

Fabrication : Canon et chambre à cartouches forgés en même temps ; large utilisation de la tôle d’acier emboutie pour la boîte à culasse ; la crosse, le manchon et la poignée-pistolet

sont en matière synthétique

Fonctionnement : Par emprunt de gaz, culasse fermée ; sélection du feu

Système de fermeture : Culasse rotative à deux tenons

Genres de feu : Coup par coup, série de 3 coups, rafale

Cadence de tir : 700-850 cps/min Calibre : 5,6/5.56 X 45

Rayures : 6 à droite, pas de 254 mm (178 mm dans la version exportation)

Système de visée : Dispositif de hausse comprenant un tambour pouvant être zéroté en dérive et en élévation avec 5 œilletons pour 200, 300 et 400 mètres et un cran de mire pour

100 mètres avec deux pastilles C-14 pour le tir de nuit. Guidon conventionnel et guidon de nuit rétractable avec un point au tritium

Base de mire : SG 550 : 540 mm ; SG 551 ; 446 mm

Autres variantes : Accepte les systèmes de visée télescopiques et nocturnes standard STAPIAG

Contrôles : Sélecteur de feu combiné avec la sûreté, de chaque côté de la boite à culasse,

au-dessus de la poignée-pistolet

Poids de détente : 3 kg

Alimentation : Par magasin en plastique teinté transparent à 20 coups, d’un poids de 95 gr.

Un chargeur de 30 coups est disponible pour l’exportation

Longueur totale : SG 550 ; 99,8 cm ; SG 551 ; 85, 3 cm

Longueur, crosse repliée : SG 550 ; 77,2 cm ; SG 551 ; 60,1 cm

Longueur du canon : SG 550 ; 52,8 cm ; SG 551 ; 36,2 cm

Poids avec un magasin vide : SG 550 ; 4,1 kg ; SG 551 ; 3,5 kg

Poids avec 6 magasins pleins (120 coups) : SG 550 ; 6 kg ; SG 551: 5,4 kg

 

Richard A.I. Munday – 1988

 

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz