LE FUSIL 1863

L’armement de la Confédération helvétique

par Clément BOSSON

La transformation des fusils lisses au système Prélaz-Burnand n’a été considérée en 1859 que comme une mesure tran­sitoire destinée à préparer le chemin à l’introduction définitive d’un nouveau fusil d’infanterie… Ainsi s’exprime le Conseil fédéral dans son rapport présenté à la Haute assemblée fédérale sur sa gestion pendant l’année 1860.

Dès le 21 janvier 1860. le dossier s’étale sur la table des commissions d’experts. La querelle des calibres continue, les 10,5mm de la carabine et du fusil de chasseur sont jugés vraiment trop faibles. La Confé­dération helvétique ouvre alors un concours concernant un nouveau fusil doté d’une baïonnette. Sur ce dernier objet, précisons que l’armée fédérale ne connaissait que la baïonnette d’estoc, alors que la France avait introduit, dès 1842, un sabre-baïonnette qui était aussi une arme de main.

Au concours, doté de prix, 44 concurrents s’annoncent dont 30 viennent de Suisse et 14 de l’étranger. En fait. vingt concurrents présentent vingt-huit fusils.

La Commission des experts propose aussi un fusil, construit en huit exemplaires, par l’armurier Burri à Lucerne. Elle a d’abord proposé un calibre 13,5 à 15mm pour revenir ensuite au calibre 12 à 12,6 mm,

II résulte d’essais très poussés “… que le calibre de 4 lignes (12rnm) avec un projectile à expansion est le mieux qualifié et qu’un des fusils construit à Lucerne pré­sente des avantages sur tous les autres…”. Cependant, aucune des propositions, y compris celle concernant la baïonnette, n’est retenue et le rap­port conclut; ...la précipitation que l’on mettrait dans cette affaire serait d’autant plus à regretter que notre in­fanterie possède maintenant déjà une arme d’infanterie qui peut très bien soutenir la comparaison avec celle des autres armes…

Au cours de l’année 1861, la “Commission pour l’in­troduction des nouvelles armes à feu portatives”, comp­tant cinq membres, continue les essais ; elle teste la balle expansive de l’armurier Buholzer de Lucerne, dans la carabine. Cette invention dispense de l’utilisation des fourres à balles et laisse assez de jeu à la balle à l’in­térieur du canon.

Aucun élément ne permet, en 1861, d’entrevoir un ré­sultat. La commission du conseil des Etats, sur la ges­tion du conseil fédéral, le constate : … /es premiers prin­cipes relatifs à la question de l’arme sont encore tellement contestés que nous pouvons attendre tranquillement l’is­sue et considérer une prompte solution comme étant un acte prématuré. Le premier État militaire de l’Europe, la France, peut nous servir d’exemple en matière de cir­conspection dans la tractation de la chose. Cette “attente tranquille” admise par cette Commission ne semble pas convenir à l’assemblée fé­dérale ; elle “houspille” l’exécutif par son arrêté du 7 février 1862… considérant que les essais dont le Conseil fédéral a été chargé par arrêté du 31 janvier 1860, concernant l’introduction d’armes à feu portatives rayées ne peuvent en aucune façon être considérés comme terminés, arrête: … les essais faits jusqu’ici doivent être continués et on devra spécia­lement dans ces essais soumettre les nouvelles armes ainsi que tes anciennes à un examen comparatif et ap­profondi. Il est ouvert à cet effet au Conseil fédéral un crédit de 100000F.

 La Commission renforcée (huit membres) se met au tra­vail sous la présidence du chef de département militaire au début de mars 1862. Il est décidé, tout d’abord, de faire confectionner une vingtaine d’armes dont les calibres s’étageraient dé 10,5mm à 13,5mm. Tout est prêt, armes et projectiles correspondant pour les épreu­ves qui ont lieu à Bâle du 20 juin au 5 juillet 1862, reprises en novembre.

Chaque arme tire à :

– 400 pas………………………  30 coups

– 600 pas……………………… 100 coups

– 800 pas………………………   40 coups

– 1 000 pas ……………………..50 coups

sans nettoyer le canon ou changer la hausse, ni mar­quer l’impact, ceci bien sûr après les coups d’essai.

Grandeur de cible de :

– 400 à 800 pas……………. hauteur 285cm

largeur 375 cm,

– 1 000 pas …………………  hauteur 345 cm,

largeur 570cm.

Les tireurs, choisis parmi les plus habiles, appuyaient l’arme sur un chevalet.

Les études de la Commission se concrétisent en trois rapports – fait plutôt rare – celui de la majorité signé par cinq membres, le 10 décembre 1862, tend à l’adop­tion d’un fusil au canon d’acier fondu, de 990 mm, avec le calibre de 13 mm et 4 rayures. Un autre rapport de minorité, établi par deux membres, préconise le calibre 11,4mm et enfin la position d’un solitaire, le colonel Wustemberger, en date du 19 décembre 1862, recom­mande l’unité de calibre pour toute l’infanterie – ca­rabiniers et chasseurs compris – soit celui des armes de ces derniers: 10,5mm.

Ces trois textes se réfèrent aux tableaux des résultats obtenus aux diverses distances et calibres ; l’argumen­tation de chacun fait état de considérations dans les­quelles la balistique est confinée aux seuls tableaux ; les arguments s’adressent aux membres des deux Conseils, le National et les Etats et sont imprégnés de bon sens puisque la décision définitive sera prise par une instance politique et non technique. Il faut le sou­ligner : les militaires proposent mais les civils choisis­sent. Leur choix sera difficile car, dans tout le pays, l’opinion publique s’est passionnée pour la question du calibre ; elle harcèle l’Assemblée fédérale de pétitions et de contre-pétitions ! L’une de celles-ci, signée par vingt-cinq colonels, se prononce pour le grand calibre de 13 mm ! Le message du Conseil fédéral à l’Assem­blée fédérale suisse, concernant l’introduction d’un nou­veau fusil d’infanterie et de l’unité du calibre pour toutes les armes à feu portatives pour l’armée fédérale, du 9 janvier 1863, serait à citer en entier, tant il fait ressortir avec pertinence les avantages et les inconvénients des systèmes proposés. Il schématise ainsi les avantages du grand calibre :

– Résistance à la déviation du vent;

– Plus grands effets destructifs ;

– Cartouches plus pratiques.

 

Les atouts du petit calibre sont :

– Meilleure trajectoire ;

– Recul moindre;

– Légèreté de l’arme et de ses munitions;

– Moins de cherté.

Le message, ensuite, devient massue ! le petit calibre est actuellement acclimaté chez nous pour la carabine depuis 12 ans, pour le fusil de chasseur depuis 6 ans. Nous possédons, en Suisse, plus de 20 000 de ces armes avec les munitions nécessaires. Nous estimons donc que si l’on n’a pas de motifs péremptoires pour quitter ce calibre, ce qui existe actuellement ne doit point être abandonné et nous n’avons pu trouver, ni dans le rapport de la majorité, ni dans les observations ultérieures des motifs plausibles qui nous poussent à une telle mesure.

Le texte officiel met en évidence la facilité d’emploi de la munition du calibre 10,5mm par l’invention de M. Buholzer, intendant de l’arsenal de Lucerne. Celui-ci a conçu un projectile expansif de petit calibre -jusqu’alors on avait cru que l’emploi de balles expansives n’était possible qu’avec de gros calibres -. Or, un quintal de plomb permet de fondre 4 745 balles Bu­holzer contre 1 872 projectiles de gros calibre, soit lar­gement plus du double.

LA DECISION

En date du 26 janvier 1863, le Conseil national s’est prononcé pour le petit calibre de 35″ (10,5 mm) par 72 voix contre 17 et le Conseil des Etats, le 28 du même mois, par 33 voix contre 5… Telle est la note, sèche comme un coup de trique, publiée dans la Feuille fé­dérale de 1863. La plupart des mi­litaires, membres des deux Conseils, faisaient partie de la minorité ! La Suisse, la première en Europe adoptait le calibre de 10,5 mm pour son armée. Pour bien com­prendre la signification de cette hardiesse, nous don­nons, ci-dessous, les calibres des armes européennes de l’époque en points, cette mesure faisant mieux res­sortir les différences que les millimètres :

– Nouveau calibre suisse…………… 35 points

– Fusil Prélaz-Burnand …………….. 59 points

La France et l’Italie ont conservé

le calibre de ……………………..     59 points

L’Angleterre a adopté celui de ….. 48 points

L’Autriche ………………………..      46 points

L’Espagne ………………………..     46 points

La Prusse ………………………       50,5 points

La Russie ………………………..      46 points

et pour ses carabiniers, une arme de 43 points.

 Le nouveau calibre de l’infanterie, semblable à celui des carabiniers et des chasseurs, est adopté par l’arrêté fé­déral du 28 janvier 1863 qui précise:

Art. 1. – Un calibre normal et unique de 35 points (10,5 mm) est fixé pour toutes les armes à feu de l’ar­mée fédérale (élite et réserve.

Art. 3. – Du 31 juillet 1863… l’introduction du nouveau fusil et des munitions nécessaires doit se faire en six ans dès le 1er janvier 1864. Le crédit ouvert à la Confé­dération est de 4 600 000 F pour sa part de frais

.La longueur du canon a été admise d’emblée – et par tous – à 990 mm soit 60 mm de plus que celle du second fusil de chasseur, modèle 1856, ceci pour fa­ciliter le tir sur deux rangs et l’escrime à la baïonnette. La longueur totale de l’arme s’inscrit ainsi à 1 380 mm. Cette longueur n’est pas diminuée – contrairement à l’usage ancien – pour les hommes de génie et de l’ar­tillerie. L’ordonnance, précisant les détails de construc­tion, est datée du 24 décembre 1863.

La munition du fusil d’infanterie, soit la balle expansive de l’armurier Buholzer, s’est révélée supérieure dans la carabine. La cartouche de celle-ci ne contenait que la poudre, la balle étant introduite au moyen d’une fourre alors que la nouvelle cartouche comporte la charge et la balle mises en place sans autre geste. Cette cartou­che allège le carabinier du moule à balles, de la poche à fondre, des fourres ainsi que les cylindres de bois pour fixer ces dernières. C’est un allégement non né­gligeable et une diminution des frais.

 

L’ARME

Longueur totale…………………… 1 380 mm ;

Longueur du canon d’acier

fondu et bronzé…………………..   990 mm ;

Calibre ……………………………. 10,5 mm ;

Rayures plates concentriques : quatre, profondeur cons­tante – largeur égale à celle des champs, largeur 3,75 mm, profondeur 0,225 mm ;

Un tour sur……………………….. 810 mm ;

Hausse : à embase graduée avec planche mobile à gra­duation de 400 à 1 000 pas ;

Platine ………………………….. à chaînette ;

Garnitures …………………….. en fer bronzé ;

Baïonnette : quadrangulaire suivant le modèle français, longueur de la lame 480 mm.

Le fusil est entièrement construit en Suisse, sauf les canons bruts provenant d’une usine de Düsseldorf, en Westphalie, que la Confédération achète et livre aux fabricants au prix de 6 F la pièce. Les essais, faits dans les principaux établissements métallurgiques, ayant dé­montré leur infériorité sous le rapport de la résistance et du prix , le prix payé par la Confédération, pour chaque fusil, est de 78F.

MUNITION

Balle expansive :

– poids de la balle: 18,7g;

– charge de poudre noire : 4 g ;

Cartouche faite de deux feuilles de papier graissé sur la hauteur de la balle ;

Vitesse initiale: 448/451 m/sec;

Dotation par homme : 60 cartouches, 84 capsules.

La Suisse conservera, pour toutes ses armes, son ca­libre de 10,5 mm jusqu’à la réduction au calibre 7,5 mm Schmidt-Rubin de 1889 qui sera alors définitive puisqu’on la connaît encore à l’heure actuelle.

 

À propos Moret Jean-Charles

Fondateur de l'Association Pro Forteresse Co-fondateur de l'Association Fort Litroz